C'est une relation particulière celle qu'entretien les Marocains avec le mois de Ramadan. Durant cette période de l'année, le jeûne est une obligation religieuse pour tous les musulmans, mais aussi une occasion sociale ayant, avec le temps, développée certains rituels et traditions spécifiques qu'on ne peut évoquer sans se faire prendre par cette ambiance ramadanesque. Au Maroc, le Ramadan commence avant le Ramadan. On en parle plusieurs semaines avant son premier jour, et les changements d'habitudes sont remarquables. Le Ramadan est à la fois une occasion pour purifier les âmes et de se rapprocher du créateur, mais aussi une opportunité pour consolider son appartenance sociale et de retrouver son identité religieuse. «Le Ramadan est une opportunité qu'on doit saisir pour nous rapprocher de Dieu et pour purifier nos âmes pêcheuses», affirme Youssef, en parlant du changement que lui apporte ce mois sacré. Le jeune originaire de Fès avait l'habitude de prendre un congé afin de rejoindre sa famille durant la période du jeûne. Cette année, il a choisi de rester à Rabat pour travailler, sous prétexte que le travail est aussi sacré. Ainsi, le jeune banquier pourra investir son congé plus librement puisqu'il se décrit lui-même comme une personne pas vraiment pieuse, mais que «durant le Ramadan, j'essaye de consacrer plus de temps aux volets spirituels dans ma vie et de réduire le nombre de pêchés commis». Il enchaîne: «Le Ramadan est le mois de la rémission et de la miséricorde. Toute personne a besoin d'en profiter pour s'approvisionner spirituellement et religieusement». La Ramadan entre les exigences religieuses et sociétales Le temps d'un mois, un changement notable affecte le mode social et religieux des Marocains qui, généralement, évitent de commettre les pêchés majeurs, tout au moins durant la journée. Le soir, les mosquées sont pleines à déborder de prieurs qui occupent, parfois même les rues avoisinantes. Les prières nocturnes «Taraouih» sont une occasion pour les musulmans de se remettre de leurs pêchés, mais c'est aussi une occasion pour une partie de la jeunesse de ressentir un degré d'appartenance à la société. Selon le sociologue Farid Amar, cette problématique se répète chaque semaine à l'occasion de la prière du vendredi, sauf que durant le mois du Ramadan, le changement des habitudes et des rituelles est à grande échelle. Il affirme qu'«après la rupture du jeûne, nombreux sont les Marocains, portant des habits traditionnelles, qui se dirigent vers les mosquées pour faire la prière, et cela, afin de consolider leur appartenance sociale et éviter de se sentir «pas religieux », même si durant le reste de l'année, ils ne considèrent pas la religion comme étant une priorité». Le Ramadan, une occasion pour renouer avec la religion Pourtant, l'enseignant-chercheur à l'Université Mohammed V à Rabat, refuse de qualifier de culte saisonnière, les aspects spirituels et religieux propres au mois sacré. Il explique à Hespress FR que «la nature des religions essaye en général de créer des «stations d'approvisionnement» afin de renforcer la foi de ses disciples. Ces «stations» peuvent être quotidiennes, hebdomadaires ou même annuelles tels que le Ramadan et l'Aîd». D'après notre interlocuteur, la spécificité des phénomènes sociaux relatifs à la religiosité individuelle et collective réside dans leur spontanéité, et ne nécessite pas de mobilisation, puisque ça fait partie de l'identité de chacun de nous. La forte montée des aspects de la conscience religieuse durant le mois de Ramadan est relative aussi à la nature temporaire des exigences religieuses dont l'obligation se limite à ce mois, ce qui encourage une grande partie de la population à saisir l'opportunité pour profiter du mois de diète afin de renforcer leur foi. Pour d'autres, il s'agit d' un rendez-vous leur permettant de renouveler leurs liens avec la religion. Le professeur de pensée islamique à l'Université Mohammed V, Said Halaoui, considère que la manière dont les Marocains gèrent le Ramadan concrétise, d'un part, leur personnalité, et d'autre, la relation qu'ils entretiennent avec la religion, qui se caractérise d'une certaine profondeur. Les Marocains, très attachés aux rituels islamiques En effet, les Marocains profitent de telles occasions pour bénéficier de la miséricorde de Dieu. «Vu que le mois sacré est aussi synonyme de repentance, de rémission et de charité, les Marocains accordent une partie importante de leurs temps pour se concentrer sur leur religiosité», souligne le vice-président de la filière des études Islamique. Et d'ajouter que la majorité des Marocains «restent concentrés sur les aspects de la vie quotidienne et civique et essayent de récupérer le temps perdu en privilégiant le volet culturel pendant ce mois-ci». Les Marocains sont généralement très attachés aux rituels islamiques et attribuent une attention spéciale aux moindres détails durant ces observances, note-t-il. Le professeur Halaoui affirme à Hespress FR que l'attention spéciale qu'accorde les Marocains au mois sacré provient essentiellement du «modèle de religiosité marocaine» et dépasse son caractère religieux pour représenter une célébration qui permet la mise en avant de la civilisation marocaine, la réconciliation avec l'identité et la valorisation du patrimoine immatériel de la société marocaine. La société marocaine parvient toujours à ajouter une touche spéciale aux éléments du quotidien. Le Ramadan n'a pas échappé à la règle. Les pratiques relatives au mois de Ramadan au Maroc émanent d'une compréhension de la religion qui investit les éléments de la réalité quotidienne de la société et l'héritage culturel afin de se procurer une manière de répondre aux exigences religieuses.. Khalid Boujamid- Hespress