Les nouvelles conditions de recrutement des enseignants et cadres administratifs, annoncées par le ministère de l'Education nationale, ont créé une large polémique parmi les candidats souhaitant intégrer le domaine. Plusieurs questions ont ainsi été soulevées, notamment les motivations derrière l'imposition de ses conditions, leur légalité ou encore le sort des milliers de personnes ne répondant pas aux critères « sévères » du ministère pour intégrer le secteur de l'enseignement. « À l'occasion de la publication de l'avis d'organisation du concours de recrutement des enseignants et des cadres administratifs, des innovations importantes ont été introduites dans le cadre de la réforme pour une renaissance éducative », a indiqué le ministère de l'Education dans un communiqué, vendredi 19 novembre, annonçant l'ouverture du concours de recrutement de pas moins de 15 000 cadres des Académies (AREF). Parmi ces « innovations », on trouve la mise en place d'une procédure de présélection au concours écrit sur la base de critères objectifs et rigoureux, l'introduction d'une lettre de motivation exigée des candidats pour évaluer l'intérêt pour les métiers de l'éducation, l'exemption de la phase de présélection pour les titulaires de licence d'éducation ou encore la fixation de l'âge maximum requis pour intégrer le domaine à 30 ans. Des conditions « pesantes » à en croire les différents syndicats de l'enseignement qui ont réagi à l'annonce. Avant de détailler ces nouvelles conditions de recrutement, le ministre de l'Education nationale, Chakib Benmoussa, a évoqué, dans une interview accordée à Hespress, le contexte dans lequel s'inscrivent ces réformes afin que les grands objectifs ne se perdent pas dans une discussion tronquée sur les mesures d'accompagnement. « Ces conditions interviennent dans le cadre d'une réforme globale, dont nous devons évoquer les objectifs. Le gouvernement s'est ainsi engagé à répondre aux attentes des citoyens, au cœur desquelles se trouve le besoin d'une école de qualité, qui contribue au partage des valeurs citoyennes, au progrès social et permet de former des citoyens efficaces pour participer au développement du pays. Cet engagement découle des résultats du modèle de développement qui est l'expression des attentes de tous les Marocains qui disent que l'école, en particulier l'école publique, a perdu leur confiance et a besoin d'une réforme globale », a expliqué Chakib Benmoussa. Cette réforme globale porte sur les conditions d'accueil, l'ambiance de scolarisation, les méthodes pédagogiques adoptées et l'ouverture de l'établissement sur son environnement. Le corps éducatif, lui, se trouve au centre de ce projet, précise le ministre, raison pour laquelle les enseignants doivent bénéficier de l'importance nécessaire et l'appréciation requise, un soutien constant, une formation continue et une assistance pour exercer leur devoir de la meilleure façon possible. Ecole publique : Benmoussa à la recherche de la qualité D'après les nombreux sondages réalisés sur le terrain auprès des enseignants, il en ressort qu'une large catégorie est mécontente des conditions de travail et l'image terne de l'école publique qui a perdu son attractivité. Pour arriver à une école de qualité, le ministre de l'Education pense qu'il faut d'abord que le métier d'enseignant retrouve son attractivité, afin qu'il devienne « un métier que les gens intègrent avec conviction, comme c'est le cas avec tous les métiers nobles (médecine, ingénierie, aviation) ». Raison pour laquelle « il ne faut pas bruler les étapes » estime le ministre, si nous voulons atteindre cet objectif, notant que « les hommes et femmes de l'enseignement doivent être la pierre angulaire de la réforme, en les choisissant parmi les meilleurs étudiants ». Âge fixé à 30 ans : Ce que dit la loi Plusieurs voix se sont élevées contre les nouvelles conditions de recrutement du ministère, en particulier la condition de l'âge qui « viole le statut de la fonction publique, qui fixe l'âge légal de recrutement à 45 ans, ainsi que le règlement de base des AREF qui le fixe à 40 ans », avancent les protestataires. Mais le ministre, lui, ne l'entend pas de cette oreille et n'y voit aucune violation des lois. « Rien n'empêche que ces mesures soient prises. Chaque profession a besoin de ses propres règles et lois. D'ailleurs, les mêmes conditions sont fixées pour le passage du concours des juges et de la Sureté. D'ailleurs, la condition de 30 ans était auparavant utilisée dans les centres régionaux. Et pour diverses raisons, cette limite a été élevé dans une période spécifique », avance Benmoussa. Convaincu que le jeune âge est un critère important pour exercer la profession d'enseignant, le ministère avance deux arguments en ce sens. « Le premier concerne l'avis des experts spécialisés dans les centres de formation. Il souligne que l'âge a un impact sur le degré de bénéfice des différentes formations, et même sur les performances futures. Deuxièmement, ce sont les modèles réussis mis en place à travers le monde. Ils reconnaissent que se lancer dans la profession à un jeune âge ne peut être sans effets négatifs », dit-il. Si le jeune âge reste important pour exercer le métier d'enseignant, pourquoi l'imposer également aux attachés et cadres administratifs et économiques, sachant qu'ils n'exercent pas le métier d'enseignant ? Selon le ministre, « c'est une procédure qui s'applique à tous les cadres qui travaillent justement sur des questions liées à la gestion, y compris les surveillants généraux dont une partie contribue à l'orientation des élèves ». Concernant les « chômeurs diplômés » qui avaient espoir d'intégrer la profession, ils sont désormais mis de côté puisque les nouvelles conditions de recrutement ne leurs permettent plus d'y accéder. Le ministre affirme qu'il s'agit d'un enjeu majeur qu'il approuve. Mais il estime, toutefois, que la fonction publique ne peut pas à elle seule créer suffisamment d'emploi. « Il est important de créer des opportunités d'emploi au sein du tissu économique du pays en facilitant les investissements nationaux et étrangers et en encourageant et en finançant les initiatives privées dans ce domaine (...). Cependant, quels que soient les efforts fournis par l'Etat, la fonction publique ne peut pas créer suffisamment d'emplois », tranche-t-il. Quid des contractuels ? Dès sa nomination par le Roi Mohammed VI en tant que ministre de l'Education nationale dans le gouvernement d'Aziz Akhannouch, Chakib Benmoussa a convoqué à deux reprises les syndicats les plus représentatifs du secteur. Durant ces deux réunions, les deux parties se sont mises d'accord sur la méthodologie de travail à suivre pour la résolution des dossiers revendicatifs en suspens, avec la poursuite du dialogue lors d'un deuxième round prévu demain mardi. Parmi les dossiers évoqués par les syndicats, il y a celui des enseignants dits contractuels. L'un des dossiers les plus complexes sur la table du ministre, qui espère « parvenir avec les syndicats à des solutions concrètes et une vision commune d'ici-là fin du mois de novembre ou début décembre ». « Il y a des solutions immédiates, et des solutions qui ont besoin de temps pour exister. Et quand on dit qu'il faut du temps, ce n'est pas pour gagner du temps, mais nous définirons précisément ce temps », dit-il. Ainsi, Benmoussa aspire, avec les syndicats, à un « nouveau statut des enseignants, ainsi que des solutions innovantes à la situation des cadres des académies, afin de sortir de la situation de non-dialogue », souligne-t-il notant « qu'il y a une prise de conscience que les conditions de travail du corps éducatif sont importantes et essentielles pour atteindre la qualité souhaitée ». Propos recueillis par Mokhtar Omari