* L'amélioration du climat des affaires ne peut se faire sans une vision globale où l'ensemble de la chaîne administrative serait impliqué. * Le flou actuel est dommageable pour le Maroc, d'abord dans la mesure où il est difficile d'obtenir de l'information économique, financière et concurrentielle de qualité pour un investisseur étranger. * Un « Small Business Act » est devenu une nécessité impérieuse à très court terme. * Président du Forum Francophone des Affaires au Maroc, associé gérant de «Global Intelligence Partners» et auteur du livre «Intelligence économique et guerres secrètes au Maroc», Abdelmalek Alaoui livre son point de vue. w Finances News Hebdo : Lors des premières assises de l'industrie, le ministre Ahmed Reda Chami a évoqué le fait que l'amélioration du climat des affaires au Maroc sera plus lente que prévu. Vous, en tant qu'expert, pouvez-vous nous expliquer d'où émane cette difficulté et brosser le tableau de la situation actuelle ? w Abdelmalek Alaoui : La stratégie économique et industrielle a besoin de temps, les acteurs ont des besoins urgents. Réconcilier ces deux extrêmes n'est pas chose aisée, d'autant plus dans un monde globalisé où les interdépendances impactent directement le tissu économique. L'amélioration du climat des affaires ne peut se faire sans une vision globale où l'ensemble de la chaîne administrative serait impliqué. Or, c'est précisément au sein de cette chaîne que les blocages les plus importants sont identifiés et où les pouvoirs publics ont du mal à agir. Jusqu'à présent, l'idée dominante était qu'il ne faut pas trop bousculer la « technostructure », et que les changements doivent êtres effectués à la manière d'un peintre expressionniste, par touches. Je ne partage pas cette vision des chose qui aurait une rationalité si nous devions simplement améliorer le climat des affaires. Dans le cas du Maroc, nous ne devons pas viser l'amélioration, mais carrément le sursaut. w F. N. H. : Dans quelle mesure le flou existant peut-il sanctionner le Maroc vis-à-vis d'investisseurs ou de partenaires étrangers ? w A. A. : L'investisseur étranger a des contraintes multiples. Il veut avoir de la stabilité, de la visibilité et de la rigueur. Dans un monde où les distances se raccourcissent grâce aux nouvelles technologies, notre avantage comparatif se réduit de plus en plus. Or, notre réservoir de croissance n'est pas aussi profond que ce que l'on pourrait penser, le Maroc commence à devenir cher. Le flou actuel nous est dommageable d'abord dans la mesure où il est difficile d'obtenir de l'information économique, financière et concurrentielle de qualité pour un investisseur étranger. Egalement, certains comportements, heureusement marginaux, continuent à entacher l'attractivité du pays et à entretenir certains clichés qui doivent être combattus. Le flou est l'ennemi de l'attractivité économique, nous devons donc mettre de la clarté dans les règles du jeu et dans nos ambitions. w F. N. H. : Peut-on mesurer le manque à gagner pour le Maroc en termes d'IDE ? A. A. : Il y a le manque à gagner mécanique -c'est-à-dire les investisseurs qui ne viennent pas parce que le rapport coût/résultat est défavorable- mais surtout le manque à gagner en termes d'opportunités ratées. Le Maroc, aujourd'hui, peine à mettre en place une stratégie d'attraction qui sort des sempiternels road-shows où méga conférences où l'on invite -excusez moi du terme- les «suspects habituels». Aujourd'hui, il faut passer à la vitesse supérieure et devenir très agressif en matière de conquête de nouveaux entrants. Le temps de la «diplomatie économique pastilla» doit être révolu. w F. N. H. : Si vous pouvez nous faire un benchmark de la région, où classeriez-vous le Maroc par rapport à des pays concurrents comme la Tunisie, l'Egypte et la Turquie ? w A. A. : La Turquie est nettement au-dessus du lot. A titre d'exemple, il existe près de 200 personnes qui garantissent les intérêts économiques turcs à Bruxelles, et qui travaillent chaque jour auprès des instances européennes. Ceci est fondamental, car c'est au cur de l'Europe que se joue, en termes réglementaires et stratégiques, une partie de l'avenir de notre réservoir de croissance. La Tunisie est mieux organisée que le Maroc, mais cela est dû en partie à des choix industriels opportunistes qui peuvent se retourner. Quant à l'Egypte, elle est actuellement une zone d'inquiétude en terme de benchmark, même si nous n'avons pas énormément de visibilité du fait des contingences structurelles de son économie. w F. N. H. : Entre autres pistes avancées par le ministre de l'Economie pour améliorer ce climat des affaires, figurent la modernisation du Droit des affaires et des démarches administratives. Dans quelle mesure ces deux actions peuvent-elles aider à améliorer le climat des affaires au Maroc ? w A. A. : A cette question, je répondrai que la meilleure chance que nous devons absolument saisir, c'est l'implémentation de manière ambitieuse du Statut avancé octroyé par l'UE au Maroc. En effet, s'il est un domaine où l'Europe est reconnue mondialement pour sa compétence, c'est bien sa capacité à produire de la norme et du règlement, notamment sur le plan économique. Tous les grands enjeux commerciaux nationaux européens ont en effet migré vers Bruxelles depuis dix ans, ce qui indique bien le basculement du centre de gravité réglementaire du monde latin. Le Maroc doit se nourrir de cette expérience, et en bénéficier au maximum. N'oublions pas que c'est à nous de placer le curseur dans la mise en place du Statut avancé. Si nous le voulons ambitieux, il le sera w F. N. H. : Quelles sont les autres mesures à prendre pour aller vers un climat des affaires plus sain et plus équitable ? w A. A. : Un « Small Business Act » est devenu une nécessité impérieuse à très court terme. Il semble que les finances craignent d'y perdre trop d'argent. Le calcul doit être fait de manière inverse : combien d'emplois peuvent être créés ? Dans quelle mesure relanceront-ils la consommation ? Les PME et TPE seront probablement les plus grands pourvoyeurs d'emplois sur la prochaine décennie, il faut donc les encourager sans attendre. Au niveau de l'attractivité et du climat, il faudrait peut-être penser à supprimer deux, voire trois niveaux administratifs, et favoriser l'émergence de centres de domiciliation. Beaucoup d'entrepreneurs potentiels hésitent à se lancer à cause de la faible disponibilité de locaux à faible coût. La question de la simplification des tâches administratives doit revenir également au cur du débat politique.