Les feux sont au vert pour Ankara. Ces dernières semaines, tous les vents ont soufflé en faveur de la Turquie, et partant, de son président, Recep Tayyip Erdogan. L'Affaire Jamal Khachoggi, le sommet quadripartite sur la Syrie et l'inauguration du « plus grand aéroport au monde », autant d'événements qui se sont succédé et ont offert une véritable aubaine au pays de Kemal Atatürk pour se remettre en selle sur la scène internationale. Il est vrai que la Turquie était souvent décriée en termes de libertés et de droits de l'Homme, notamment après le coup de force avorté contre le président en 2016, qui a donné lieu à des purges et arrestations condamnées dans les quatre coins du monde. Affaire Khachoggi Du coup, l'affaire du journaliste dissident saoudien, Jamal Khachoggi, liquidé dans le consulat d'Arabie saoudite à Istanbul, est venue à point nommé pour offrir à Erdogan l'occasion de tenir le monde en haleine, remonter la pente diplomatiquement et de replacer Ankara, le temps d'une enquête à rebondissements, au centre de la planète. En effet, tout au long de cette affaire, pas encore résolue soit dit en passant, Erdogan a distillé les informations, soufflé le chaud et le froid et lancé des clins d'œil à ses alliés tout autant qu'à ses détracteurs. L'objectif est clair : Le chef de l'Etat turc compte tirer, au maximum, profit de l'aubaine Khachoggi pour régler des petits comptes et tirer de grands profits. C'est dire qu'Erdogan compte bien profiter du « relatif affaiblissement » de l'Arabie saoudite à cause de cette affaire. C'est que la rivalité entre les deux pays est bien installée et trouve son explication sur plusieurs fronts : Soutien d'Ankara au Qatar sous embargo de Riyad, soutien de Riyad à l'Egypte de Sissi, bête noire d'Ankara, proximité de la Turquie avec les Frères musulmans, «terroristes» pour Riyad ou encore appui saoudien aux forces kurdes de Syrie, «terroristes» pour Ankara. Toutefois, au lieu de faire de l'assassinat de Khachiggi un énième point de discorde avec Riyad, Ankara en a fait un « investissement ». A cet effet, le pouvoir turc a veillé à « ne pas trop charger publiquement l'Arabie saoudite » deuxième plus gros investisseur dans le pays et qui pourrait grandement contribuer à limiter les dégâts à l'heure où l'économie turque, a pris un sérieux coup du fait de la brouille avec les USA. Embellie avec Washington Et même sur ce plan (américain), l'affaire Khachoggi a contribué à l'embellie récente des relations entre Ankara et Washington, inaugurée par la libération le 12 octobre du pasteur américain Andrew Brunson, accusé d'espionnage et d'activités terroristes. Les USA et la Turquie ont de fait, adopté une position commune vis-à-vis de l'assassinat de Khachoggi, acculant Riyad à reconnaître (partiellement) les faits et à collaborer dans l'enquête. Washington, allié de toujours de l'Arabie Saoudite, est même allée jusqu'à annoncer des sanctions « dans quelques semaines » à l'encontre de Ryad. Par contre, les sanctions réciproques de Washington et Ankara contre les ministres de la Justice et de l'Intérieur des deux pays ont, elles, été levées vendredi 2 novembre. L'annonce de la levée est survenue au lendemain d'un entretien téléphonique entre Donald Trump et Recep Tayyip Erdogan, au cours duquel les deux présidents ont exprimé leur détermination d'améliorer les relations entre leurs deux pays. La guerre en Syrie Sur un autre volet, le sommet sur la Syrie ayant réuni le 27 octobre à Istanbul Recep Tayyip Erdogan, Vladimir Poutine, Emmanuel Macron et Angela Merkel, est un autre signe que la Turquie est en train de se repositionner et se réaffirmer comme un acteur clé dans la région. Ce sommet était certes d'une importance capitale, notamment pour le devenir de la région d'Idleb, mais il a aussi permis à Erdogan de se replacer au cœur des discussions. Une place certes légitime, la Turquie ayant accueilli près de trois millions de réfugiés syriens, mais qui permet au président turc d'étendre l'influence de son pays face à son rival au Moyen-Orient qui n'est autre que …l'Arabie Saoudite. Un aéroport XXL Autre étalage de force et signe de retour, le président turc vient d'inaugurer en grande pompe le nouvel aéroport d'Istanbul (10,247 milliards de dollars), destiné à devenir «le plus grand du monde» et qui symbolise à lui seul les ambitions XXL d'Erdogan. Rien n'est donc épargné ni laissé au hasard. Erdogan semble faire feu de tout bois. Car au-delà de son caractère monstrueux, l'assassinat de Jamal Khashoggi, entre autres facteurs, a permis au président turc d'en sortir renforcé et à Ankara de se repositionner sur l'échiquier international et marquer un point, et non des moindres, dans la course au leadership au Moyen Orient.