Le festival AfricaBezons, organisé par la ville de Bezons en Ile-de-France, promeut les arts et cultures africains, et cette année, l'Algérie était à l'honneur. A cette occasion, l'écrivain et journaliste franco-algérien Nadir Dendoune a présenté son documentaire lors d'un ciné-débat le 15 avril dernier. Rencontre. «Des figues en avril», réalisé par Nadir Dendoune, dévoile des moments de vie de sa maman, dans son appartement de la Seine-Saint-Denis, en banlieue parisienne. Une histoire vraie pleine de tendresse qui lui a valu le mois dernier le prix du Jury lors de la 2ème édition du festival «Issni N'Ourgh» international du film amazigh (FINIFA) à Agadir. «Une histoire de pauvres» Dans ce huit-clos sorti il y a un peu plus d'un an, le réalisateur met en lumière la vie quotidienne de sa maman, Messaouda Dendoune, 83 ans aujourd'hui. Dans les années 1950, elle quitte sa montagne d'Ighil Larbaa, en Kabylie, pour venir s'installer en France avec son mari Mohand Dendoune. Après avoir vécu dans un bidonville, la famille Dendoune déménage dans un F5 de la cité Maurice Thorez dans le 93, logement social où Messaouda vit toujours. C'est ici qu'elle a élevé ses neufs enfants, dont Nadir, le petit dernier qui à travers la caméra capte ses sentiments et ses souvenirs. Il raconte comment l'idée de filmer sa mère a émergé, d'une rencontre. Puis ça lui a paru évident. «On devrait tous à un moment de sa vie filmer ses parents ou ses proches, on apprend beaucoup de choses», exprime-t-il lors du débat après la projection. Montrer sa mère relevait également d'une mission plus globale, «j'en avais marre que ce soit les autres qui racontent nos histoires». Par «les autres», entendez «les hommes blancs parisiens bobo» qui ont toujours voulu parler «à la place des habitants des quartiers (banlieues, ndlr)», s'insurge Dendoune qui confie avoir cru pendant très longtemps ne pas avoir le droit d'écrire. «Il faut cesser avec ce paternalisme et cette condescendance, cesser de nous dire ce qu'on doit faire alors qu'on n'a besoin de personne et on est capable de faire des films». Et celui qui en 2008 a gravi sans préparation l'Everest, le plus haut sommet du monde (voir son livre «Un tocard sur le toit du monde», éd. J.-C. Lattès, 2010, adapté au cinéma en 2010 avec «L'Ascension» de Ludovic Bernard), ne manque pas de détermination pour partager sa vérité, celle des habitants de banlieue souvent stigmatisés et trop peu écoutés.
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Ce long-métrage a nécessité seulement quinze jours de montage pour cinq ou six heures de rush tournées sur une période de six mois. «C'est le film le plus facile que j'ai fait, j'allais prendre le café chez elle et quand je sentais qu'elle avait envie de parler, je sortais la caméra» raconte Nadir qui compte déjà à son actif deux documentaires sur la Palestine. On prend plaisir à suivre le quotidien routinier et teinté de poésie de madame Dendoune. On prépare avec elle les «sfenj», ces fameux beignets jamais trop huileux, on s'assoit pour le café préparé dans une petite cafetière italienne, on écoute le silence nostalgique de cette dame qui s'est sacrifiée toute sa vie pour que les siens ne manquent de rien, avec le salaire unique de monsieur Dendoune, jardinier à l'hôpital de Montmorency. «C'est une maman courage comme il y en a dans toute la France, c'est une histoire de pauvres, mais aujourd'hui dans ce pays, on ne parle plus des pauvres, sauf pour les caricaturer» proteste Dendoune dont le documentaire enregistre plus de 11.000 entrées. «C'est exceptionnel. D'habitude, les documentaires dans Paris sont à 5.000 ou 6.000 entrées». L'exil ou le «traumatisme migratoire» Même si Dendoune n'a pas souhaité «faire un film sur l'immigration», le thème de l'exil prend toute sa place, surtout dans les yeux de sa maman. On la voit souvent représentée sur son balcon, le