Quarante ans de protectorat auront permis à une remarquable équipe de savants de recueillir, de traduire et de mettre en oeuvre une masse de documents faisant connaître l'histoire du Maroc aux Marocains eux-mêmes : un aspect de l'apport culturel de la France qui n'est pas négligeable. C'est le cas de l'histoire de Tazeroualt dans le Sous au XVIIe siècle. Le Tazeroualt, c'est, dans l'Anti-Atlas, à l'Est de Tiznit, une petite cuvette où convergent les eaux et les alluvions de la montagne et dont le centre est lligh, non loin de la zaouia de Sidi Ahmed ou Moussa. L'Anti-Atlas, c'est le pays des Guezoula. Qui après avoir été le nom de ce pays au temps de Léon l'Africain, n'est plus que le nom d'un des deux lefs qui ont divisé longtemps le pays berbère, Guezoula et Ahoggouà. C'est par Massa qu'au XVIIe siècle les Hollandais commerçaient avec le Tazeroualt. "Mezza qui est sur le bord de la mer, où se prennent des baleines, quoique rarement", dit la cosmographie universelle de Thevet (1576). On est ici en plein pays berbère, de dialecte chleuh. A l'origine de la renommée historique de Tazeroualt, il y a un saint homme, Sidi Ahmed Ou Moussa, personnage historique contemporain des premiers sultans saadiens, dont la vie et la légende sont connues par de nombreux textes manuscrits, presque tous inédits et non traduits. Ce pays, le Tazeroualt, à la limite entre le Maroc et le Soudan, fut un centre d'échanges important entre le nord et le sud. Il s'y tenait des foires annuelles, "mouggar", " moussem", de même qu'à Asa (Asa lmouloud) et sans doute à Tamdoult, sur les mêmes confins. Il en reste un joli proverbe : " le marché aux esclaves, au Tazeroualt, se tenait sous un arganier, argan n isemgan". On dit encore aujourd'hui en manière de proverbe : " Est-ce que tu m'as acheté sous l'arganier? c'est-à-dire : Est-ce que tu es mon maître." Suis-je ton esclave? Les expéditions du sultan saadien Ahmed El Mansour au Soudan ont accru l'importance de ces foires, où les gens du sud apportaient le sel de Taoudeni, source de richesse. D'où ce proverbe certainement ancien : " Tanmallait n tigemmi touf lmal n Taoudeni." "L'économie dans la maison a plus de prix que les richesses de Taoudeni."( lmal=pécunia, ici le sel, ailleurs les troupeaux.) Une croisade, un djihad, fut prêchée par les marabouts réfugiés dans le Sous. Elle est à l'origine de la dynastie des Sultans Saadiens. Le plus connu de ces marabouts est un Guezouli Sidi Mohammed Ben Sliman le Jazouli, un des sept patrons de Marrakech où il a son tombeau dans le quartier qui porte son nom. Quand on va de Tiznit à Tafraout, après avoir gagné la crête de l'Anti-Atlas par la longue et belle montée dite du "Kerdous", on entre chez les Ida ou Semlal dont on descend la vallée depuis le marabout de Lalla Tazza chez les Aît Oulilli. D'un point de la route constamment dominée par la crête de l'Anti-Atlas, sous le djebel Toungout qui en est un haut sommet et l'oued une vaste pente assez douce où sont étalés de nombreux villages. Un de ceux-ci est Boumrouane. cette pente est un reliquaire de saints. Parmi ceux-ci, chez les Ait Moulay; Ahakouk, " Tagant ougdid", le " bois de l'oiseau", Ahkouk où est le tombeau de Sidi Boubeker Ben Sliman, propre frère du réformateur Jazouli, Sidi Mohemmed ben Sliman dont ce pays est donc certainement le lieu de naissance, jamais jusqu'à présent identifié dans les textes. De l'autre côté de la crête, face à la plaine de Tiznit, chez les Ida ou Gersmouk dans la fraction de Tafraout Imouloud, il y a Tazmout, lieu d'origine de deux familles de marabouts, les Ouled Akerramou et les Ouled Sidi Abdallah ou Sidi Abdallah ou Yaqoub. SIDI AHMED OU MOUSSA UN SAINT BERBÈRE AU XVIe SIÈCLE Sidi Ahmed ou Moussa est le grand Saint du Sous. Sa légende est innombrable, et si nombreux les documents le concernant qu'il était facile est qu'il a semblé intéressant d'en extraire cette image du saint berbère qui est à l'origine de la maison de Tazeroualt. Légendaires ou non, la façon dont les gens du pays se représentent leurs saints, que la voix du peuple a canonisés, indique en quelque façon leur idéal de vertu et contribue à les peindre eux-mêmes. Sidi Ahmed Ou Moussa est un personnage historique du XVIe siècle, contemporain des sultans saadiens. Il est né à Bou Merouan de la tribu des Ida ou Smelal. Il est mort en 971 (1560), au Tazeroualt où son tombeau est vénéré. Son père était Sidi Moussa et sa mère Lalla Taounout. Des textes leur attribuent une origine chérifienne par Sidi Abdallah ben Jaifer. Il étudia sans doute le Coran dans la petite école (âkherbich) de son village, comme tant de petits chleuh. Il poussa peut être son étude de la grammaire, car il fut lettré, dans une de ces antiques mosquées qu'on voit partout chez les Ida Oultit. L'origine de sa sainteté serait un simple acte de charité. Cela se chante sur les places, dans les cercles " El halaqi" Cette humble bonne action : une lourde corbeille de figues portée jusqu'en haut d'une côte pour soulager un vieillard fatigué, racontée dans tous les mnaqibs, est enjolivée dans les chansons. " Et quand il parlait de Dieu ou qu'il l'invoquait, ses yeux se voilaient et il était absent de son corps". On lui prête ce propos : "je ne pardonne pas à celui qui n'est pas allé dans le trou. Mais il faut qu'il n'y reste pas." (Tomber dans le trou, c'est toucher le fond du malheur ou du péché. Utilité de l'expérience, à condition de se relever.) "Our nsmih i ian d our ikkin agoudi. Oualaienni han our gis isqqouis." Et les Chleuh ; " Illa gis, tlla gis" Il ya dedans.... du bien et du mal." On prête aussi à Sidi Ahmed ou Moussa ce propos, cité souvent comme proverbe et commenté par divers petits contes: "Addagh oula dagh oula bla dagh" "Il ne faut ni trop ni trop peu." Sidi Ahmed ou Moussa comme tous les tolbas du Sous, fut un grand voyageur. Il pourrait être leur patron s'il n'y en avait un autre plus célèbre, Ibn Toumert de la tribu des Harghen, dans l'Anti-Atlas, au Sud de Taroudant qui, par Baghdad et Bougie, et Salé, et Marrakech, vint se fixer à Tinmel et fut un fondateur d'empire, l'empire almoade Sidi Ahmed Où Moussa ne revint à Marrakech qu'en 927 (1520) année de grande famine.) Il y resta huit jours auprès du tombeau de son cheikh Sidi Abdelaziz puis retourna, jusqu'à sa mort dans son pays du Sous extrême (971-1563).