L'accueil du chef de la milice des séparatiste sahraouis, Brahim Ghali, en Espagne pour des soins liés à une infection au coronavirus, a ravivé un sentiment de méfiance de Rabat à l'égard de Madrid au sujet de la question du Sahara marocain. Pour le politologue Tajeddine El Hussaini, la complicité entre Alger et Madrid qui s'est faite au plus haut niveau est « très grave » et met en doute la neutralité de l'Espagne. Alors que les deux royaumes sont officiellement toujours en bons termes, les faits ne semblent pas donner cette impression. Le complot entre Madrid et Alger pour faire passer incognito un tortionnaire menaçant la souveraineté du Maroc depuis plus de 40 ans, est une pilule qui aura du mal à passer à Rabat et des leçons doivent en être tirées et les conséquences, de la même manière, doivent être attendues. La complicité entre Tebboune et Sanchez est « très grave » « La diplomatie espagnole a commis une erreur à partir du moment où elle a accepté de recevoir Brahim Ghali sous cette forme », a déclaré à Hespress FR Tajeddine El Houssaini, expert en relations internationales. Et cela révèle une « fragilité dans la prise de décision en Espagne par rapport à ces questions sensibles ». Selon lui, il aurait pu être compréhensible et acceptable de recevoir une personne comme lui pour des raisons humanitaires mais pas « le fait qu'il soit présenté avec un nom d'emprunt algérien, que ses papiers soient falsifiés et qu'ils aient camouflé ce qui se passait jusqu'à ce que la presse ne le révèle pour faire une déclaration officielle ». « Le fait de cacher l'identité de Brahim Ghali est une complicité malhonnête entre deux puissances qui sont l'Algérie et l'Espagne, et entre deux chefs d'Etat, et ça c'est très très grave », ajoute notre source qui critique l'entente entre le président algérien Abdelmadjid Tebboune et le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez pour éviter à l'intéressé des poursuites judiciaires qui l'attendent depuis 2008. L'expert a cependant relevé que la justice espagnole « qui heureusement est indépendante et neutre » saura faire la part des choses en procédant à l'arrestation de l'intéressé, visé par plusieurs graves accusations (pour entre autres, génocide et viol) et un mandat d'arrêt. Le Maroc, le sage dans l'histoire Si le Maroc n'a pas choisi l'option de l'escalade dans cette affaire de la plus haute importance, car il s'agit de son intégrité territoriale pour lequel le Royaume se bat depuis son indépendance, il ne faut pas croire qu'il restera les bras croisés et laisser un pays qui se présente comme bien plus qu'un « partenaire », comploter dans son dos, même si, notre interlocuteur n'y voit pas réellement « une source de confrontation ». « Cet événement, je trouve que ce n'est pas grand-chose, et je pense que ce ne sera pas nécessaire d'aller vers l'escalade » a-t-il estimé. Officiellement, la diplomatie marocaine a fait part de sa déception face au comportement de Madrid, faisant preuve de résilience et de sagesse dans sa position. Il n'y a pas eu de forte dénonciation, et pas de surenchère même si dans cette affaire, c'est l'Espagne qui a tout à perdre si sa relation avec le Maroc venait à être compromise. « Je pense que c'est un accident de parcours dans les relations entre les deux pays », a insisté Tajeddine El Hussaini en affirmant que le Maroc a fait ce qu'il fallait en rappelant l'ambassadeur espagnol à Rabat pour donner des explications au ministère des Affaires Etrangères. « Je pense que ça doit s'arrêter là », a-t-il déclaré. « L'Espagne est l'ancien colonisateur du Sahara, elle détient beaucoup de preuves et documents concernant l'aboutissement de ce dossier » a ajouté M. El Houssaini, affirmant que le Maroc a intérêt à coopérer avec l'Espagne et que cela s'est manifesté notamment avec la non réclamation des deux exclaves de Sebta et Melilia, justement « pour garder ce genre de relations fraternelles avec l'Espagne ». Côté espagnol, le Maroc joue de son côté, le rôle du gendarme par rapport aux questions de l'immigration illégale, et « cela est très important pour l'avenir de l'Espagne ». Cette relation doit obligatoirement être bien équilibrée ou alors chacune des parties va terminer perdante, a noté l'expert. Madrid met en doute sa neutralité sur le Sahara Pourtant, en titillant le Maroc, une première fois en approchant en sous-marin l'administration Biden pour lui demander de revenir sur la décision de reconnaissance de la marocanité du Sahara faite par son prédécesseur Donald Trump, l'Espagne, ancien colonisateur du Sahara, avait déjà brûlé de précieuses cartes avec le Maroc. Cette fois-ci, encore une fois, l'Espagne a donné au monde un aperçu de sa diplomatie bancale et illogique (alors qu'elle-même fait face à des séparatistes toutefois non armés non soutenus par un voisin, ndlr) après que son plan a été révélé au grand public grâce à un article de Jeune Afrique. Alors que l'Espagne cherche à redorer l'image de sa diplomatie et aspire à devenir un pays de poids sur l'échiquier international et en Afrique en particulier, cette affaire de Brahim Ghali a surtout montré son côté sournois et indigne de confiance. « Cette bêtise commise par l'Espagne met en doute sa position de neutralité (sur la question du Sahara). D'ailleurs s'ils (l'Espagne et l'Algérie, ndlr) commencent à être complices pour des choses comme ça, pourquoi pas pour d'autres comme l'armement, la fuite d'information, les positions au niveau des instances internationales et surtout devant la Cour de justice européenne ou au Conseil de l'Europe… », a avancé M. El Hussaini. Toujours selon notre interlocuteur, la diplomatie marocaine est assez intelligente pour ne pas en arriver à insulter l'avenir a-t-il fait valoir, estimant que « l'Espagne actuellement est en train de souffrir de l'intérieur avec des partis extrémistes qui commencent à prendre part à la prise de décision et forment une opposition très forte ». « Malheureusement l'Algérie intervient chaque fois pour bloquer de nouveau la situation et après tout, l'Espagne n'est plus le seul acteur. C'est vrai qu'il l'est en complicité avec l'Allemagne qui a demandé la réunion du conseil de sécurité à la surprise générale, mais lorsqu'on voit les projets d'avenir et la domination de la région, ça constitue effectivement une concurrence et ça nous fait comprendre mieux ce qui se passe ».