Dans ce second volet de notre dossier « comment deux « amis » en sont arrivés à se tourner le dos », l'affaire Pegasus est une pièce maîtresse des grandes manœuvres destinées à jeter l'opprobre sur les services de sécurité marocains. Plusieurs éléments qui transpirent du traitement médiatique réservé au Pegasus ne laissent que peu de doute sur ses initiateurs. Ceci est d'autant plus manifeste que ceux des supports français qui l'ont fortement médiatisé, se sont gardés de révéler que la France était sur le point d'acquérir la technologie de NSO Group. Un lanceur d'alerte, la source du Pegasus Project ? C'est une option peu probable, selon une source israélienne proche du dossier. « Il ne nous est jamais paru envisageable que Forbidden Stories et Amnesty international se contentent d'un lanceur d'alerte qui leur remette 50 000 numéros de téléphone, sans le moindre nom à mettre en face et qu'ils prennent cela pour argent comptant », constate ce proche du conseiller à la sécurité israélienne qui a requis l'anonymat. Notre expert pense que Forbidden Stories et Amnesty International ont obtenu ces informations par « le truchement d'un service de renseignement ». A la question de savoir lequel, notre source botte en touche mais affirme que « les cibles de cette manœuvre sont principalement le Maroc et Israël. Les enjeux sont géostratégiques, géoéconomiques, d'énormes enjeux d'influence. Il faut voir tout l'intérêt du rapprochement entre le Maroc et Israël pour trouver la réponse à votre question », conclut ce spécialiste du renseignement qui a travaillé plusieurs années au sein du Mossad avant de rejoindre l'équipe de Eyal Hulata, nommé à la tête du Conseil de sécurité national d'Israël le 12 juillet dernier. Forbidden Stories et Amnesty International auraient-ils pu être manipulés par un service de renseignement ? Peut-être. Mais le fait est qu'ils ont tant donné du cœur à l'ouvrage pour charger le Maroc que l'on peut se demander s'ils n'ont pas agi en connaissance de cause. Ils ont entraîné avec eux 17 médias et pas moins de 80 journalistes dont il n'est pas acquis qu'ils approuvent qu'un service de renseignement soit la source des informations qui leur ont été transmises. La question du Sahara n'est jamais très loin Quoi qu'il en soit, l'information selon laquelle le Maroc détiendrait cette technologie et l'aurait utilisée pour espionner, notamment le Président français Emmanuel Macron, a largement été discréditée depuis. Le dernier démenti a été apporté par le chef de la diplomatie israélienne en visite à Paris le 30 novembre dernier. Yaïr Lapid a été catégorique : « autant qu'il soit possible de le dire, personne n'a écouté le téléphone du président (français).» Malgré la publication de plusieurs informations qui ont entaché le Pegasus Project, le dossier continue de rebondir ici et là dans des médias publics français, principalement, dans l'objectif de le perpétuer comme l'un des éléments de la propagande élaborée contre le Maroc. Ainsi, une enquête de France Culture diffusée le 20 novembre 2021 et intitulée « Scandale Pegasus, l'embarras français vis-à-vis du Maroc », mériterait d'être classée collector, tant elle porte les stigmates d'une «commande». Voilà une enquête fourre-tout, avec un mélange insolite dans lequel on retrouve la question du Sahara, les relations entre Paris et Rabat, des informations sur les services de renseignement français et Israël. Signée Elodie Guéguen qui avait pris part au dossier de Forbidden Stories en tant que membre de la cellule d'investigation de Radio France, cette enquête nous indique que « même si l'exécutif (français) est resté très discret sur le sujet, en coulisse il s'est passé pas mal de choses » depuis le 18 juillet dernier. La journaliste parle de l'enquête judiciaire qui a été lancée en France et choisit d'interroger Claude Mangin «dont le mari, un militant de la cause sahraoui est emprisonné au Maroc», dit-elle. Elle ne donne pas le nom de l'époux, Naama Asfari et ne dit pas un mot sur les accusations qui ont motivé sa condamnation. Il avait pourtant, selon les preuves apportées par la justice marocaine, participé à l'assassinat, dans des conditions indignes de l'humain, de 11 membres des forces de l'ordre. Ils ont perdu la vie lors du démantèlement d'un camp dont la mise en place avait été encadrée par des éléments infiltrés du Polisario et de l'Algérie à Gdim Izik (12 km de Laayoune) en 2010. Il n'est pas anodin que parmi toutes les personnes entendues dans le cadre de l'affaire Pegasus, l'épouse française de Naama Asfari soit choisie pour être interrogée dans ce reportage dans lequel on lui fait déclarer que les enquêteurs ne lui ont pas posé de question sur le Maroc, « le possible commanditaire de l'espionnage dont elle a été victime ». Ce sur quoi, la journaliste Elodie Guéguen enchaîne pour dire qu'« on sent bien que le sujet marocain embarrasse et qu'on a pas envie d'ouvrir une crise avec ce pays ». Claude mangin La France était sur le point d'acheter la technologie Pegasus Par contre, l'Elysée aurait fait le choix de « mettre la pression sur Israël », si l'on en croit cette enquête qui fait état de la « tension » depuis juillet 2021 entre les deux pays. On apprend que la France aurait pris plusieurs mesures contre l'État hébreu et que Gérald Darmanin, le ministre de l'intérieur, a même annulé un déplacement prévu à Tel Aviv. Enfin, le conseiller à la sécurité nationale israélien s'est vu demandé si Emmanuel Macron « a fait l'objet d'un ciblage » et la France aurait obtenu d'Israël des garanties pour qu'aucun numéro de téléphone commençant par 33 ne soit jamais la cible d'un cyber espionnage par une technologie israélienne. Ce qui constitue une vraie source d'analyse dans cette enquête du média public