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Crise internationale : Lettre ouverte à Abbas El Fassi
Publié dans Finances news le 07 - 11 - 2008

Le Maroc a opté pour le libéralisme. Nécessairement et indépendamment du contexte international, il doit connaître périodiquement des crises plus ou moins aiguës. Ceci pour la simple raison que la crise est quelque chose d’inhérent au système capitaliste lui-même. C’est sa maladie chronique.
Ces dernières années, notre pays a vécu une période relativement favorable dans une conjoncture mondiale qui était elle-même favorable. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Traditionnellement, il suffisait que la France éternue pour que le Maroc s’enrhume. Mais quand la France s’enrhume, devinez ce qui arrive au Maroc ? Et que dire quand toute la planète est malade ?
Cette maladie remonte aux événements dramatiques du 11 septembre 2001. Sommairement, l’économie américaine était alors menacée d’une forte récession. Les taux d’intérêt ont été alors rabaissés jusqu’à 1% pour booster la demande. Les banques prêtaient à bras ouverts sans être regardantes sur la solvabilité des clients. Il s’ensuivit un boom immobilier sans précédent. Pour éviter la tendance inflationniste, la FED (banque centrale américaine) a relevé dernièrement les taux d’intérêt. Or, il s’est trouvé qu’une grande partie des prêts immobiliers étaient à taux d’intérêt variables. Il fallait payer des traites de plus en plus élevées. Le nombre des insolvables grandit de jour en jour. Les banques qui ont prêté avec largesse, et/ou les institutions qui ont acheté la dette des insolvables, procèdent à des saisies de logements sans possibilité de revente et entrent en difficulté. Les bilans s’affichent en négatif. Les Bourses s’en ressentent. C’est la descente aux enfers ! Cela ne concerne pas uniquement les USA car toutes les grandes banques de ce monde ont des placements en Amérique. Les institutions européennes ont aussi subi de grosses pertes.
On n’a pas agi à temps. La crise financière passe du système bancaire à la Bourse et se propage pour toucher la sphère de l’économie réelle (ralentissement de la croissance, faillites, montée du chômage, baisse de la demande…). C’est la récession. Les économistes savent que la persistance, dans la durée, de celle-ci engendre la dépression. Sommes-nous dans cette perspective ? Beaucoup d’économistes l’admettent. Les politiques aussi.
Pour comprendre pourquoi le gouvernement américain a tardé à agir, il faut revenir aux fondements de la doctrine libérale. Les Républicains, dont le président Bush, s’inspirent du libéralisme pur et dur. Celui-ci stipule que le marché est le seul régulateur de l’économie. La fonction de l’Etat est réduite aux fonctions régaliennes (sécurité, diplomatie, défense et justice) et à la garantie des conditions de la concurrence. L’interventionnisme ne peut se justifier qu’en cas de monopole à coûts croissants ou en cas d’externalités portant atteinte à la concurrence. Dans cet esprit, le marché serait doué de facultés extraordinaires permettant une allocation optimale des ressources. Toutes autres interventions de l’Etat produiraient des dysfonctionnements dans le marché et induiraient des déséquilibres.
Les Démocrates, eux, (dont Obama), admettent, certes, les lois du marché mais les considèrent insuffisantes d’où la nécessité de l’intervention de l’Etat. Ils sont plus ouverts sur l’approche keynésienne avec des politiques de régulation. C’est la revanche de Keynes sur Milton Friedman et ses disciples de l’économie de Chicago; ceux-là qui ont posé les jalons doctrinaires d’un «marché libre et autorégulateur», source de la bourrasque actuelle.
Sur le terrain, les politiques économiques des pays industrialisés vacillent donc entre le plus d’Etat (régulation) et le moins d’Etat (dérégulation) au gré des courants de pensée qui inspirent les décideurs.
Pour simplifier davantage, on peut avancer qu’historiquement, la crise de 1929 est une crise de la régulation par le seul marché (non-interventionnisme). Celle de 1973, une crise de l’interventionnisme.
