Le projet de loi 33-21 modifiant et complétant la loi 131-13 relative à l'exercice de la médecine au Maroc fait polémique depuis son adoption au Conseil du Gouvernement le 27 mai 2021. Un projet qui vise à faciliter l'accès des médecins étrangers au Maroc afin de combler le manque énorme en personnel médical et accompagner le chantier de la protection sociale initié par le Roi Mohammed VI. Mais les professionnels du secteur privé comme du secteur public, à travers leurs syndicats, voient en ce projet de loi un « fiasco« , dénonçant ainsi l'absence de concertation pour son élaboration surtout qu'il permettra aux médecins étrangers de pratiquer la profession au Maroc sans conditions contraignantes. Pour mieux comprendre ce dossier, Hespress Fr s'est entretenu avec le président du Conseil national de l'Ordre des médecins, Dr. Boubekri Mohammadin. Photo : Souhail Rmidi Hespress Fr : Pourquoi cette polémique autour du PL 33-21 relatif à l'exercice de la médecine au Maroc? Dr. Boubekri Mohammadin. : D'abord je tiens à préciser qu'il y a deux projets de loi. Il y a le PL concernant les médecins étrangers qui a été déposé le 10 janvier 2019 par le ministère de la santé. Après l'envoi de ce projet au CNOM, l'ordre a tenu une réunion avec le directeur du contentieux et le directeur des hôpitaux au sein du ministère de la santé le 27 décembre 2019. Dans ce PL qui nous a été présenté, il y avait 4 articles à modifier de la loi 131-13 notamment l'obligation d'une expérience de trois ans pour le médecin étranger souhaitant exercer au Maroc et l'obligation de l'équivalence des diplômes. Par la suite, le CNOM a tenu son Assemblée générale les 10 et 11 janvier 2020 où nous avons adopté presque toutes les modifications du PL qui nous a été présenté en exigeant l'expérience de 3 ans, l'équivalence et la réciprocité des médecins marocains avec les médecins étrangers ainsi que la révision de la carte sanitaire marocaine. Dans le projet de loi 33-21 qui a été adopté par le CG, on a trouvé d'autres articles qui n'ont pas été mentionnés dans le PL de 2019. Ces articles dispensent les médecins étrangers de toute condition d'accès au marché marocain. C'est-à-dire la condition de l'expérience de 3 ans, la condition d'équivalence des diplômes et la condition de la qualité des diplômes. La polémique qui a été créée, intervient suite aux inquiétudes du CNOM pour la santé des Marocains. Pourquoi ? Parce que dans tous les pays du monde, il y a une commission qui vérifie la qualité scientifique des diplômes présentés par les médecins étrangers pour s'en assurer. Pour ce faire, cette commission réalise un examen théorique pour ces médecins étrangers, un examen des connaissances pratiques et un examen linguistique pour connaitre le niveau de la langue parlée dans le pays où il va exercer sa profession. Ce sont des exigences simples. Photo : Souhail Rmidi À quoi servira une carte sanitaire ? Pour le CNOM, on est conscient de la pénurie en médecins qui existe au Maroc. Mais on devra connaitre où se trouve cette pénurie selon les régions, selon les spécialités et selon les secteurs. On devra savoir combien de médecins étrangers vont s'installer dans les régions lointaines où il y a pénurie de médecins ou encore combien de médecins étrangers vont s'installer dans le secteur public et combien dans le secteur privé. Si on élimine toutes les conditions d'accès au marché marocain pour accepter les médecins étrangers et sans imposer la condition de la régionalisation, ça sera catastrophique pour le secteur. Tous les médecins étrangers vont s'installer à Casablanca et Rabat et ce projet de loi sera un fiasco. Pour nous, il faut absolument revoir la carte sanitaire et les besoins de chaque région selon chaque spécialité. Mais jusque-là, aucune étude n'a été réalisée par le ministère de la santé pour connaitre le besoin de chaque région