Qui n'a pas rêvé de travailler chez lui ? Le travail à distance, ardemment souhaité, et finalement devenu réalité, confinement oblige, a révélé bien des aspects « désagréables », qui ont fait que ce rêve se soit transformé en une commodité, finalement très pesante. Pr Jaouad Mabrouki nous en dit plus. Pour l'expert en psychanalyse de la société marocaine et arabe, cet état de fait, résultat, non pas d'un choix, mais d'une obligation, présente aussi bien des avantages que des méfaits. Du côté des points positifs, explique-t-il à Hespress FR, ils sont d'ordre sanitaire, matériel, écologique, familial ou encore relatifs à la gestion du temps. Sur le plan sanitaire, notre interlocuteur estime qu'«évidement, en travaillant à distance, nous ne nous exposons pas aux risques de contamination et donc nous participons à la lutte contre la pandémie». De même, ajoute-t-il, «nous nous déplaçons moins, que ce soit avec les transports publics ou individuels, et partant, nous économisons de l'argent et nous baissons l'émission des gaz toxiques pour l'environnement». Par ailleurs, et en termes de « gain familial », les citoyens sont tous, du moins la grande majorité, «confinés et heureux d'être ensemble, offrant ainsi aux enfants l'opportunité de passer plus de temps avec leurs parents, et de découvrir la façon dont se déroule leur travail des adultes ». Ceci demeure, bien entendu, « tributaire d'une une bonne organisation à mettre en place », tient-il à préciser. Dr Mabrouki, évoque, également, le volet psychique de la question, notant que le télétravail permet «d'économiser le stress quotidien, quand les personnes étaient habituées à courir à droite et à gauche et que tout se faisait à la hâte et était chronométré (réveil matinal brutal, course contre la montre pour être prêt et préparer les enfants à temps, la circulation, le bureau, les devoirs, les courses...) ». Et partant, relève l'expert, en étant à la maison, le temps est mieux géré. « A domicile, le travail est géré autrement, de manière plus souple », note-t-il. En revanche à long terme, cette souplesse nous pose des nouvelles contraintes comme la fusion du temps de repos et celui du travail, ce qui nous amène au revers de la médaille du télétravail. Sevrage social, entre autres Ainsi, nous dit Dr Mabrouki, en termes d'inconvénients, la fourchette est large : manque du contact social, fusion temporelle, dissonance cognitive travail/vacances, désorganisation spatiale, sentiment de dévalorisation ou encore le stress lié à la famille ou aux clients. «Quelles que soient nos plaintes quotidiennes, avant le confinement, aussi bien sur les trajets avec les autres conducteurs, les usagers du transport public, les collègues de travail, nous nous rendons compte que ceci nous manque énormément », avance le psychanalyste. Comprenez: Nous sommes des êtres sociables et nous avons besoin de contact humain et d'échanges. Nous avons besoin de parler aux autres, de les regarder, de les écouter et de les sentir, et cet échange est vital pour notre équilibre psychique. Par conséquent, souligne notre interlocuteur, « ce manque dans le télétravail, crée un vide, une nouvelle expérience proche de celle de la prison et rapidement la personne commence à se lasser et à souffrir de ce syndrome de sevrage social ». D'autre part, la combinaison travail à distance/confinement, procure une illusion que le temps est élastique. «Un laisser-aller s'installe, nous travaillons avec beaucoup de temps de pause, nous prenons un goûter avec les enfants, nous préparons un café puis un thé puis jus, nous lançons une recette de cuisine, nous recevons et nous émettions des appels téléphoniques avec des amis et des proches… », détaille l'expert. C'est pour cette raison, ajoute Dr Mabrouki, que «nous sommes contents d'être en week-end même en confinement car les contraintes du travail sont suspendues pendant 48 h ». Dans le même ordre d'idées, il explique que le télétravail se passe comme « des vacances » où il est nécessaire de travailler, ce qui se répercute sur le temps de repos, qui va se rétrécissant. En d'autres terme, la personne se retrouve dans une situation « bizarre », où elle est en vacances puisque confiné à la maison, mais doit travailler comme si elle était au bureau. « Cette dissonance perturbe les fonctions cognitives et oblige à vivre une contradiction, et c'est là l'une des raisons lesquelles la personne est stressée 24h/24, encore plus que durant les jours habituels, et dans ces conditions, peut aisément développer une dépression masquée », met-il en garde. Seulement, poursuit-il, «nous nous rendons compte à un moment donné que nous avons pris du retard et nous finissons alors notre travail à l'heure habituelle des bureaux et nous ne comprenons pas pourquoi nous sommes épuisés comme si nous avions travaillé à l'extérieur de la maison. Au fil des jours, nous commençons rapidement à sentir le matin le malaise habituel d'aller encore au travail». Sur un autre volet, d'autant plus complexe, Dr Mabrouki fait noter que «le travail est défini par le temps et l'espace. En changeant le temps et l'espace, ce même travail perd beaucoup de sa substance et de sa valeur aussi bien pour la personne que ses clients ou ses supérieurs ». Et, analyse-t-il, cette impression de « il ne s'agit plus d'un VRAI travail », provoque un sentiment de sous-estimation avec une note de malaise et de tristesse, et la libération d'une importante dose de stress, facteur déclenchant par la suite d'une dépression. Ce sentiment de mésestime, conduit fatalement à une dévalorisation de l'image de soi. Notre interlocuteur détaille : «En situation de télétravail, la personne ne se donne plus la peine de prendre une douche matinale, de choisir ses vêtements et de se faire belle, alors même que cela a une grande importance pour le regard sur soi-même et pour le regard des autres ». Autre aspect stressant du télétravail, met en avant Dr Mabrouki, la manière dont il est perçu par l'entourage immédiat, autrement dit familial. « A partir du moment où la personne est à la maison, les membres de la famille ne comprennent pas pourquoi elle n'est pas disponible pour eux. Cette pression induit un gros stress et un sentiment de culpabilité », souligne-t-il. Vient également s'épingler à la question du stress, celui créé par la hiérarchie ou des clients:« Pour les clients ou les supérieurs, l'employé est à la maison, et a donc tout le temps et est disponible 24 /24 car le travail à la maison est facile et il n'a plus besoin d'un temps de repos ». Au vu de tous ces « facteurs de risque », l'expert estime « plus facile de développer un burn-out en télétravail car lesdits les facteurs se réunissent à la fois et instantanément, et cela pourrait expliquer le nombre de parricides observés à travers le monde pendant ce confinement sanitaire ». Dr Mabrouki en conclut que «si nous imaginons que le télétravail était un choix et non imposé par le confinement, nous aurions dû avoir le temps de préparer et d'étudier ce mode de travail afin de cloisonner la temporalité et la spatialisation séparant ainsi le temps de travail, le temps de repos et le temps pour la vie familiale ».