La récente attaque visant des routiers marocains au Mali par un groupe non identifié cagoulé et en plein jour, fait ressurgir plusieurs interrogations. L'analyse de faits indique que l'affaire a une portée stratégique et politique. A qui profite le crime? L'affaire de l'assassinat de deux routiers marocains (et un troisième blessé) a choqué dans le royaume. Elle pose plusieurs constats car ces Marocains tués n'ont pas été pillés, ils ont été tués par des hommes à la couleur de peau claire, portant des gilets pare balle et cagoulés, selon les premiers éléments de l'affaire, et le crime s'est déroulé dans un axe stratégique du commerce marocain en Afrique. L'affaire revêt non seulement un aspect criminel, mais également stratégique et politique. La piste algérienne à ne pas négliger Et selon le politologue et spécialiste de l'Afrique, Mouassaoui Ajlaoui, qui a répondu aux questions de Hespress FR, la piste algérienne n'est pas à exclure. En voici les raisons: « Si l'on cherche dans les relations entre les services de renseignements algériens et les groupes djihadistes, on retrouve que l'ensemble des services secrets européens affirment qu'il existe des liens entre les deux, et notamment à travers Iyad Ag Ghali, (un un leader djihadiste Malien touareg) ». Ag Ghali, c'est le patron d'un cartel, un groupe djihadiste qui a fait allégeance à Al Qaida, rappelle notre interlocuteur, et d'indiquer qu'il existe également un autre groupe djihadiste au Mali, à savoir l'Etat islamique dans le grand sahara (EIGS). Aqmi (Al Qaida au Maghreb islamique, ndlr) est devenue, quant à elle, une branche de Nousrat al Islam wa lmouslimine (Groupe de soutien à l'Islam et aux Musulmans connu sous le sigle GSIM) d'Iyad Ag Ghali. Et, l'Etat islamique, Daech, compte parmi ses dirigeants d'anciens cadres du polisario (le mouvement séparatiste au Sahara, créé et soutenu par l'Algérie contre l'intégrité territoriale du Maroc au lendemain de la fin de la colonisation de l'Espagne). Selon Mouassaoui Ajlaoui, l'implication de l'Algérie via le polisario est possible car si c'est Daech qui a signé l'assassinat des routiers marocains, « cela fait référence directement à Abou Walid Sahraoui », un marocain natif de Laâyoune qui a rejoint le camp des séparatistes du polisario à Tindouf en Algérie. Ce dernier « est passé par le groupe de la jeunesse du polisario, avant qu'on le retrouve en 2012 sur la chaine de télévision Al Jazeera et là, il parlait au nom du mouvement Tawhid wa ljihad. Ensuite il a rassemblé tous les anciens du polisario pour créer l'Etat islamique dans le grand sahara, une organisation affiliée à Daech ». « Est-ce qu'il y a des liens entre cette organisation de Walid Al Sahraoui avec le mouvement du polisario qui obéissent aux ordres de l'Algérie pour orchestrer ce meurtre? La question reste posée et c'est une piste à prendre en considération et il faut creuser dans ce sens pour voir s'il y a une relation entre les trois », a lancé le spécialiste. Et d'affirmer que « ce qui est certain, c'est que les Européens affirment que les Algériens sont ceux qui protègent Iyad Ag Ghali », notant un intérêt porté pour le dossier malien par l'Algérie. En effet, ces derniers mois, le dossier Malien est revenu avec insistance dans les propos du président Algérien, Abdelmadjid Tebboune, à chaque fois qu'il a fait un discours, donné une interview en parlant des Affaires Etrangères, au moment où ce dossier était laissé à l'abandon par le pouvoir algérien pendant des années. « Ceux qui ont assassiné les routiers marocains, sont tous les ennemis du Maroc qui ne veulent pas qu'il crée et entretienne des relations en Afrique dans le sud su Sahara », a tancé le spécialiste de l'Afrique. La sécurité alimentaire de la région menacée L'affaire comporte trois volets, elle vise un objectif stratégique qui s'explique par une tentative d'intimidation visant le Maroc, un volet criminel et il concerne les autorités