Il s’en est suivi jusqu’à aujourd’hui
une politique de non-interventionisme (Thatchérisme en Grande-Bretagne et Reaganisme aux USA). L’ère de l’interventionnisme a sonné. On accepte même l’idée des nationalisations chez l’équipe Bush ! La réalité a fait éclater les dogmes doctrinaux !
Face à la récession, il faut agir. La résistance s’organise. Les citoyens des pays démocrates sont traités en majeurs. Leur gouvernement les ont, de manière pédagogique, avertis. Il n’y a pas eu de mouvements de panique !
Au Maroc, rien ne bouge. La crise connaît pas ! Le gouvernement veille au grain. Rien n’arrivera par mer, ni par terre, ni par air. Si le Premier ministre est d’un silence de plomb, le ministre des Finances, lui, crie à qui veut l’entendre qu’il tient tout en main. Il plane dans un monde virtuel sans nulle turbulence. Quelle inconscience face à des séismes financiers de forte magnitude et face à la propagation imparable de leurs effets. La crise actuelle est comme un gros feu qui s’attise et s’amplifie selon la vitesse et la direction des vents.
Monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre des Finances, vous traitez les citoyens en mineurs. Vous leur cachez la vérité ; on ne sait dans quel dessein.
Or, vous savez bien que :
- l’Europe, après les USA, est entrée en récession ;
- plus de 70% de notre commerce extérieur se fait avec ces pays européens, avec la France en tête ;
- le chômage va remonter dans ces pays et va toucher aussi les MRE ;
- la demande intérieure de ces pays, pilier central de leur économie, va régresser ;
- beaucoup d’entreprises dans ces pays vont tomber en faillite faute de crédits bancaires et faute de demande ;
- les activités de services vont s’en ressentir ;
- les Européens vont voyager de mpoins en moins du fait de cette crise ;
- les entreprises européennes vont réduire leurs investissements faute de demande ;
- les gouvernements européens vont tout faire pour limiter les délocalisations en vue de limiter l’ampleur du chômage…
Ce constat relève presque de l’évidence. Si c’est le cas, pourquoi notre gouvernement s’obstine-t-il à ne pas prévenir les Marocains des risques qui menacent notre économie dans les mois à venir ? Ce silence risque de nous conduire, si par malheur les choses venaient à empirer, à un mouvement de panique. Il est temps de préparer les esprits, monsieur le Premier ministre. Qu’attendez-vous pour communiquer ?
Le vent de crise souffle déjà sur le Maroc. L’année 2009 sera difficile :
- Moins de touristes : il faudrait tabler sur une chute au moins de 15 à 20% des recettes ;
- Des MRE touchés par le chômage transfèreront moins d’argent ;
- Nos exportations vont stagner, voire régresser en volume et en valeur dont les phosphates et dérivés ;
- Les investissements étrangers au Maroc vont régresser mais Renault doit coûte que coûte respecter ses engagements à Tanger !
- Des entreprises vont dégraisser en procédant à des licenciements, à commencer par le bâtiment et le textile ;
- Les bilans de beaucoup d’entreprises vireront au rouge ;
- La Bourse de Casablanca suivra la trajectoire des entreprises en difficulté ;
- Le chômage augmentera sensiblement, conduisant à une baisse de la demande intérieure ;
- Le nombre de transactions va diminuer réduisant les recettes de l’Etat (TVA, droits d’enregistrement, IS…)
- Le déficit budgétaire sera de retour après une courte période d’équilibre, voire d’excédent. Il faudra s’endetter plus. La baisse du prix du pétrole et des produits agricoles ne peut pas compenser les pertes.
Le Maroc entrera en récession. Celle-ci durera ce que va durer la crise en Europe et aux USA. Deux à trois ans seront nécessaires pour revenir à la normale. Pendant ce temps-là, ce sont ceux qui disposent d’argent frais qui vont profiter de la situation en achetant à bas prix des biens qui auront plus de valeur demain (foncier, immobilier…).
La crise est toujours une occasion pour plus de concentration des richesses !


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