regard suspendu vers l'horizon, un horizon inatteignable, perdu à jamais. L'Algérie… Ses parents l'ont quittée dans l'intention d'y retourner. Ils ont abandonné leur famille et leur maison dans l'espoir d'une vie meilleure de l'autre côté de la Méditerranée. Ils pensaient ramener un jour leurs enfants «au bled», en même temps qu'ils les incitaient à parler français à la maison, dans un souci d'intégration. A plusieurs reprises dans le film en dialogues, Messaouda demande à son fils de 45 ans «s'il a compris» ce qu'elle lui explique en kabyle. «Jamais je ne pensais qu'on allait finir comme ça», lui confie-t-elle. Les cheveux soigneusement tressés sous un foulard coloré, Messaouda reste une maman coquette qui n'a rien perdu de sa beauté. Ses yeux malicieux divaguent parfois, c'est l'Algérie qui sommeille en elle. A son évocation, l'émotion atteint son acmé. «On aurait voulu vivre sur nos terre. Mais on a eu peur des dirigeants dans ce pays de corrompus. Nous voilà sur les terres des Français. Que Dieu nous pardonne» déclare Messaouda les yeux humides. «On aurait bien voulu rester mais c'était trop instable... On a tout oublié, on a tout laissé», murmure-t-elle sur un refrain de Slimane Azem, chanteur algérien immigré en France dans les années 1940 et inspiré par le mal du pays.
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«Un traumatisme migratoire», voilà de quoi souffre cette «paysanne déracinée», énonce Nadir Dendoune dans son livre autobiographique intitulé «Nos rêves de pauvres» paru en 2017 (éd. JC Lattès). «Elle vit en France depuis soixante ans mais elle n'a jamais digéré l'exil et ne le digérera jamais. (...)Tous les deux (Messaouda et Mohand, ndlr) n'ont pas eu la force de faire le deuil de leur exil» lit-on dans ses pages. Absent des images, le chef de famille a été placé en établissement médicalisé, faute d'une maladie d'Alzheimer devenue ingérable pour son épouse, qui lui rend visite chaque jour. «Nous, on n'abandonne pas nos enfants, ni nos parents. Chez nous, on n'abandonne pas». Le papa de Nadir est décédé fin janvier dernier. Ces 57 minutes reflètent la résilience des anciens, leur sagesse et leur humilité. «Je prie pour que les gens deviennent plus raisonnables, plus patients. Bon courage à la nouvelle génération», souhaite madame Dendoune. « Ma mère est universelle » Dans cette salle de quartier du Val d'Oise, tout le monde a ri, tout le monde a pleuré. Car Messaouda incarne toutes ces mères qui se sont battues. Tous les enfants d'immigrés peuvent se reconnaître dans cette histoire. «Dans ce film, je vois ma maman et pourtant je suis d'origine indienne», confie une spectatrice à la fin de la projection, «J'ai retrouvé la cuisine, le petit balcon, j'ai tout retrouvé...la maman qui n'abandonne jamais son mari ou ses enfants, ce film est un hymne à l'amour» poursuit-elle. «En rendant hommage à ma mère, je savais que ça allait rendre hommage à toutes les autres mamans, ma mère est universelle», répond Dendoune. «C'était exactement comme ça chez moi aussi, ça m'a rappelé ma maman, et comment on vivait de son vivant», renchérit une autre spectatrice, profondément émue. C'est un hommage à toute une génération de parents. Mais également un hommage à tous les pauvres et exclus de France, quelles que soient leurs origines. «On a présenté le film dans des villages français, dans la France profonde sans métèques ni basanés, et ils étaient autant touchés» assure le réalisateur qui cumule 139 projections-débats. «Ce film est un modèle à diffuser auprès des autres cultures, pour montrer que notre culture arabo-musulmane n'a rien à envier aux autres» s'enthousiasme un spectateur d'une vingtaine d'années, «enfin un film naturel qui montre des personnes de notre communauté!». Le public est unanime, «Des figues en avril» est une oeuvre intergénérationnelle et interculturelle qui peut toucher tout le monde.