maliennes qui sont priées de mener leur enquête, de récolter les témoignages et toutes les informations en lien avec l'affaire, et enfin une dimension politique puisque cette tuerie porte atteinte à la présence politique du Maroc sur le continent africain. Alors que le Maroc a demandé aux autorités maliennes d'enquêter pour déterminer les responsabilités et trouver les auteurs du crime, « il devrait également se diriger vers l'Union africaine et au conseil de sécurité des Nations Unies parce que cette affaire touche à la sécurité et à la stabilité de la région », a déclaré notre interlocuteur. Il faut que le Maroc « demande une enquête sérieuse pour connaitre quelles sont les réelles parties qui ont commandité et exécuté ce crime », en ajoutant que la Minusma (la mission de paix onusienne au Mali) a une section consacrée aux enquêtes sur ce genre de crimes et elle sera à même d'enquêter en toute neutralité. « Il ne faut pas oublier que le Maroc assure la sécurité alimentaire des pays de l'Afrique de l'Ouest. Si la route commerciale reliant le Maroc à Nouakchott (plaque tournante du commerce en Afrique, ndlr) il va certainement y avoir une crise alimentaire dans la région », a souligné notre interlocuteur en faisant référence à la dimension stratégique de cette tuerie. Les auteurs de l'attaque ont cherché à « punir l'ensemble des pays de l'Afrique de l'Ouest qui ont ouvert des consulats à Laayoune et Dakhla dans le Sahara », a-t-il affirmé. Ceux qui ont signé ce double assassinat « sont contre l'ouverture du Maroc sur les pays de l'Afrique subsaharienne, ils ont la haine du poids que le Maroc a dans notre continent ». Et de rappeler que le chef de la diplomatie algérienne a ouvertement menacé le Maroc en annonçant la rupture des relations diplomatique entre les deux pays. « La tuerie intervient alors qu'il n'y a pas d'Etat en Algérie. Il y a une extension de l'absence de l'Etat, des fonctions de cet Etat, censé gérer les affaires quotidiennes, des citoyens », explique M. Ajlaoui. « L'Etat algérien n'arrive pas à satisfaire les besoins des citoyens algériens au niveau alimentaire, le pain a atteint des prix exorbitants, il y a une pénurie de lait, d'oxygène, de médicaments, même les voitures ont été interdites d'importation », énumère-t-il, affirmant que le nouvel Etat algérien sous les commandes du président Tebboune « explique tout par l'agression et par l'approche sécuritaire, d'où la multiplication des arrestations, visant même des généraux ». L'Etat algérien « essaye d'exporter ce mal-être interne et cette instabilité en s'attaquant au voisinage, notamment le voisin le plus proche, le Maroc, parce qu'il est tout le contraire de l'Algérie », où les généraux ont pillé les richesses du pays, s'offrent des résidences secondaires dans les capitales les plus chère d'Europe et paupérisent les finances du pays à coups de gros contrats militaires. « Certes nous avons nos propres problèmes, mais les citoyens ont accès à l'eau, aux vaccins, le lait est vendu partout, le pain pareil, il y a des structures routières, le TGV, les liaisons aériennes sont rétablies et le prix des billets sont moins chers qu'en Algérie etc. et c'est ce qui crée cette frustration et ce complexe chez les dirigeants algériens ». Selon M. Ajlaoui, alors que « les gens parlent de réconciliation entre les deux pays, il est très difficile de parler de cela tant que les fonctions de l'Etat seront absentes en Algérie, il y aura toujours une relation tendue », et cela s'est manifesté avec les discours haineux du président algériens dans la presse étrangère, les mouvements militaires aux frontières, les interdictions de liens commerciaux avec le Maroc, les agriculteurs Marocains chassés manu militari à Jerada, le refus de la main tendue du Roi, le refus des aides marocaines. « Il n'est donc pas à exclure que l'une des parties en Algérie soient derrière ce qui s'est passé au Mali », estime Moussaoui Ajlaoui.