* La Justice est, dans une large mesure, assujettie au pouvoir exécutif, à savoir le ministre de la Justice. * Le recrutement et laccès à la magistrature passe par le ministère de tutelle. Difficile donc de parler dune réelle indépendance des magistrats du pouvoir exécutif. * Les immunités et garanties accordées aux avocats ne leur permettent pas de dénoncer les violations faites à leurs clients. Ce nest un secret pour personne que la Justice marocaine se porte mal. Il y a un besoin urgent de rétablir cette institution dans son tout premier rôle : rétablir la justice ! Dailleurs, bien des ministres de la Justice ont tenté des réformes sans que cela ne puisse aboutir. Abdelouahed Radi néchappe donc pas à cette règle et tente, à son tour, de réformer la Justice. Voilà une tâche tellement difficile et ingrate quand on connaît létat actuel des choses. Pas besoin de parler des petits soucis comme la corruption et autres vices qui minent ce corps, dès lors que lun des problèmes-phares de la Justice reste son indépendance par rapport au pouvoir exécutif. Les premiers dans le collimateur sont les magistrats : on les accuse de tous les maux. Pourtant, un grand magistrat, contacté par nos soins, explique : «Quand jentends parler de lindépendance de la Justice, je souris pour la simple raison que, dans la pratique, la loi du 11 novembre 1974 sur le statut de la magistrature, intervenu par Dahir pendant la période de létat dexception, assujettit les magistrats au pouvoir exécutif, cest-à-dire au ministère de la Justice. Ce dernier contrôle tout le processus de recrutement et de formation permettant laccès à la magistrature. Et cest lui qui dresse la liste des juges candidats à la notation et à lavancement. Ce nest quune fois cette liste dressée que le Conseil Supérieur de la Magistrature est consulté ! Les exemples sont légion. Dans ce contexte, je vois mal pourquoi létat critique de la Justice marocaine incomberait aux seuls magistrats». Dailleurs, en 2004, un magistrat a eu le courage de saisir le tribunal administratif de Rabat pour sopposer à une décision du ministre de la Justice le mutant à Ouarzazate. Le magistrat, qui a vu là un abus en matière daffectation, a obtenu gain de cause puisque ce même tribunal avait décidé dannuler la décision du ministre. Sur ce même point des affectations, le cas des juges dinstruction mérite quon sy arrête puisque le ministre de tutelle intervient au niveau de la désignation et de la cessation des fonctions dun juge dinstruction. Ce dernier peut toujours saisir le tribunal administratif sil se sent sous pression. Dailleurs les juges nont pas dautre recours et ne jouissent pas de la liberté dassociation. Mais peut-on faire face tout le temps à celui qui contrôle, dans une large mesure, le processus disciplinaire ? Avocats, les parents pauvres Le concours des avocats dans lindépendance de la Justice est primordial puisquils sont un des maillons de la chaîne de lexercice. Si, il y a quelques années, les immunités de la défense étaient lobjet du chapitre 5 de loi du 10 septembre 93, il y a désormais la loi de 2008 qui régit le métier. Une loi qui naurait rien apporté de nouveau dans le sens du renforcement de ces immunités. En effet, les avocats peuvent faire lobjet de poursuites si jamais ils se hasardaient à dénoncer la corruption ou une violation des procédures. Les cas les plus marquants sont ceux de 5 avocats de la ville de Tétouan qui ont écrit «une lettre à lHistoire» pour dénoncer la corruption au sein de la Cour dappel de cette ville. Ils avaient demandé, dans cette lettre, que des commissions denquête fassent la lumière sur la corruption au sein de cette juridiction. Les cinq avocats seront jugés à huis clos devant la Chambre du Conseil de la Cour dappel qui rejette plusieurs exceptions préliminaires et refuse les demandes des avocats dentendre les témoins. Trois avocats seront radiés et deux autres suspendus pendant deux ans. Un pourvoi en cassation a été introduit en mars 2007, mais laffaire est toujours devant la Chambre administrative de la Cour Suprême. Une autre affaire a éclaté mais, cette fois-ci, à travers la presse. Elle concerne deux avocats du Barreau de Rabat défendant des personnes arrêtées dans des affaires liées au terrorisme. Les deux avocats avaient dénoncé les violations rapportées par leurs clients, notamment des cas denlèvement, de torture ou de modification des dates darrestation Si le Conseil de lOrdre de Rabat a décidé de classer laffaire considérant quaucune faute professionnelle navait été commise, le procureur du Roi près la Cour dappel de Rabat a fait appel de cette décision, renvoyant les deux avocats devant la Cour. Heureusement que ces derniers ont pu compter sur la solidarité dune dizaine davocats qui se portent à leur défense. De même quils sont soutenus par lAssociation des Barreaux du Maroc et par lUnion des avocats arabes ainsi que les 17 Conseils de lOrdre et ONG des Droits de lHomme. Laffaire se poursuit encore mais, cette fois, devant la Cour suprême. Si les droits de la défense sont généralement respectés, il nen demeure pas moins quavec les affaires liées au terrorisme, les avocats doivent de plus en plus faire face à des restrictions. «Il est inadmissible de constater que dans une affaire opposant un avocat à un juge, que ce dernier participe au jugement de laffaire», sindigne un avocat du Barreau de Casablanca. «Nous attendions avec impatience la révision de la loi 93 et ladoption de loi relative à la profession davocat, mais le résultat est en deçà de nos attentes», déplore-t-il. À la lumière de lenvironnement actuel de la Justice, parler de réforme est certainement dépassé. Lindépendance de la Justice doit faire lobjet dune réelle volonté et dun vrai courage politiques pour revoir de fond en comble cet organe.