Les Algériens célèbrent l'anniversaire des deux ans du Hirak, un mouvement populaire pacifique qui a fait tomber l'inamovible président Abdelaziz Boutelfika, après 20 ans au pouvoir dont 6 dans un état d'impotence à cause d'un accident vasculaire cérébral. Deux ans après, le régime algérien craint toujours la reprise de la contestation. Retour sur ce mouvement apolitique qui a chamboulé le pays. Le 22 février 2019 naissait une nouvelle révolution de l'Algérie qui a redonné le pouvoir au peuple et effrayé la classe dirigeante. Elle s'était organisée autour d'une seule revendication au début : Pas de 5ème mandat de la honte avec Bouteflika (atteint d'un AVC depuis 2013) et son camp. Petit à petit les revendications et la parole se sont libérés et les Algériens ont demandé une redistribution des cartes du pouvoir, ont réclamé de profonds changements au niveau de leur système politique, de leurs dirigeants et ont remis en cause leur Etat dirigé par des militaires. « Dawla madania machi askaria », un Etat civil et non militaire, ont crié des « millions » d'Algériens chaque semaine durant ce mouvement populaire l'ampleur incroyable qui a fait remettre en cause toutes les fondations de l'Etat algérien, gouverné par des militaires et des oligarques. Le cri de millions d'Algériens s'est fait entendre au-delà des frontières et a laissé le monde stupéfait de la prise de parole audacieuse du peuple algérien, de son désarroi et surtout de son ras-le-bol face à une « continuité » avec les mêmes symboles du pouvoir, qui ne leur a rien rapporté. Et c'est sans leader, sans base politique, que ce mouvement a fait trembler les arcanes du pouvoir algérien car, en l'absence d'un cerveau, d'une personne ou même d'un groupe, il était difficile de mater la contestation, si bien que, le pouvoir a commencé à réprimer les voix dissonantes en commençant par les journalistes, en bloquant les médias, et en arrêtant les politiques ou personnages hauts en couleurs qui pourraient se rebeller et entraîner avec eux un vaste mouvement concerté et organisé. Un mouvement déterminé Mais même avec toutes les manœuvres de déstabilisation et d'intimidation hautement décriées du pouvoir, les manifestations ne se sont pas arrêtées et les revendications sont restées les mêmes marquant un rejet net du gang de la « Issaba » au pouvoir. Plusieurs fois par semaine, les manifestants sortaient pour réclamer un changement du pouvoir, avec une organisation naturelle qui s'est faite, les mardis pour les étudiants, et les vendredis pour toute la nation. Et leur détermination n'a été ébranlée ni par les vacances, ni par les conditions climatiques. Qu'il pleuve, qu'il vante, ou sous un soleil de plomb, les activistes du Hirak n'en démordaient pas, si bien que le pouvoir n'a pas pu organiser d'élections présidentielles une première fois, avant d'en imposer de nouvelles avec Abdelmadjid Tebboune (issu du parti d'Abdelaziz Bouteflika) « élu » comme nouveau chef du pays lors d'un scrutin largement boycotté. Un an après, le Hirak a été arrêté dans son élan, et le pouvoir ayant trouvé son pain béni grâce à la pandémie du coronavirus pour imposer des restrictions, et continuer sur sa « feuille de route » pour asphyxier la liberté d'expression, la presse et l'opposition, et en laissant pourrir dans les geôles algériennes toutes les personnes susceptibles de faire du bruit (anciens militaires, anciens chefs des services de renseignement, opposants politiques, journalistes et bloggeurs...). Tebboune bloque le Hirak et avance sur sa « feuille de route » Mais la stratégie du pouvoir algérien n'échappe pas à l'œil des observateurs étrangers et plusieurs institutions internationales ont pointé du doigt les dérapages de ce régime autoritaire notamment sur la question des droits de l'Homme. Lundi, le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres, a choisi le 22 février qui marque les deux ans du Hirak pour faire allusion à l'Algérie sans la nommer devant le Conseil des droits de l'homme. « Brandissant la pandémie comme prétexte, les autorités de certains pays ont pris des mesures de sécurité sévères et adopté des mesures d'urgence pour réprimer les voix dissonantes, abolir les libertés les plus fondamentales, faire taire les médias indépendants et entraver le travail des organisations non gouvernementales », a-t-il déclaré devant le Conseil des droits de l'homme dans un message vidéo pré-enregistré. « Les restrictions liées à la pandémie servent d'excuse pour miner les processus électoraux, affaiblir les voix des opposants et réprimer les critiques », a-t-il insisté. Les prétendues « réformes » mises en place sous couvert de réaction aux demandes du Hirak se sont révélées être un agenda pour mieux serrer la vis. Deux ans après, Abdelmadjid Tebboune a modifié le code pénal, a renforcé la répression contre les activistes sur les réseaux sociaux, va mater les médias, a lancé une réforme constitutionnelle sans explication et à laquelle la majorité des Algériens n'a pas adhéré mais qu'il a quand-même fait passer depuis son lit d'hôpital en Allemagne. Abdelmadjid Tebboune en incarnation même de l'autoritarisme, ne s'est pas arrêté là. Il vient de remanier son gouvernement, a dissout le Parlement et convoqué des élections législatives anticipées pour, encore une fois, mettre des bâtons dans les roues des opposants et s'octroyer les pleins pouvoirs. L'anniversaire des deux ans sous dispositif de sécurité Dans un pays miné par la crise économique où tous les voyants sont au rouge malgré l'omerta des dirigeants, et après deux longs séjours en Allemagne pour se soigner pendant que le peuple se contente de lits d'hôpitaux insalubres, et une campagne de vaccination qui a touché moins d'une centaine de personnes dans un pays de plus 42 millions d'habitants, Abdelmadjid Tebboune a trouvé la parade en « libérant », à quelques jours de l'anniversaire des deux ans du Hirak, une cinquantaine de prisonniers injustement incarcérés et dont certains n'ont pas eu droit à un procès malgré un an passé en prison. Mais le cœur de la contestation bat toujours et pourrait surprendre. Le régime reste tourmenté, angoissé, d'une possible reprise des manifestations, d'un déchaînement de la population face à ce piège tendu par Abdelmadjid Tebboune et sa Issaba. Dès lundi matin, des hélicoptères tournaient et survolaient les villes, les rues ont été quadrillées, et un important dispositif policier a été mis en place dans le pays et surtout dans la capitale, vile sur laquelle tous les yeux sont rivés. Mais même si le pouvoir tente de bloquer les manifestations aujourd'hui, le mystère reste plein et la contestation pourrait reprendre plus tard, et sous une nouvelle forme.