Souvent la nomination d'un nouveau chef de gouvernement annonce le début d'une ère politique nouvelle, mais pour Boris Johnson, ce fervent Brexiter qui a réussi à franchir la fameuse porte noire de Downing Street après une longue bataille partisane, cette consécration intervient dans un contexte de crises. Elu à la tête du parti conservateur, à trois mois de la date prévue de la sortie tant attendue du Royaume-Uni de l'Union européenne, le nouveau Premier ministre britannique a tant de dossiers houleux à gérer durant son mandat. D'abord la mise en oeuvre effective du Brexit, un dossier dont Boris Johnson se disait « le sauveteur » quand il était maire de Londres, ensuite la consolidation des relations avec les Etats Unis, qui se sont affectées par la récente polémique autour de la publication par un journal britannique de câbles diplomatiques très critiques à l'égard du président américain Donald Trump, et enfin la crise politique avec l'Iran après la saisie par Téhéran, d'un pétrolier battant pavillon britannique dans le détroit d'Ormuz. Parmi tous ces dossiers, celui du Brexit pourrait devenir le « grand cauchemar » du leader conservateur. En obtenant 92.153 voix sur un total de 159.000 votes des membres de son parti, contre 46.656 voix pour son rival Jeremy Hunt, Boris Johnson s'accapare 66% des suffrages. Si cette victoire montre bel et bien la popularité de Johnson auprès d'une bonne partie des Tories (membres du parti conservateur), elle ne reflète pas forcément sa capacité à convaincre la majorité des députés de soutenir son projet sur le Brexit. Après un entretien avec la Reine Elizabeth II à Buckingham Palace, Boris Johnson fera son entrée à Downing Street, mais le climat de rébellion au sein de son propre parti demeure toujours menaçant, même après le départ de Theresa May. Plusieurs ministres ont fait part de leur intention de claquer la porte si le Royaume quitte l'UE sans « aucun deal ». Il s'agit notamment du chancelier de l'échiquier Philip Hammond qui a promis de « démissionner si Boris Johnson devient Premier ministre ». Dans une déclaration à la BBC, l'argentier du royaume avait déclaré que les conditions pour servir dans le gouvernement de M. Johnson incluent l'acceptation d'une sortie sans accord le 31 octobre, « et ce n'est pas quelque chose à laquelle il pourrait adhérer ». Hammond a été soutenu dans ses propos par le sous-secrétaire d'Etat à la Défense, Alan Duncan, qui a déjà « honoré sa parole » en déposant sa démission dans un timing très critique pour le nouveau dirigeant conservateur, notamment à la lumière de la crise diplomatique entre Londres et Téhéran. « Je suis très inquiet qu'il avance en improvisant, sans aucune rigueur, au petit bonheur la chance », a affirmé M. Duncan, avant de déposer sa démission. « Je n'ai pas d'animosité personnelle à son égard mais à mon avis il va tout droit vers une crise gouvernementale », a-t-il prédit. Le nouveau leader conservateur, qui a promis de mettre en oeuvre le Brexit à tout prix, le 31 octobre, comme prévu, trouvera donc dès ses premiers jours de quoi s'occuper à Downing Street. Il devra tout d'abord convaincre les députés conservateurs à rallier son projet en réaffirmant qu'il n'a aucunement l'intention d'abandonner sa détermination à faire sortir le pays de l'UE, ni de céder aux exigences des dirigeants européens. Boris Johnson devra également prouver qu'il est arrivé à Downing Street pour sa capacité à maîtriser le dossier du Brexit et à sauver l'économie britannique de l'effondrement, et non pour le rôle moteur qu'il a joué lors du référendum de 2016 sur l'appartenance du Royaume-Uni à l'UE. Les observateurs britanniques s'interrogent ainsi sur l'aptitude du nouveau Premier ministre à répondre à toutes les problématiques qui se poseront après le Brexit, entre autres la question de la frontière entre l'Irlande et la province britannique d'Irlande du nord, la panoplie de mesures et de législations à mettre en place après la sortie de l'UE, la question des contrôles douaniers entre le Royaume Uni et le bloc des 27 et l'impact de la lenteur de ces procédures sur les entreprises, les échanges commerciaux et le passage maritime des cargaisons. Pour qu'une sortie de l'UE se produise effectivement d'ici le 31 octobre, trois options sont désormais possibles. Dans l'idéal, Boris Johnson devrait parvenir à un accord commercial, provisoire au moins, avec l'UE. Mais cette option s'avère difficile à réaliser étant donné que le temps presse pour pouvoir conclure un accord, en moins de quatre mois, avec des dirigeants européens fermes sur leurs positions, qui ne cessent de réitérer leur refus catégorique de toute demande de renégociation de l'accord de retrait, rejeté à trois reprises par le Parlement britannique. La deuxième option consiste à revoir l'accord sur le Brexit âprement négocié entre Theresa May et Bruxelles, en excluant de ce texte les dispositions qui « fâchent », telles que la question du filet de sécurité, « backstop en anglais », destiné à empêcher le retour d'une frontière physique entre l'Irlande et la province britannique d'Irlande du nord. Le troisième scénario, le plus redouté par les milieux économiques, les députés conservateurs et par l'Europe, est une sortie sans deal. Pourtant, ce choix n'est pas du tout exclu par le nouveau Premier ministre. Le défi est donc de pouvoir convaincre le parlement britannique d'avancer dans la direction du no deal. Pour plusieurs analystes de la scène politique britannique, quoiqu'il arrive, Boris Johnson ne parviendra jamais à rallier la majorité autour de son projet. Le nouveau locataire du 10 Downing Street réussira-t-il là où Theresa May a échoué ?