français, c'est la conclusion que l'on fait faire à un journaliste du quotidien Le Monde qui a, lui également, pris part au dossier du consortium. Il dit que « les services de sécurité français se sont beaucoup intéressés à Pegasus qui n'était pas auparavant jugé comme une menace particulière pour la France et pour les ressortissants français ». A Damien Leloup de poursuivre en disant que des « informations qu'on a » montrent que « les services français n'ont pas repéré d'activité spécifique ou anormale de Pegasus en France, par rapport à ce qui se pratiquait avant». Tout est étrange dans cette conclusion de Damien Leloup, aussi bien la forme que le fond. Serait-il en train de dire que les services du renseignement français ont sous-estimé une menace dont fait pourtant état la presse depuis au moins 2016 ? Nul ne peut croire que cette technologie dont il est avéré qu'elle est (ou a été) utilisée par les voisins allemands et espagnols, n'ait pas suscité un intérêt important de la communauté du renseignement français. Au contraire, à en croire la très sérieuse revue américaine MIT Technology Review. Dans un article qu'elle a mis en ligne le 23 novembre 2021*. Elle révèle que la France était sur le point d'acquérir le logiciel espion israélien et que les responsables français et l'entreprise israélienne NSO en étaient même aux dernières étapes de leurs négociations, « malgré des années d'allégations selon lesquelles il était régulièrement utilisé pour surveiller et harceler les dissidents, les journalistes et les militants des droits humains dans le monde entier », précise la revue américaine. Le deal (démenti par le ministère français des affaires étrangères) aurait capoté lorsque l'affaire Pegasus a été rendue publique. Des services de sécurité marocains jugés trop » indépendants » Les différents exemples de l'instrumentalisation des médias que nous avons analysés, nous renseignent sur le fonctionnement des services français, leurs leviers d'action et surtout, ils nous indiquent la direction prise dans leur volonté de mettre sous tutelle des homologues marocains sans doute bien trop « indépendants » à leurs yeux. Aussi bien le patron de la sécurité intérieure (DGST), Abdellatif Hammouchi, que celui de la Direction Générale des Etudes et de la Documentation, (DGED) Mohammed Yassine Mansouri. Ce sont les vis-à-vis de Nicolas Lerner le Directeur général de la DGSI et de Bernard Emié qui est à la tête de la DGSE depuis 2017. Il y a d'ailleurs été nommé immédiatement après avoir occupé le poste d'ambassadeur de France auprès de l'Algérie. Aucun lien de cause à effet, évidemment, mais une trajectoire qui peut avoir du sens, pour qui creuserait un peu plus. Nicolas Lerner Les noms de Abdellatif Hammouchi et Mohammed Yassine Mansouri ont tellement été cités dans la presse française ces dernières années, que leurs visages sont devenus plus familier dans le landerneau médiatico-politique français que ceux de Nicolas Lerner et Bernard Emié. Bernard Emié Les patrons de la communauté marocaine du renseignement dans le viseur Celui du Directeur général de la sûreté intérieure marocaine (DGST), plus que tout autre, occupe la plus haute marche du podium des personnalités marocaines ciblées par la propagande portée par des médias publics français. Le traitement qui lui est réservé est assez emblématique de l'agacement que son profil peut susciter chez certains de ses homologues européens. Abdellatif Hammouchi détonne car il n'a aucun cadavre dans ses placards qui pèserait au-dessus de sa tête comme une épée de Damoclès pour le contraindre à courber l'échine devant les velléités de domination d'un service étranger, quel qu'il soit. Au sein de la communauté internationale du renseignement, les patrons marocains de la DGST et de la DGED « ont la réputation de ne pas être des hommes à se laisser acheter », nous confie un haut fonctionnaire d'Interpol, l'Organisation internationale de la police criminelle basée à Lyon. Ce membre de la Commission de contrôle des fichiers de l'organisation ajoute : « nous avons toujours beaucoup de plaisir à travailler ensemble parce qu'il y a quelque chose de noble et de la sincérité dans la façon dont les responsables marocains envisagent leurs relations avec nous. C'est devenu très rare ». Aucune promesse de châteaux en Espagne ou d'octroi de nationalité ne pourrait donc entamer les principes, les valeurs et la fidélité à tenir leurs engagements de Mohammed Yassine Mansouri et Abdellatif Hammouchi. Ces pratiques sont pourtant courantes au sein des services des puissances occidentales. Il n'est un secret pour personne en Algérie, par exemple, que plus de 50 000 anciens hauts fonctionnaires ont acquis la nationalité française* et qu'aussi bien des hauts gradés de l'armée que des dirigeants d'entités stratégiques pour l'Algérie, ont cédé au chant de ces sirènes, sans y opposer la moindre résistance. Une conception passéiste de la relation avec le Maroc Le Directeur général de la DGST et celui de la DGED sont parmi les principaux piliers sur lesquels repose la crédibilité et la stabilité du Maroc. Dans un pays qui a toujours su anticiper les mutations du monde et les grands bouleversements géostratégiques, ils incarnent une approche nouvelle dont l'ambition est d'asseoir la paix et la sécurité, dans un esprit de solidarité. La conception passéiste de la relation avec un pays comme le Maroc, elle, résiste au changement. Depuis Paris, en effet, cette vision qui induit une diversification des partenariats, au regard des nouveaux enjeux notamment sécuritaires, indispose. Elle a mené à plusieurs dérapages dont le plus caricatural est celui qui a provoqué la rupture, par le Maroc, de la coopération judiciaire et sécuritaire pendant un an. (Fin de la deuxième partie)