Lors du dernier arrêt de sa tournée marocaine, hier, à l'Institut français de Casablanca, Christiane Taubira a abordé divers sujets liés à ses principaux combats politiques, évoquant parfois la situation au Maroc. En tournée au Maroc, l'ancienne ministre de la Justice française (2012-2016) Christiane Taubira a conclu son séjour par une rencontre à l'Institut français de Casablanca, mardi 4 octobre 2022. Les personnes présentes ont pu découvrir la ou les vie(s), le parcours et les inspirations de la femme politique par le prisme de la littérature, du féminisme, et des enjeux écologiques. Menée par la journaliste culturelle Chama Tahiri Ivorra, la conversation a ainsi brassé plusieurs sujets: religion, inégalités, langues… devant une assemblée venue nombreuse écouter les développements fluides aux mots bien choisis de Christiane Taubira. « Je suis incapable de faire des réponses brèves, je fais des chapitres sur tout », plaisante celle qui publie un livre par an depuis 2015. Sur le Maroc, Christiane Taubira a répondu à une question sur l'élite et les travers qu'on peut lui reprocher. « Je crois qu'il ne s'agit pas de toute l'élite, tempère-t-elle, je sais qu'il y a des femmes et des hommes qui ont été emprisonnés, et ça fait partie de l'élite qui résiste, je pense aussi à des auteurs et autrices… » « Généralement l'élite qui trahit est plus visible parce qu'il y a souvent des gratifications sociales et culturelles. Ce phénomène n'est pas propre à la société marocaine. Dans pratiquement toutes les sociétés, il y a eu des moments où l'on a fustigé les élites car elles n'étaient pas particulièrement émancipatrices », poursuit l'ex-députée européenne. Lire aussi : « Littératures itinérantes » débarque à Fès en octobre prochain Et d'embrayer sur la jeunesse: « Je pense qu'il y a une jeunesse qui monte, une jeunesse qui est là, et il y aura de la perdition comme dans toutes les générations. La question, c'est vraiment comment on s'organise ensemble. On peut avoir une voix qui porte loin, mais tant qu'on n'arrive pas à déclencher quelque chose de collectif, cela a ses limites. » « Cette jeunesse est l'élite de ce soir, non pas de demain. J'ai parlé avec beaucoup d'entre eux. C'est déjà la ressource pour transformer la société marocaine. Si on ne la ligote pas, elle a la capacité de transformer la société marocaine », abonde Taubira. Interrogée sur la question du plurilinguisme dans le royaume, notamment des études scindées en plusieurs langues et des frustrations que cela peut susciter, voire le rejet d'un idiome, Christiane Taubira estime d'abord que « le plus difficile est de rejeter une langue ». « C'est un mécanisme d'oppression et d'exclusion très classique. Pendant l'époque coloniale, parmi les premiers interdits figurait la pratique des langues natives, l'expression culturelle artistique dans l'espace public », ajoute-t-elle. « Les armes fonctionnent un temps mais le moyen le plus durable d'asservir un peuple est de le dépouiller du bagage culturel. La voie de la cohabitation des langues est la plus facile et la plus naturelle. Les gouvernements doivent savoir que les individus s'épanouissent davantage en situation de plurilinguisme », renchérit-elle, mentionnant, offusquée, qu'en Guyane, sa région d'origine, le créole était interdit jusqu'en 1980. « La religion ne peut pas être un projet de vie » « La religion en principe est censée faciliter la relation dans la société. Il y a des sociétés où elle est tolérée, acceptée ou interdite dans l'espace public, mais elle ne peut pas être un projet de vie, une ambition de vie, ni offrir toutes les perspectives possibles en termes de chemin de vie », déclare Christiane Taubira, connue pour avoir défendu au Parlement français le projet de loi ouvrant le mariage et l'adoption aux couples de personnes de même sexe. La femme de lettres souhaite faire passer un message d'espoir aux jeunes, « qu'elles que soient leurs convictions de naissance et de croissance », et quelles que soient leurs conditions et les obstacles qu'ils peuvent rencontrer. « Je suis l'exemple vivant qu'on ne crève pas des agressions. (…) Je suis aussi la preuve que tous les plafonds peuvent s'exploser. Je suis la dernière d'une famille monoparentale pauvre à Cayenne et je suis allée à Paris faire mes études car il n'y avait pas d'université chez moi », raconte-t-elle, défiant tout déterminisme. A ce propos, Taubira se dit humble mais pas modeste: « Je n'ai pas le droit d'être modeste, je n'ai pas le droit de raboter le mérite, parce que je représente. Il faut que les petites filles de par le monde sachent que si elles travaillent, si elles deviennent brillantes, si elles font preuve d'endurance, et arrivent en haut, il ne faut pas se dire je ne suis pas capable. Oui je suis capable! Par contre, je suis humble car je n'en tire pas une gloire surfaite. » Lire aussi : Affaire Mennel: Christiane Taubira prend la défense de la chanteuse De trait d'esprit en trait d'esprit, Taubira invite l'auditoire à penser avec elle un idéal de société. « L'essentiel, dans une société, c'est de ne pas devenir indifférent aux faibles, vulnérables, etc. », rappelle-t-elle. Et si à travers son combat politique, elle fait face à des détracteurs, elle explique bien être la « cible » et non la « victime » d'attaques. « Je ne suis pas une victime, elles ne vont pas m'atteindre, et ma riposte n'a de sens que parce que les attaques dont je fais l'objet visent d'autres personnes, donc ma réponse doit faire sens dans la société », déroule la femme politique, à l'origine de la loi tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité (2001). « La littérature ma sauvée » Christiane Taubira a également parlé de son rapport à la littérature, qui a commencé enfant lorsqu'elle découvre chez elle « une valise bleue pleine de livres », qu'elle s'approprie sans savoir à qui elle appartient, et dont elle dévore les « tas d'auteurs » qu'elle contient. « La littérature m'a sauvée, elle m'a sauvée d'un univers étriqué parce que j'ai eu accès à tous les imaginaires du monde. Effectivement, sensiblement, en lisant, je comprends très vite que le monde est vaste et immense, qu'il y a des cultures différentes, des situations qui n'ont aucune raison d'advenir dans mon univers immédiat, ma société guyanaise, et qu'elles existent pourtant », témoigne-t-elle. Et de compléter: « La littérature m'apporte aussi évidemment un bagage sémantique considérable, le goût de la précision, de l'exactitude, de la relation, qui peut être à la fois fluide, féconde, stimulante que si la compréhension est possible. Et ce sont les mots qui garantissent la compréhension. » Si Christiane Taubira confie « ne pas pleurer dans le combat », elle avoue cependant que l'écriture lui a tiré quelques larmes. « Quand j'écris Paroles de libertés (Flammarion, 2014, ndlr), je réalise que je pleure à chaudes larmes. Me retourner sur moi-même n'a fait que consolider l'idée qu'il faut se battre. (…) Et parce que je reçois des messages de femmes qui me disent que m'écouter les rend plus fortes, je dois me battre », martèle-t-elle. Quant à ses projets, la femme politique n'a pas souhaité en souffler mot. Pour rappel, Christiane Taubira était en tournée au Maroc, invitée à Fès samedi 1er octobre dernier pour intervenir dans le cadre du festival Littératures itinérantes. Elle a, à cette occasion, participé à une table ronde sur le thème » D'une culture à l'autre ». Après un passage à Rabat, elle a poursuivi son séjour à Casablanca mardi 4 octobre, donnant une conférence intitulée « Droits et politique au service d'un autre monde? » à la faculté de médecine et de pharmacie, et une autre enfin à l'Institut français.