Depuis 2018, Albert Ifrah, un marocain installé à Los Angeles depuis 51 ans, est le président de la Congrégation sépharade « Em Habanim ». Fondé il y a 45 ans par des membres de la diaspora marocaine de confession juive, cet établissement mène plusieurs actions en direction de la communauté juive marocaine en Californie. A 73 ans, fêtés l'été dernier, il est l'une des personnalités les plus respectées de la communauté. Rencontre. C'est un enfant de Casablanca qui a dû quitter, à contre-coeur, son Maroc natal en 1968, avec ses parents et 7 de ses frères, à destination de Los Angeles. Albert Ifrah, ingénieur formé dans un établissement à Ain Sebâa, gérait une florissante quincaillerie dans les années 1960 au centre de Casablanca. A 73 ans, fêtés l'été dernier, le casablancais n'oublie pas le Maroc de son enfance, sa carrière, ses amis, ses sorties et cette cohabitation harmonieuse et fraternelle avec les marocains musulmans. Un départ dans la douleur C'est très ému qu'il raconte que son père avait quitté le pays en larmes. « Le voyage a été douloureux, particulièrement pour mon père, qui rêvait d'être enterré dans son pays. Il a été contraint de quitter sa maison, ses amis, sa vie et ses loisirs. Aux Etats-Unis, il était complètement seul et triste », nous confie Albert Ifrah. « Nous avons rejoint mes deux autres sœurs installées à l'époque en Californie, sans jamais comprendre pourquoi », se souvient-il. Sa fiancée, Ruth Bitton, le rejoint en 1950 et devient sa femme quelques mois plus tard. Elle nous explique qu'il lui a fallu plus d'un an pour s'intégrer ici, et s'habituer à son nouveau mode de la vie. «La vie était tellement belle au Maroc. Je suis originaire de Marrakech et il m' a été très difficile de m'habituer à ma nouvelle vie. C'était très dur pour moi au début. Je l'ai vécu comme un déchirement», se souvient Ruth. Avec Albert, en un demi-siècle de vie commune, ils ne sont jamais retournés au Maroc ensemble. « Je n'ai jamais pu retourner sur ma terre natale et celle de mes ancêtres. Je rêve d'y emmener mes enfants, pour nous recueillir sur la tombe de mes grands-parents enterrés à Ben M'sik », explique-t-il. Fraternelle cohabitation avec les musulmans Cinquante-et-un ans après avoir quitté Casablanca, Albert garde toujours à l'esprit la coexistence fraternelle et harmonieuse avec les voisins de confession musulmane. Il nous raconte que sa maman qui venait de mettre au monde sa sœur cadette avait allaité, pendant plusieurs semaines, un nouveau-né dont la mère, une musulmane, était souffrante. « Nous étions tous des frères. Nous avons grandi ensemble et avons même été nourris par la même mère », se remémore-t-il, nostalgique.
Et de poursuivre : « Il n y avait pas de musulmans et de juifs au Maroc. Nous avons vécu, étudié et joué ensemble, dans le respect des religions et des coutumes des uns et des autres. Nous avons tout partagé, nos loisirs, nos jouets et nos repas », se souvient-il. Des liens qui se transmettent aux plus jeunes C'est souvent autour d'un thé à la menthe, servi avec des gâteaux marocains, qu'Albert et Ruth Ifrah, leurs deux filles et leurs proches se retrouvent régulièrement. Ce soir, le Maroc s'invite dans leurs échanges. Comme un devoir de mémoire, parcourir la dizaine d'albums rassemblant des photographies d'époque est devenu un rituel pour cette famille. Des clichés pris dans les grandes places casablancaises, en marge d'un pèlerinage à Fquih Ben Saleh, sur une plage de Fédala (actuelle Mohammedia ) ou au centre-ville de Rabat, et qui racontent « une période faste » dans la vie des Ifrah.
Ils sont aujourd'hui plus de 20.000 marocains de confession juive à être installés à Los Angeles. Leurs parents et grands-parents ont quitté leur pays pour des raisons économiques ou pour s'installer en Israël ou en Amérique du Nord essentiellement. Une diaspora originaire de toutes les régions du Maroc, et dont les liens avec le pays d'origine n'ont jamais été rompus, à la faveur de différents pèlerinages ou de visites familiales.