En date du 17 avril 2021, la Cour de cassation marocaine a rendu une décision refusant le droit à la filiation paternelle aux enfants nés hors mariage, même s'il existe des preuves biologiques d'ADN pour le prouver. Une décision qui vient mettre à la poubelle une jurisprudence qui date de 2017, lorsque le tribunal de première instance de Tanger reconnaissait pour la première fois au Maroc la filiation d'une fille née en 2014 d'une relation extraconjugale en obligeant le père à verser une pension alimentaire. Une décision qui a été dénoncé par l'Association Démocratique des Femmes du Maroc, qui a exprimé dans un communiqué avoir appris avec stupéfaction l'arrêt rendu le 29 septembre 2020 par la Chambre du Statut Personnel de la Cour de cassation, selon lequel l'enfant « illégitime » ne peut prétendre à aucun droit vis-à-vis du père biologique, ni par filiation paternelle ni par filiation parentale. Cette décision intervient, poursuit l'association, alors que le tribunal de première instance de Tanger avait confirmé, il y a trois ans de cela, la filiation paternelle d'une fille née hors mariage et avait condamné le père biologique à verser une indemnisation d'un montant de 100.000 dirhams. La Cour d'appel ayant annulé ce jugement clairvoyant, la mère a dû recourir à la Cour de cassation, laquelle a confirmé la décision de la Cour d'appel rejetant la reconnaissance de la filiation souligne l'ADFM. Préjudice à l'intérêt moral et matériel des enfants Suite à ces faits et à cet arrêt «injuste et révoltant» selon l'ADFM, ainsi qu'aux motifs invoqués aussi bien par la décision de la Cour d'appel que par l'arrêt de la Cour de cassation, l'Association Démocratique des Femmes du Maroc considère que cet arrêt confirmatif constitue « une violation flagrante de la Constitution marocaine qui reconnaît dans son préambule la primauté des conventions internationales, et une violation grave des droits et de l'intérêt supérieur de l'enfant consacrés par l'article 32 de la Constitution, qui énonce que l'Etat assure une égale protection juridique et une égale considération sociale et morale à tous les enfants, abstraction faite de leur situation familiale». L'association considère également qu'il s'agit d'une interprétation et une application rétrogrades de la Moudawana qui s'éloignent de l'esprit et des finalités ayant présidé à son adoption. Cette interprétation et application «à mauvais escient» visent paradoxalement, selon elle, à restreindre la teneur du texte et en juguler les contenus prospectifs, préférant une interprétation étroite des textes et le recours à des références antiques et révolues en dépit des preuves scientifiques apportées par l'expertise génétique (test ADN et des engagements internationaux du Maroc relatifs aux droits de l'Homme. Mais pas que ! L'ADFM estime que cet arrêt de la Cour de Cassation est un «affront à la jurisprudence, fondée sur la force des preuves factuelles, faite par le Tribunal de première instance de Tanger, lequel tend vers le renouveau et l'interprétation plus ou moins positive des textes, et motive son jugement via l'ouverture aux instruments internationaux relatifs aux droits de l'Homme, et ceux notamment inhérents aux droits de l'enfant et aux droits humains des femmes». L'association considère aussi cette décision comme une consécration par le droit de la vulnérabilité de la femme qui assume seule la responsabilité d'un enfant né hors mariage en considérant que « la relation qui liait les deux parties au conflit était une relation sexuelle illégale (« fassad ») … et que la fille née de cette relation est étrangère à son géniteur et ne peut ainsi prétendre à aucune indemnisation car elle est le fruit d'un acte illégal dont la mère était partie ». « Une pareille décision constitue un préjudice à l'intérêt moral et matériel des enfants dans la mesure ou la Cour de cassation est la plus haute instance judiciaire du Maroc censée aboutir à diverses conclusions, dont certaines portent sur les caractéristiques générales de l'action judiciaire et d'unifier la jurisprudence et faire en sorte que l'interprétation des textes soit la même dans tout le pays », estime l'ADFM. L'ADFM rappelle que cette décision s'ajoute à un ensemble d'arrêts similaires et inéquitables rendues par la Chambre du statut personnel de la Cour de cassation qui ont fait l'objet d'une étude analytique intitulée « Le Code de la famille entre texte et application à travers l'action judiciaire de la Cour de cassation », réalisée en 2018. L'objectif de ladite étude est d'analyser les arrêts rendus par la Cour de Cassation en matière d'application du Code de la famille, de les interpréter et de démontrer leur alignement sur les dispositions constitutionnelles ainsi que sur l'esprit du Code de la famille, tout en formulant des recommandations générales et spécifiques sur la jurisprudence de la Cour de cassation et les problèmes y afférents A cet effet, l'ADFM annonce qu'elle met à disposition ladite étude et appelle la Cour de cassation, notamment la Chambre du statut personnel, à s'engager à faire référence au référentiel international des droits de l'Homme, des droits de l'enfant et des humains des femmes dans les motivations des arrêts, à l'instar de ce que font certaines chambres de la Cour. Elle l'exhorte également à se conformer dans ses arrêts au texte constitutionnel qui prévaut sur les législations non encore harmonisées et au référentiel juridique relatif aux droits de l'Homme tout en adoptant un langage moderne que peuvent comprendre tous les justiciables, femmes et hommes. De même, l'association appelle l'institution législative à procéder à une révision urgente et complète du Code de la famille, et garantir son harmonisation et sa conformité avec le texte constitutionnel et avec les conventions internationales relatives aux droits de l'Homme, aux droits de l'enfant et aux droits humains des femmes. L'ADFM appelle également le législateur à accélérer l'adoption du projet loi organique relative à l'exception d'inconstitutionnalité afin de garantir la non-violation des droits garantis par la Constitution. S'agissant du ministère de la Justice, l'ADFM appelle cette institution gouvernementale à réviser les programmes de formation des magistrat-e-s en y intégrant des matières sur les conventions internationales relatives aux droits de l'Homme, aux droits de l'Enfant et aux droits humains des Femmes, et à mettre en place des programmes de formation continue au profit des différents professionnels de la justice en matière de droits de l'Homme en général, de droits de l'enfant et de droits humains des femmes en particulier. In fine, l'association appelle l'Institut Supérieur de la Magistrature à réviser les programmes de formation des magistrat-e-s, en y incluant des matières sur les droits de l'Homme, les droits de l'enfant, et sur les droits humains des femmes ainsi que des matières sur l'approche genre, tout en accordant à ces modules la même importance que les autres matières et sujets enseignés.