* Les dossiers du terrorisme ont fait éclater au grand jour des pratiques portant atteinte au bon fonctionnement de la Justice. * Les garanties d'un bon exercice du rôle de l'avocat sont plutôt en recul avec le nouveau cadre régissant la profession. * Dans le cas de la Justice marocaine, il ne faut pas parler de réforme dès lors que le Maroc ne dispose pas d'un vrai pouvoir judiciaire doté d'une légitimité constitutionnelle. * La seule garantie dont disposent les avocats est un corps de métier solidaire. * Point de vue de Me Khalil Idrissi, avocat agréé près la Cour suprême et Secrétaire général du Forum Dignité pour les Droits de l'Homme (FDDH). - Finances News Hebdo : On ne cesse de parler de réforme de la Justice marocaine sans pour autant fournir plus de détails là-dessus. Comment vous, en tant qu'avocat, voyez cette réforme ? - Khalil Idrissi : Je n'aime pas parler de réforme, car cela implique la réparation de certains défauts d'une chose existante. Moi, je dis que la Justice n'a pas besoin de réforme mais de restructuration, car nous ne disposons pas d'un réel pouvoir judiciaire. Sauf si l'on veut se contenter de réformer un organe dépendant du pouvoir exécutif. Mais si l'on veut parler de Justice, il faut parler d'un pouvoir indépendant. Car l'exercice judiciaire reste très dépendant du pouvoir exécutif. Le pouvoir de la Justice impose de reconstruire cette dernière au Maroc. Et dans cette restructuration, il faut passer en revue tous les organes de la Justice, notamment les métiers comme avocats, experts, notaires Cela suppose une vision et une réelle stratégie. Dans toute démocratie, la Justice a un pouvoir sur toutes les composantes de la société, sans considération de leur rang politique, civil, économique ou social. La Justice doit instaurer l'égalité des droits ; qu'il s'agisse de militaires ou de civils, d'ouvriers ou d'hommes d'affaires en tranchant sur des dossiers opposant une partie à une autre. Pour avoir une justice pareille, il faut lui octroyer une légitimité constitutionnelle. Soit la reconnaître comme étant un pouvoir à part entière aux côtés des autres pouvoirs. Elle ne doit plus dépendre du pouvoir exécutif. - F. N. H. : Si jamais réforme il y a, quelles sont, à votre avis, les garanties ou l'immunité dont doit jouir l'avocat pour remplir son rôle de maillon incontournable de l'appareil judiciaire ? - K. I. : Dans cette vision, peut paraître l'idée des garanties qui peuvent être proposées à l'avocat du fait qu'il est un acteur incontournable de la Justice. Et parmi ces garanties figure le devoir de protéger ses droits dans le cadre de l'exercice de son rôle de défenseur. C'est ce qu'on appelle l'immunité du défenseur. Premièrement, cette immunité doit d'abord être sur le plan du savoir par le biais de la formation et l'amélioration de ses conditions de travail, pour qu'il soit à même de remplir son rôle. Il faut également que l'environnement dans lequel il exerce soit favorable à un bon exercice de la profession. Deuxièmement, il faut réviser la loi de façon à répondre aux nécessités et à renforcer les garanties. En troisième lieu, et là c'est un énorme et difficile chantier qui s'annonce, celui de la moralisation et de la formation des ressources humaines. Vous pensez bien qu'une personne ayant vécu dans un milieu où sévit la corruption, reproduirait le même schéma. Il faut donc moraliser et former les cadres de la Justice à la compétition loyale. Il faut peut-être citer, là encore, que même certains requérants qui estent en justice par mauvaise foi, pourrissent la pratique judiciaire car ils essayent de corrompre à toutes les échelles sans droit. Dans ce contexte, il ne faut vraiment pas parler de réforme car il ne suffit pas de colmater les brèches. Et en l'absence d'un pouvoir de la Justice, les maillons du processus, notamment les avocats, se trouvent affaiblis. - F. N. H. : Le métier d'avocat était régi par la loi 93 avant l'avènement de la nouvelle loi 2008. Qu'est-ce que cette loi a apporté de nouveau pour vous, avocats ? - K. I. : C'est une loi qui n'a rien apporté de nouveau concernant l'immunité des avocats et les garanties de l'exercice de la profession. C'est une loi qui, in fine, n'a pas répondu aux attentes des avocats formulées à plusieurs reprises par l'Association des barreaux des avocats au Maroc. Et pourtant, à l'issue de plusieurs conférences et séminaires, cette association a fait part de ses recommandations qui, finalement, n'ont pas été prises en compte. Cette loi a pourtant beaucoup plus insisté sur la relation avocats/clients, sans pour autant aborder la question cruciale de la relation entre les avocats et la Justice. Et ce manquement n'est que la partie visible de l'iceberg, car cette loi a noté une régression des acquis par rapport à des lois précédentes. - F. N. H. : En parlant de la relation entre les avocats et la Justice, les affaires relatives au terrorisme ont dévoilé des pratiques plutôt scandaleuses que subissent les avocats et les accusés. Ces agissements ne portent-ils pas atteinte aux droits des accusés ? - K. I. : Effectivement, les affaires de terrorisme ont fait éclater au grand jour un certain nombre d'agissements qui mettent en péril la présomption d'innocence des accusés ainsi que leur droit à un procès équitable. Cela dit, ces pratiques se manifestent au niveau des maillons de la Justice, notamment auprès de certains avocats. Il ne faut pas non plus tout mettre sur le dos des autres mais assumer également notre part de responsabilité. Parmi les pratiques les plus récurrentes figure, le fait que le juge d'instruction insiste pour interroger les accusés seuls sans leurs avocats lors de l'interrogatoire préliminaire et parfois même lors de l'interrogatoire détaillé. Certains d'entre eux vont jusqu'à préciser dans les PV que les avocats étaient présents, chose qui n'est pas vraie. Et puis, il y a le phénomène des dossiers exceptionnels où le juge d'instruction persiste à ne pas donner le droit aux avocats de se procurer des copies des PV de ces dossiers alors que c'est une pratique courante dans d'autres dossiers. En plus, on peut dire que la majorité des jugements concernant ces dossiers étaient non équitables. Et pour moi, c'est une régression dangereuse ! - F. N. H. : Finalement, si demain un avocat veut dénoncer l'abus d'un juge ou d'un magistrat ou même du système, qu'est-ce qui lui garantit de ne pas se voir mettre tout sur le dos ? - K. I. : En réalité, dans des conditions pareilles, notre immunité nous la devons à la solidarité du corps des avocats et de nos instances représentatives. Ainsi, plus on est solidaire, plus on saura se défendre contre tout abus. Et si l'on faiblit, cela ouvrira la voie à l'abus !