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Mustapha Sehimi: «Le PAM est-il vraiment un parti utile?»
Publié dans H24 Info le 12 - 02 - 2020

Au terme de son 4e congrès, tenu entre le 7 et le 9 février dans un climat d'hostilité et de dissension, le Parti Authenticité et Modernité (PAM) a élu l'avocat Abdellatif Ouahbi comme 6e secrétaire général. Six secrétaires généraux en un peu plus de 10 ans d'existence reflètent un problème de leadership du point de vue du politologue, Mustapha Sehimi.
S'interrogeant sur l'utilité et la nécessité d'un PAM toujours à la recherche d'un créneau à occuper dans la mosaïque du paysage politique marocain, le professeur universitaire dresse un tableau sombre de l'avenir du parti. Entretien.

-H24info : -Que pensez-vous du PAM 11 ans après sa création?
Mustapha Sehimi : -c'est d'abord un parti qui est confronté depuis sa création il y a dix ans –son congrès constitutif a eu lieu en février 2009 après la création en août 2008– à son lourd tribut du parrainage de l'administration.
Créé dans le giron de celle-ci, le parti du tracteur a eu une feuille de route claire. Celle de contrer l'influence des islamistes. Il y a plusieurs indices qui prouvent cela, notamment, l'émission spéciale de Fouad El Himma en septembre 2007 sur la deuxième chaîne 2M (après sa démission du poste de ministre délégué de l'Intérieur ndlr).
Donc c'est un parti qui a été créé pour contrer la mouvance islamique d'où le positionnement de départ du PAM en tant que parti de la modernité et de la démocratie.
Considéré comme un parti émanant de l'administration, ce parti a été récusé pendant les évènements du printemps arabe et du 20 février 2011. Dans ce contexte, les électeurs se sont prononcés pour le changement. Ils ont choisi le PJD et pas le PAM alors que ce dernier était un nouveau parti créé deux ans auparavant. La preuve en est, lors des élections de 2011, le PJD a remporté 107 sièges alors que le PAM n'en a eu que 46.
Et comme l'article 47 de la nouvelle Constitution dispose que le Roi choisit le chef du gouvernement au sein de la formation qui arrive en tête des législatives, le Souverain a nommé Abdelilah Benkirane.
Premier paradoxe! Voilà un parti qui a été créé pour être dans la majorité et qui se retrouve dans l'opposition. Le lendemain de sa nomination, Benkirane déclarait: je vais négocier avec tout le monde sauf avec le PAM.
–Est-ce que le PAM a des chances en 2021 d'être dans la majorité?
-Après près de 11 ans passés dans l'opposition, est-ce que ce parti programmé pour être un parti de premier plan et un parti de gouvernement aura une place dans la future majorité issue des élections 2021? C'est un sujet de débat. Il y a des signes qui vont dans ce sens, notamment, ce qui s'est passé au Conseil de la région de Tanger où les élus et les conseillers du PJD ont voté pour la candidate du PAM à la présidence de la région Fatima Zahra Hassani. Mais, ils ont voté avec beaucoup de mauvaise humeur et de résistance.
Les islamistes ont peut-être brisé pour la première fois le mur de glace qui les séparait du tracteur. Les adjoints d'El Othmani disaient que c'est un processus de normalisation et que le PAM a changé. Cela veut dire que dans leur esprit il n'y a plus Ilyas El Omari.
L'argument de l'intérêt régional avancé pour justifier une association au sein du Conseil de la région pourrait être repris demain lors des prochaines élections. Le PAM peut faire une offre de service à une future majorité en disant que c'est l'intérêt national qui prime. Donc, il y a une tonalité dans les relations entre le PAM et le PJD. Il n'y a plus l'exclusif et l'excummmnication réciproque comme c'était le cas du temps de Benkirane.
– Le PAM vient d'élire son sixième secrétaire général. N'est-ce pas trop pour un parti en 10 ans d'existence?
-Effectivement, le PAM a un gros problème de leadership. Il consomme beaucoup de secrétaires généraux, il en est à son sixième secrétaire général depuis 10 ans. Il y a eu Hassan Benaddi, Mohamed Cheikh Biadiallah, Mustapha Bakouri, Ilyas El Omari et Hakim Benchemach et Abdellatif Ouahbi.
C'est paradoxal parce que c'est un parti qui a été créé par l'administration. On aurait pu penser à ce qu'il ait davantage de stabilité.
-Est-ce que c'est dû au fait qu'il n'y a pas eu une figure de proue comme c'était le cas avec Ahmed Osmane lors de la création du Rassemblement national des indépendants (RNI) (1978)?
-Oui, on aurait pu penser en 2009, quand il y a eu le congrès constitutif, que certains centres de pouvoir aient décidé de régler cette question de leadership. Or, six secrétaires généraux en dix ans constituent un signe d'instabilité, d'insuffisance et de déficit de leadership. C'est un parti qui n'a pas trouvé un profil de leader sur dix.
Au 4e congrès, aucun des candidats au secrétariat général n'était consensuel ni fédérateur. Le vainqueur Abdellatif Ouahbi est surtout clivant. C'est quelqu'un qui génère et provoque des clivages définitifs et n'est pas consensuel, en l'occurrence, à cause de sa prise de positionnement récente concernant la mise d'un terme à l'antagonisme systématique vis-à-vis du PJD. Il a une base militante réduite.
