Pour la première fois, les femmes journalistes s'expriment sur le métier qu'elles ont choisi ainsi que sur les pistes d'amélioration pour davantage de présence dans le secteur et aux commandes des entreprises de presse. Toutes les femmes interrogées dans le cadre, d'une étude diligentée par la section Maroc de l'Union internationale de la presse francophone (UPF Maroc) et présentée récemment lors d'une conférence-débat, ont répondu à l'unanimité qu'elles sont journalistes avant d'être femmes. Toutes ou presque revendiquent ce métier comme une vocation et un « métier passion ». Aussi, pour toutes les participantes à l'étude, c'est une profession de valeurs, basée sur l'éthique et la déontologie car l'information crédible, rigoureuse et transparente est sacrée. « Le journaliste a un rôle à jouer au sein de la société pour promouvoir des idées, mais à condition d'avoir de l'honnêteté intellectuelle, le sens de l'éthique et du respect pour ses lecteurs/auditeurs ou téléspectateurs. Une remise en question permanente est également essentielle dans l'exercice du métier », se sont accordées à dire les sondées, qui évoquent, par ailleurs, les relations hommes-femmes dans le métier. Discriminations Public/Privé: Match inéquitable Elles les estiment «correctes à cordiales» du moins chez l'ancienne génération, qui a toujours su gérer les éventuels dérapages comme elles ont su gérer leur vie familiale avec des conjoints compréhensifs. Quant aux plus jeunes, elles sont moins armées et aussi moins engagées et donc davantage soumises aux désagréments dans l'exercice du métier et s'imposent moins dans leur vie privée. Et de signaler également des agissements sexistes et le harcèlement sexuel, expliquant qu'ils existent dans presque tous les médias, que ce soit au sein même de la rédaction ou à l'extérieur, pendant les reportages et interviews. Sur cette question, les journalistes questionnées préfèrent ne pas trop s'attarder sur ces faits qu'elles disent savoir gérer, voire dépasser. Par contre, ce qu'elles estiment inéquitable c'est une forme de discrimination enregistrée plus dans le privé que dans le public. « Les discriminations liées à l'embauche, aux salaires, aux promotions, aux primes,...semblent, de prime abord, ne pas exister dans les institutions et médias étatiques. Ces institutions ont instauré depuis quelques années déjà une parité qui concerne aussi bien la représentation des femmes dans les médias que celle des journalistes. Plafond de verre et vrai pouvoir L'égalité salariale entre les journalistes hommes et femmes existe bel et bien. Les mécanismes de promotions sont appliqués équitablement sur la base des compétences », relèvent-elles, tout en précisant : « Les femmes journalistes exerçant dans les médias publics se sentent aussi protégées, en cas de sexisme ordinaire, du fait de l'existence de recours en interne, matérialisés par des Comites Parité et Diversité présidés par des femmes dans ces institutions. De son côté, le secteur privé se distingue par un environnement fortement concurrentiel, caractérisé par le règne de la loi du plus fort. En règle générale, c'est celle des hommes. Parfois des femmes ». Et de ressentir en outre qu'elles sont peu nombreuses au top management : « Dans le paysage médiatique marocain, les femmes au top management se comptent sur le bout des doigts. Les "vrais chefs" sont des hommes. Ce sont eux qui détiennent les cordons de la bourse ». Les enquêtées argumentent leurs propos : « A compétences égales, les hommes sont privilégiés. Les femmes sont jugées moins disponibles en raison de la maternité et l'éducation des enfants. Chacune à son niveau se heurte au fameux «plafond de verre». Elles se trouvent ainsi bloquées dans leur carrière, avant même d'avoir pu accéder au «vivier» des cadres susceptibles d'accéder à des fonctions de responsabilité », avouent-elles, ajoutant que le vrai pouvoir est masculin et omniprésent. Journalistes d'abord et avant tout! Et de déplorer : « Cette réalité et la surreprésentation des hommes aux postes de manager conduit certaines femmes à être confrontées à un manque de légitimité et de prise en considération de leur parole lorsqu'elles occupent, elles aussi, des postes à responsabilité ou lorsqu'elles affichent la volonté de progresser dans la hiérarchie ». Autre bémol, le regard social. Dans le cadre de cette étude, les femmes ont bien voulu partager leur vécu et ce qu'il en ressort laisse coi. « Autre contraintes, cette fois-ci d'ordre familiale, c'est le regard négatif que porte la société sur ces femmes qui travaillent souvent tard et pendant les jours fériés, confiant leurs enfants aux conjoints ou à leur famille proche. Un regard social qui pèse lourdement et qui aboutit parfois à une forme de culpabilisation. Face à cette pression, certaines préfèrent s'autolimiter et renoncer à progresser, d'autres rencontrent compréhension et soutien de la part du conjoint et des proches », soupirent-elles. Ceci étant, l'étude s'est également focalisée sur des pistes et recommandations pour pallier à la situation et qui ont trait notamment au fait de se constituer en réseaux pour devenir plus solidaires ; d'investir sur la montée en compétences notamment à travers les formations ; de partager mais aussi transmettre des valeurs et des principes d'une génération à une autre pour valoriser les aînées qui deviennent des sources d'inspiration et des modèles à suivre et d'instaurer un contre-pouvoir (au féminin) à l'image des «Sociétés de journalistes», comme il en existe dans d'autres contrées. Initiée avec le soutien du Service de Coopération et d'Action Culturelle de l'Ambassade de France au Maroc, cette étude a été conduite par le cabinet VQ, mandaté par l'UPF Maroc et a été menée auprès de 291 femmes journalistes, d'âges et de médias confondus, qui utilisent les 3 langues, arabe, français et amazigh et qui sont installées dans les différentes régions du Royaume.