l La stratégie Nationale de Développement Urbain porte les ingrédients dune véritable transformation des modes daction et dorganisation publiques. * Le point avec Ali Bouabid, consultant en management public territorial, auteur du rapport sur la «Déconcentration et la gouvernance des territoires» présenté au Forum National de Développement Urbain en janvier dernier. A. Bouabid est secrétaire général de la Fondation Abderrahim Bouabid, et membre du bureau politique de lUSFP. - Finances News Hebdo : Lors des précédentes communales, pensez-vous que la gestion des communes avait répondu aux règles de transparence et déthique ? - Ali Bouabid : Je crois que cest au ministère de lIntérieur, celui de la Justice et à certaines ONG qui ont supervisé le processus électoral, quil faut prioritairement adresser cette question. Il y a en outre le Conseil constitutionnel qui a été saisi de plusieurs recours émanant de certains candidats. Cette masse dinformations constituerait un matériau non négligeable, sans compter celles relayées par la presse, pour établir une évaluation de cette consultation, ou plutôt de lampleur et de la nature des fraudes qui lont entachée. La seule note positive, si je puis dire, cest que ladministration territoriale est dorénavant bien consciente dêtre confrontée à une alternative assez déroutante : soit elle laisse faire, en observant une «neutralité passive», et ouvre ainsi la voie à une corruption généralisée. Cette posture aboutira à la reproduction des élites locales actuelles, quelle a, du reste, largement contribué à promouvoir dans un passé récent. Soit elle se fait plus interventionniste en recourant à des outils de régulation (découpage administratif et électoral, mode de scrutin différencié, mobilisation des agents dautorité, poursuites judicaires sélectives ) plus ou moins explicites, car plus ou moins légaux. Dans les deux cas, une distance nous sépare encore dun scrutin transparent, susceptible dasseoir les fondements dune démocratie locale digne de ce nom. Autant dire que le tableau est moyennement réjouissant, dautant que, par ailleurs, rien nindique que la mobilisation de nos concitoyens sera au rendez-vous. Avec la meilleure volonté du monde on ne pourra faire mieux que de tenter de crédibiliser un tant soit peu le processus électoral, en étant ferme et exemplaire dans lapplication de la loi. - F. N. H. : À la lumière de la nouvelle Stratégie Nationale de Développement Urbain, on parle des villes comme locomotives économiques, mais comment, à votre avis, peut-on concilier entre développement urbanistique, économique et politique pour atteindre cet objectif ? - A. B. : La Stratégie Nationale de Développement Urbain réalise très bien cette synthèse. Cest un vrai document de grande qualité qui constitue, à nen pas douter, une excellente base de travail. Il pose un diagnostic à la fois dense et juste. Il doit à présent être partagé par lensemble des départements sectoriels concernés, afin que les pistes proposées puissent faire lobjet dune appropriation commune, dabord au sein de lEtat. Ce nest pas gagné, car ce document porte en germe les ingrédients dune véritable transformation des modes daction et dorganisation publiques et donc suppose de réelles remises en cause. Viendra ensuite la question épineuse de lancrage institutionnel dune telle stratégie qui doit, me semble-t-il, bénéficier dun portage politique interministériel très fort pour avoir quelques chances de connaître une traduction dans les faits. - F. N. H. : Comment amener les futurs candidats aux communales à prendre des engagements fermes sur la notion de transparence à la veille des prochaines élections ? - A. B. : Les expériences passées en ce domaine montrent que le formalisme convenu des engagements pèse peu assez de poids face à la réalité de ce quil faut bien qualifier de véritable «marché électoral». Il faut avant tout une mobilisation tous azimuts pour que ne prévale que la seule application de la loi. - F. N. H. : Quelles sont les valeurs de progrès sur lesquelles les candidats doivent se positionner pour être au diapason avec la volonté de faire des villes des locomotives économiques ? - A. B. : Les villes doivent, certes, devenir des locomotives économiques, mais aussi des lieux de vie et de cohésion sociale et, enfin, des niveaux de représentation légitime de laction politique locale au service de nos concitoyens. Autrement dit, il nest dapproche en matière urbaine, que globale. Quant aux valeurs à promouvoir, par delà les effets de manche et de mode, ce sont celles qui concourent à forger un intérêt général local auquel les citoyens doivent sidentifier progressivement. Noublions pas que lavenir de la démocratie dans notre pays, et bien entendu des valeurs quelle incarne, est suspendu au sort des couches moyennes urbaines qui en sont et en seront, au Maroc comme ailleurs, le vecteur par excellence. - F. N. H. : Quels repères crédibles donner aux citoyens pour leur permettre de faire un choix réfléchi de leurs représentants politiques ? - A. B. : Nos concitoyens doivent être lucides et mesurés sagissant des attentes quils nourrissent à l'endroit de leurs élus, mais sans pour autant basculer dans le désenchantement. Il faut donc tout simplement commencer par voter. Car la démocratie locale est un processus par nature difficile et à maturation lente. Jobserve à ce titre que certaines expériences délus en milieu rural et urbain sont dignes dintérêt et méritent dêtre connues et reconnues. Car on parle malheureusement plus souvent de ce qui ne marche pas, et pas suffisamment de certaines réalisations assez admirables. - F. N. H. : Comment créer un sursaut positif et faire des élections de 2009 un épisode qui puisse faire avancer le processus économique au Maroc ? - A. B. : La ville est aujourdhui appréhendée comme un condensé de difficultés et de déficits en infrastructures et en services publics. Le constat est exact et incontournable pour qui y fourre le nez. Mais les fonctions urbaines ne sont pas réductibles à une politique de réparation répondant à lurgence. Le sursaut viendra dabord des pouvoirs publics qui doivent constituer la ville en enjeu stratégique majeur avec une traduction institutionnelle tangible. Ensuite, cest aux partis politiques quil appartiendra de présenter des candidats crédibles quant à leur détermination à uvrer pour le bien public. Enfin, les citoyens, notamment en milieu urbain, doivent aussi devenir acteurs en ne boudant pas facilement les urnes. On ne peut vouloir la démocratie et sidentifier aux valeurs qui la portent, tout en cultivant un désintérêt, voire un dédain, pour les affaires locales ! Il faut rompre avec cette spirale du scepticisme qui fragilise les avancées observables ici et là. Cela ne se décrète évidemment pas, cest pourquoi tout le monde doit se sentir concerné car, de fait, tout le monde lest directement ou indirectement.