et de chaque secteur. Il faut préciser qu'il y a trois catégories de médecins étrangers. Il y a la catégorie A qu'on appelle les médecins compétents ou médecins séniors. Avec cette catégorie on devra exiger une expérience de 5 ans et une exigence pour qu'ils enseignent leur pratiques et leur savoir-faire aux facultés, CHU et hôpitaux marocains. Ça, c'est la catégorie A dont les compétences sont connues de tous. Puis, il y a la catégorie B. Ce sont les médecins marocains résidant à l'étranger. Pour cette catégorie, et selon la loi 131-13, il y a une durée limitée de l'exercice de la profession au Maroc de 30 jours cumulée par an. (Chapitre IV : Exercice de la profession de médecine par es médecins non-résidents : Article 31 : Par dérogation aux dispositions du chapitre III du présent titre et à la législation relative à l'entrée et au séjour des étrangers au Royaume du Maroc, à l'émigration et l'immigration irrégulières, des médecins non-résidents au Maroc peuvent être autorisés à exercer exceptionnellement dans les cas suivants pour une période dont le total n'excède pas 30 jours par an ). Au niveau du CNOM, on n'est pas contre la hausse de la durée de cette période à 3 mois sans aucune inscription à l'ordre. Puis il y a la catégorie C. C'est les médecins étrangers débutants qui n'ont pas beaucoup d'expérience. On exige une durée de 3 ans d'expérience, un examen de savoir-faire sur le plan théorique, pratique linguistique. Si ces jeunes médecins n'ont pas l'expérience de 3 ans, ils doivent exercer dans un établissement agréé (CHU ou hôpital régional ou hôpital de fondation comme cheikh Zayed) sous le contrôle des paires (médecins Marocains qui les entrainent). Tout cela pour préserver la santé des citoyens marocains. Photo : Souhail Rmidi Que pensez-vous des amendements proposés par le CSNMSP, le SNMG, le SNMSL et l'ANCP ? Pour nous, et afin que les médecins étrangers exercent au Maroc, que ce soit dans les zones lointaines ou au centre, surtout pour les médecins étrangers débutants, ils doivent absolument exercer dans des institutions agréées pour contrôler leur compétence. Parce que, si on se réfère au discours royal qui exige la refonte du système de santé et pour un vrai investissement dans le système de santé, ces médecins étrangers doivent exercer dans le secteur public et privé. Pour nous, ces associations doivent changer leurs recommandations concernant l'ancienneté et l'exercice dans le secteur. Ce n'est pas préférable de motiver les compétences nationales, les futures médecins ou encore les médecins marocains résidant à l'étranger pour combler cette pénurie au lieu de faire appel aux médecins étrangers ? Dans les recommandations de l'assemblée générale des conseils du CNOM adressées au ministre de santé et lors de la réunion avec le ministre, on a exigé la motivation du médecin marocain pour qu'il n'immigre pas à l'étranger et pourvoir ainsi stopper cette hémorragie. On a également demandé la motivation des médecins du secteur public pour qu'ils n'abandonnent pas leur poste ou encore le soutien qui doit être apporté aux médecins retraités marocains por leur installation dans le privé avec des motivations sur le plan fiscal, financier… Pour les médecins marocains à l'étranger on a livré une recommandation pour la suppression de la durée d'un mois et l'étaler à 3 mois en supprimant également l'inscription à l'Ordre des médecins au Maroc, vu l'exigence de s'inscrire dans un seul ordre et pas deux. Comment selon vous on peut remédier à la pénurie des médecins et réformer le système de santé ? Il faut créer une carte sanitaire pour connaitre les besoins et l'offre des soins. Il faut revoir la tarification nationale au sein de l'agence nationale d'assurance maladie (ANAM) et surtout penser à une motivation réelle des professionnels. Et enfin, changer la gouvernance de ce système de santé.