Emmanuel Macron a critiqué vendredi le pouvoir polonais, qui refuse de durcir la directive européenne sur les travailleurs détachés. Varsovie dénonce «l'arrogance» du président français. Il fallait crever l'abcès. C'est désormais chose faite. Le refroidissement des relations franco-polonaises s'est transformé vendredi en crise diplomatique. Emmanuel Macron a tenté de passer en force sur le dossier des travailleurs détachés. Il a essayé de rallier à lui deux des quatre pays du groupe de Visegrad, la République tchèque et la Slovaquie, pensant ainsi pouvoir affaiblir l'opposition de la Pologne et de la Hongrie à son projet de durcissement de la directive européenne sur le sujet. Varsovie a contre-attaqué l'avant-dernier jour de la tournée européenne du président français en prévenant qu'il refuserait «jusqu'au bout» une réforme du texte européen. Le refus polonais a visiblement eu raison de la patience du chef de l'Etat français. Le président a vivement critiqué la décision de Varsovie, qui avec cette «nouvelle erreur» «se met en marge de l'histoire, du présent et du futur de l'Europe». Jugeant que les Polonais méritent mieux que leurs dirigeants, qui trahissent les valeurs européennes, Emmanuel Macron a regretté que le pays ait «décidé de s'isoler». Les déclarations d'Emmanuel Macron sont «arrogantes» a répondu la première ministre polonaise, Beata Szydlo, affirmant qu'elles sont sans doute dues «à son manque d'expérience et de pratique politique». «La Pologne, a-t-elle ajouté, est membre de l'Union européenne au même titre que la France.» La relation franco-polonaise avait déjà subi un très fort refroidissement à l'automne 2016, quand le nouveau pouvoir issu du parti nationaliste Droit et Justice (PiS) avait rompu le contrat de vente de 50 hélicoptères militaires français signé par le précédent gouvernement, pour acheter des appareils américains. Une dénonciation qui s'était faite au mépris des conventions commerciales et des usages diplomatiques et que Paris avait considérée comme un «camouflet» et une «trahison». Mais, plus généralement, c'est à l'Europe entière que la Pologne pose problème depuis le retour du PiS au pouvoir. Les sujets de divergence avec Bruxelles s'accumulent: crise des migrants, défense européenne, avenir de l'UE, Etat de droit et valeurs. Le 26 juillet, la Commission européenne a lancé un ultimatum à la Pologne, à qui elle a donné un mois pour se conformer à l'Etat de droit européen, malmené selon elle par plusieurs lois visant à réduire l'indépendance du pouvoir judiciaire. Comme la Hongrie de Viktor Orban, la Pologne refuse catégoriquement d'appliquer les plans de répartition des migrants au sein de l'Union européenne. Vingt-huit ans après la chute du communisme et l'effondrement de l'URSS, de fortes divergences opposent toujours les parties orientale et occidentale de l'Europe. «La Pologne est toujours un Etat tampon entre l'Est et l'Ouest. La sortie du totalitarisme n'est pas si simple à faire. La conception qu'ont les Polonais de la démocratie n'est pas la même que la nôtre. Pour eux, la dictature de la majorité, c'est la loi de la majorité, et pour nous, la dictature de la majorité, ça reste la dictature», affirme Jean-Dominique Giuliani, le président de la Fondation Schuman. Cette formule synthétise selon lui «l'incompréhension» qui persiste entre les pays de Visegrad et ceux d'Europe occidentale. L'Union européenne, il est vrai, ne s'y est pas toujours bien prise avec les membres turbulents de l'Est, sous-estimant le danger que représente toujours pour eux la Russie, méprisant leur refus d'une immigration musulmane qu'ils considèrent comme une atteinte à leur identité et menaçant de faire une Europe à plusieurs vitesses. «Il faut mieux penser européen. Il faut du recul, du calme et de la patience», poursuit le spécialiste des questions européennes. Au lendemain de la chute du mur de Berlin, la Pologne, sixième pays de l'Union par sa population, pionnière dans les réformes économiques, aurait pu être l'un des moteurs de l'Union. Mais le parti Droit et Justice a préféré l'isoler partiellement du camp occidental, inversant la dynamique. Pour combien de temps? «Les traditions européennes et démocratiques de la Pologne ont toujours été très fortes. Aujourd'hui les nationalistes ont pris le pouvoir. Mais la société civile réagit. Depuis qu'il est au pouvoir, le PiS a connu trois vagues de manifestations», expliquait récemment Jean-Yves Potel, spécialiste de la Pologne. Mais Emmanuel Macron, lui, n'a que jusqu'à la fin du mois d'octobre pour convaincre ses partenaires européens de durcir la réglementation sur le travail détaché.