L'emprunt des grands taxis au royaume est un calvaire quotidien auquel s'adonne une large catégorie de Marocains. Pour aller à l'école, l'université ou le travail, les grands taxis, communément appelés « taxis blancs », sont, parfois, la seule alternative pour se rendre à sa destination. Chose qui n'est pas toujours facile vu le dérangement que cela provoque. Un dérangement dû, en grande partie, à l'entassement dans les grands taxis de 7 passagers, collé l'un à l'autre pendant toute la période du trajet, « sans intimité et sans respect de la bulle personnelle de chacun », souligne le Dr Mabrouki Jaouad, expert en psychanalyse de la société marocaine et arabe et psychiatre, dans une analyse de ce phénomène. En effet, au début de son analyse, intitulée « Les grands taxis marocains, le transport de la marchandise humaine », le Dr Mabrouki qualifie ce moyen de transport « d'inhumain et où le citoyen perd toute sa dignité », faisant ainsi une comparaison avec les pays développés, où des « lois strictes sont imposées au transport des animaux, et où ces derniers profitent d'un espace propre à eux en fonction de leur taille », alors que dans un grand taxi, 7 personnes sont entassées. Face à ce fléau, le psychanalyste s'est donc posé plusieurs questions « contradictoires » et qui touchent à plusieurs volets, notamment la charia, la sécurité routière, l'hygiène sanitaire physique et psychique, ainsi que le respect des droits du citoyen. Dans le volet charia, le Dr Mabrouki soulève que la religion « interdit la promiscuité des hommes et des femmes. Or nous observons que dans un grand taxi, femmes et hommes sont entassés et presque fusionnés. Le pire, c'est que parmi ces clients, nous avons des femmes voilées, qui ne saluent pas les hommes avec la main, et des hommes avec la barbe et le tampon de la prière sur leurs fronts qui, sans aucune gêne, sont collés les uns aux autres de la cheville aux épaules », soulignant ainsi que « plusieurs femmes se plaignent de harcèlement sexuel en ressentant que le passager d'à côté profite de la situation et en tire plaisir ». En ce qui concerne la sécurité routière, le psychanalyste aborde « le paradoxe du port de la ceinture », rappelant qu'aucune berline ne dispose de 7 ceintures de sécurité. Il s'est donc demandé « où est passé le code la route ? Est-ce qu'une seule personne dans sa voiture personnelle, sans ceinture de sécurité, est considérée en danger, tandis que 7 personnes tassées sans ceinture de sécurité ne le sont pas ? Ou bien peu importe, il ne s'agit que d'une marchandise humaine ? ». Des questions « paradoxales » en effet, tout aussi bien que leurs réponses. Interrogé par Hespress FR sur le port de la ceinture, un chauffeur de taxi nous a déclaré que « les autorités ont bien fait de ne pas imposer la ceinture aux chauffeurs et passagers des taxis ». « Ce n'est pas évident pour nous de mettre la ceinture ! On est amené à descendre ouvrir les portes, porter les bagages des passagers, vérifier des fois l'état des pneus et du véhicule, ce qui fait que le port de la ceinture n'est pas pratique pour nous. Et même pour le passager, puisque des fois le trajet est court. En ce qui concerne la sécurité routière, on circule en ville, et le risque de faire un accident grave est très réduit », « justifie » ce chauffeur de taxi casablancais âgé de 41 ans. Notant que les derniers chiffres de la Direction Générale de la Sûreté Nationale (DGSN) ont dévoilé que 6.391 accidents corporels ont eu lieu au mois d'octobre 2018 contre 6.724 en octobre 2019 soit une hausse significative de 5.21 % à ce niveau. Grand taxi, le « Mad Max » marocain Le Dr Mabrouki est parti loin dans son analyse sur les grands taxis. Il soulève ainsi que la conduite de ces derniers « dépassent de loin l'anarchie de la conduite dans le célèbre film américain Mad Max, mettant en danger les passagers, les autres véhicules et les piétons », ajoutant « qu'ils s'arrêtent quand et où ils veulent, en double position ou au milieu de la route pour charger ou décharger la marchandise humaine. Ils doublent, ils changent de file, ils font demi-tour, enfin tout se passe comme dans le film ». Pour ce qui est du volet « hygiène sanitaire » de son analyse, le psychanalyste revient sur l'entassement des passagers. « Imaginez 7 personnes tassées dans deux mètres cubes, les vitres fermées et 14 poumons expirant, inspirant et partageant tous les germes possibles. Le contact des corps permet la contamination facile par des maladies cutanées, des champignons, des parasites et des poux par exemple. Sans oublier évidemment les mauvaises odeurs des vêtements, de la transpiration et de l'haleine des 7 bouches », avance-t-il. Côté psychique, le Dr Mabrouki aborde un point important qui est l'effet négatif et néfaste que provoque l'emprunt des grands taxis sur le moral des passagers qui sont, dans la grande majorité du temps, issus des classes pauvres et moyennes. « Les Marocains ayant recours à ce mode de transport sont déjà issus d'un milieu défavorisé économiquement. Leur moral, sans doute, est au plus bas et en les questionnant ils expriment leur humiliation et leur indignité de monter dans ces véhicules. De quel épanouissement social et personnel parlons-nous ? », soulève l'expert. Pour conclure, le Dr Mabrouki s'est encore posé de nombreuses questions notamment : « pourquoi les Marocains ne disposent pas du droit d'avoir des moyens de transport public confortables, respectant les horaires d'arrivée et de départ dans chaque station ? Pourquoi un citoyen se déplace-t-il seul dans sa voiture personnelle, tandis qu'à sa gauche et sa droite, 7 citoyens se déplacent étroitement dans un unique véhicule ? De quels droits du citoyen et de l'homme parlons-nous ? De quel développement social, personnel et démocratique parlons-nous ? », autant de questions pour lesquelles Hespress FR compte trouver réponse prochainement. Affaire à suivre...