Les experts de le 6e Conférence sur la défense planétaire planchent cette semaine sur ce scénario catastrophe, imaginaire mais plausible, et les mesures qu'il faudrait mettre en œuvre pour éviter une collision désastreuse. La situation est la suivante: un astéroïde mesurant entre 100 et 300 mètres de diamètre a été détecté à 50 millions de kilomètres le 29 mars 2019. Problème, il se dirige droit sur nous à la vitesse vertigineuse de 50.000 km/h. Sa trajectoire laisse craindre une possible collision en 2027. Le risque d'impact est encore faible, environ 1%, mais le danger, lui, est immense: la collision pourrait générer une énergie colossale d'un milliard de tonnes équivalent TNT, soit près de 70.000 fois la puissance de la bombe de Hiroshima. C'est deux fois plus que l'intégralité des essais nucléaires réalisés dans le monde à ce jour. Pour se donner un ordre d'idée, si un tel objet tombait sur Paris, c'est au minimum toute l'Ile-de-France qui serait instantanément anéantie. Les conséquences d'un tel événement seraient évidemment mondiales. L'heure est donc grave. Peut-on faire quelque chose pour éviter la catastrophe? Rassurez-vous, ce scénario est parfaitement imaginaire. Il s'agit d'un exercice soumis aux 300 astronomes, scientifiques, ingénieurs et experts des situations d'urgence réunis depuis lundi à Washington DC (Etats-Unis) pour la 6e Conférence biennale sur la défense planétaire. «C'est la quatrième fois que ce type d'exercice est réalisé», rappelle Patrick Michel, spécialiste des astéroïdes à l'Observatoire de la Côte d'Azur. «C'est une sorte de jeu de rôle. Chaque jour, de nouvelles données sont apportées pour faire avancer le scénario. Des groupes de travail réfléchissent pour déterminer la marche à suivre. Cela commence par établir un programme d'observation pour affiner la connaissance de l'objet et peut aboutir à la définition d'une mission spatiale pour tenter de dévier l'objet de sa trajectoire si la menace est confirmée.» En 2013, les experts n'avaient pas réussi à se mettre d'accord à temps sur les procédures à mettre en œuvre. L'astéroïde fictif s'était ainsi écrasé vers Marseille, détruisant la Côte d'Azur… L'exercice peut sembler très virtuel mais la météorite de Tcheliabinsk est là pour nous rappeler que le ciel nous tombe parfois réellement sur la tête. Le 15 février 2013, ce caillou de 20 mètres seulement s'est désintégré à 20 km du sol, soufflant des dizaines de milliers de vitres et blessant un millier de personnes. «Nous devons nous assurer que les gens comprennent qu'il ne s'agit pas d'Hollywood, ni de film», a déclaré le patron de la Nasa, Jim Bridenstine en ouverture de la conférence. «Il s'agit en fin de compte de protéger la seule planète que nous connaissons, à l'heure actuelle, pour accueillir la vie, et c'est la planète Terre. (…) Les dinosaures n'avaient pas de programme spatial, c'est un fait. Mais nous, nous en avons un et nous devons nous en servir.» Ce jeu de rôle permet en fait de réfléchir de manière concrète à la manière d'appréhender un tel événement, dont la probabilité reste très faible. «C'est peut-être le risque naturel le moins probable, mais c'est aussi le plus cataclysmique et le seul que nous puissions réussir à empêcher», souligne Patrick Michel. Pour donner un ordre d'idée, il tombe un astéroïde de 20 mètres tous les 60 ans, un de plus de 140 mètres tous les 10.000 ans en moyenne, un de plus d'un kilomètre tous les 750.000 ans, et un de plus de 10 km tous les 100 millions d'années (comme celui qui a provoqué la disparition des dinosaures il y a 66 millions d'années). Si les objets de plus d'un km sont bien connus et ne présentent pas de menace pour le siècle à venir, nous n'avons identifié à ce jour que 20% environ des astéroïdes de plus de 100 mètres qui croisent l'orbite de la Terre. Parfois, nous ne les détectons que quelques mois ou quelques semaines avant qu'ils nous frôlent… Le délai serait alors trop court pour faire quoi que ce soit, à part lancer une procédure d'évacuation. Ce qui ne serait pas évident sachant que la zone de retombée reste très incertaine même quelques jours avant l'impact (plusieurs centaines de kilomètres de marge d'erreur). New York sur la ligne d'impact possible «C'est la raison pour laquelle la Nasa planche sur un satellite, NEOCam, qui serait dédié à la traque systématique des astéroïdes qui présentent un danger potentiel pour la Terre», précise Patrick Michel. L'Europe travaille elle aussi sur un réseau de télescopes au sol, baptisés FlyEye, pour les mêmes raisons. Le premier sera installé en Sicile. D'autres pourraient suivre en Espagne ou au Chili. Mais revenons au scénario présenté cette année aux chercheurs. Il reste encore huit ans pour agir. Les calculs préliminaires ont permis de définir la ligne sur laquelle l'astéroïde pourrait s'écraser. Elle traverse notamment les Etats-Unis de part en part, du sud-ouest au nord-est, en passant par New York, et une grande partie de l'Afrique. Cela n'est pas anodin, car c'est là une des interrogations soulevées lors des exercices précédents: qui doit prendre la responsabilité des opérations? Les grandes puissances spatiales (essentiellement Etats-Unis, Russie, Europe, Japon et Chine) se mettraient-elles d'accord pour coopérer quelle que soit la zone menacée? Sous quel leadership? Qui paierait? «Le consensus a été jusqu'à présent de ne pas répondre à cette question», précise Romana Kofler, du bureau des affaires spatiales de l'ONU. Sur le plan opérationnel, les spécialistes imaginent trois techniques principales: le tracteur gravitationnel, l'impacteur cinétique et, en dernier recours, la bombe atomique. Le principe du tracteur gravitationnel consiste à envoyer un objet lourd (plusieurs tonnes) très près de l'astéroïde pour que sa masse perturbe petit à petit son orbite. Cela ne pourrait marcher qu'avec les objets les plus petits et détectés plus de dix ans à l'avance. Dans le cas qui nous préoccupe ici, il serait vraisemblablement trop tard. La stratégie atomique, la plus violente, consisterait à faire exploser une bombe à proximité de la cible. «Le but n'est pas de pulvériser l'astéroïde mais d'utiliser le souffle de l'explosion et les rayons X émis par la déflagration pour le dévier», explique Patrick Michel. «Ce serait vraiment une solution de dernier recours, si nous ne pouvions rien lancer plus tôt que quelques mois avant la date d'impact prévue.» Entre les deux, la technique cinétique est peut-être la plus adaptée. Elle consiste à envoyer un ou plusieurs objets à grande vitesse sur l'astéroïde pour le dévier légèrement de sa trajectoire. Là encore, il faut s'y prendre un peu à l'avance, mais quelques années pourraient suffire. La Nasa doit tester cette idée sur un petit astéroïde double en 2022 (c'est la mission DART). L'Europe planche sur une mission complémentaire, Hera, pour aller étudier plus finement l'impact réalisé par les Américains et caractériser l'influence qu'elle aura eue sur sa trajectoire. «Il est très important que nous ayons testé une technique au moins une fois pour que nous ne soyons pas complètement démunis si la menace, même très peu probable, devenait réelle un jour», souligne Patrick Michel. Ce que personne ne souhaite, évidemment.