Son positionnement ambigu par rapport à la ligne traditionnelle du PAM, en l'occurrence, ses relations avec Benkirane ne semblent pas être la bonne orientation pour le PAM.
-Cette ambiguïté par rapport aux relations avec les islamistes invite la question du positionnement que prendra le PAM d'aujourd'hui ? Est-ce qu'on peut assister à une alliance avec le PJD en 2021?
-La sensibilité au sein du PAM va à l'encontre d'une entente avec le PJD. La tendance générale au sein des élus ou des cadres du PAM est davantage favorable à des partis comme le RNI et l'USFP parce que le parti se situe dans le centre gauche et dans la sociale démocratie.
Il se trouve dans une équation très à l'étroit. Il se revendique comme un porte-drapeau de l'authenticité, autrement dit des valeurs, de l'héritage, du Maroc tel qu'il est, etc. Or, ce périmètre-là est occupé historiquement, culturellement par d'autres partis comme le PJD, l'Istiqlal et le Mouvement populaire (MP) qui revendique le pluralisme culturel et linguistique.
Le périmètre de la modernité est également occupé par trois sensibilités à savoir l'USFP, le PPS et la mouvance de la Gauche radicale (Fédération de la Gauche démocratique (FGD)). Ces partis se situent dans le cadre d'une mouvance de modernité militante de combat et ils disent: cela fait des décennies que nous avons payé le lourd tribut pour arriver à cette démocratie.
Donc, le parti coincé, très à l'étroit entre le bloc traditionaliste et le bloc moderniste qui ont des références historiques, une certaine capitalisation et une accumulation. La difficulté pour le parti aujourd'hui est d'occuper un créneau, d'être visible, attractif et porteur d'un projet.
-Le PAM fait donc face à des questions existentielles difficiles à résoudre ?
-Décidément, je me suis permis au tout début de notre entretien de formuler la double interrogation: est-ce que le PAM est utile et est-ce qu'il est nécessaire ? Pour moi, ce parti n'est pas utile parce qu'il n'a pas rempli sa mission. Il n'est plus non plus nécessaire parce qu'il ne fait pas contrepoids à la mouvance islamiste qui a progressé et qu'il n'a pas eu la place qu'il aurait pu avoir au sein la majorité gouvernementale.
Même dans l'opposition, le PAM ne s'est pas distingué par un programme alternatif. Est-ce qu'il y a des débats de fonds? Est-ce que le PAM a fait une offre politique alternative?
Pis, la personnification du débat entre Ilyas El Omari et Benkirane a surtout profité à ce dernier. N'oublions pas que le débat politique a été pollué par les réquisitoires et des attaques personnelles.
Ce sont les excès du PAM et d'Ilyas El Omari qui ont contribué à conforter le statut de leadership de Benkirane. Ce dernier a bien d'autres qualités, mais ces excès ont contribué dans la fabrication d'un «zaïm».
D'un autre côté, Benkirane a rendu service au PAM parce qu'il a réussi à faire partir Ilyas El Omari. Il y a une relation dialectique entre les deux. Autant, El Omari a réussi à surdimensionner la place et le rôle de Benkirane autant Benkirane a servi le PAM.
L'échec évident du PAM aux élections de 2016 –malgré ses 102 sièges– a poussé deux jours après l'annonce des résultats officiels du 10 octobre 2016, à faire appel à Aziz Akhannouch à la tête du RNI pour succéder à Salaheddine Mezouar. C'est maintenant Akhannouch qui a pris en main le combat contre le PJD, mais en étant au sein du gouvernement.
L'image du RNI n'est pas celle du PAM: qui va arborer la casquette aussi pénalisante comme celle du PAM aux élections de 2021 vu que l'image du PAM est détestable?
-Quel avenir pour le PAM ?
-Il s'avère que les conditions dans lesquelles le PAM a été créé, dans lesquelles il a obtenu des résultats électoraux quand même énormes, notamment, la non-neutralité de l'administration, ne sont pas les mêmes.
On n'a jamais vu autant d'interventionnisme de l'administration dans l'opération électorale. Certes cela a toujours existait d'une manière ou d'une autre, mais pas avec cette brutalité et ce manque de savoir-faire et avec autant de poids de l'argent.
La création du PAM n'a pas permis des avancées démocratiques. C'était une régression démocratique parce que ça a ravivé des méthodes de parrainage, de mobilisation de l'administration que l'on croyait révolues.
Les élections de 2002 et de 2007, faut-il le rappeler, se sont bien passées avec les cabinets EL Yousfi et Jettou. On a enregistré une régression sur ce plan à partir de 2009.
C'était une mauvaise expérience qui a fait régresser le processus démocratique et qui a eu pour conséquence de ne pas permettre la réhabilitation de la politique aux yeux des citoyens. C'est ce qu'il a de plus grave et c'est ce qui explique qu'on a eu 43% de participation aux élections de 2016.
Autant dire que le risque est grand que le 4e congrès ne soit pas celui du rassemblement et que ça soit un congrès de polarisation, de cristallisation, de dissension, d'ambitions et de contentieux qui ne pourront pas être réglés par ailleurs.


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