* Chaque contrôle a sa propre mission et son but précis, mais certains dentre eux ne permettent pas dassurer la performance des achats. * Des établissements ont pu améliorer le niveau de performance par le biais du management sans pour autant changer de cadre réglementaire. * La nouvelle réglementation des marchés publics vient dêtre adoptée. Il faut donner du temps aux gestionnaires pour lassimiler. Finances News Hebdo : Peut-on savoir dans quel cadre sinscrit le séminaire sur la performance des achats publics organisé par lALISA ? Daafi Redouan : En organisant ce séminaire, lAssociation des Lauréats de lInstitut Supérieur de lAdministration (ALISA) entend conforter son choix dassistance au monde de la gouvernance quil a pour mission de servir. Ainsi, lALISA intervient pour apporter des réflexions, des analyses et des interprétations à des questions dactualité dans le domaine de la modernisation de lEtat. La thématique choisie sinscrit dans le vaste chantier de modernisation que lAdministration marocaine est en train dentreprendre, notamment en matière de réforme des marchés publics. Ainsi, suite à lentrée en vigueur du nouveau décret régissant les marchés publics, lorganisation de ce séminaire vient à point nommé pour évaluer les apports de ce cadre juridique dans lamélioration de la performance des achats publics. Aujourdhui, des exemples significatifs montrent que les résultats en termes de renforcement des infrastructures de base, damélioration des conditions de vie des citoyens tardent à être réalisés et ce, malgré le poids économique de la commande publique. F.N.H. : En dépit du poids important des achats publics dans le PIB, soit environ 15%, le Maroc accuse un retard important en matière déquipement. Peut-on savoir à quoi est dû un tel retard ? D. R. : De nombreux rapports ont décrit la situation dégradée des finances publiques au Maroc, caractérisée notamment par le déficit budgétaire de l'État et le fort taux d'endettement. Or, lune des raisons principales de cette situation vient dune gestion publique peu efficace. Ainsi, depuis longtemps, la sphère publique a connu une croissance rapide de ses dépenses et de ses effectifs. De nombreux dispositifs ont été créés, sans quil y ait eu, en contrepartie, autant de suppressions. Les attentes des citoyens ont changé et, attachés à leurs services publics, ils souhaitent que ceux-ci sadaptent et rendent le meilleur service au moindre coût. La performance des achats publics constitue donc une condition forte du lien social, de la performance des entreprises, de lattractivité du territoire. Cette performance a deux aspects : dune part des achats publics adaptés aux besoins ; dautre part un coût raisonnable, car le niveau des prélèvements obligatoires a, lui aussi, un impact sur le lien social, la performance des entreprises et lattractivité de notre pays. En partant de la situation actuelle, ces deux exigences de meilleure qualité et de moindre coût ne sont pas contradictoires. En effet, elles supposent le même effort : remettre en cause les doublons, savoir abandonner des politiques qui ne fonctionnent pas, changer le réglage de certaines interventions de lÉtat. Il faut en fait répondre à la fois à la nécessité dassainissement des achats publics et au souhait des citoyens de bénéficier dun niveau de service répondant à leurs attentes. Cette double exigence était au cur de la problématique du séminaire sur la performance des achats publics organisé par lAssociation des Lauréats de lInstitut Supérieur de lAdministration, le 30 janvier 2008. F.N.H. : Les achats publics sont soumis à une multiplicité de contrôles (Cours des comptes, CCR, Inspection générale des finances ). Jusquà quel degré ces contrôles ont-ils contribué à la transparence des dépenses publiques ? D. R. : Chaque contrôle a sa propre mission et son but précis. Leur objectif est dassurer le respect de la réglementation. Toutefois, certains ne permettent pas dassurer la performance des achats. Aujourdhui, un chantier de réforme du contrôle de la dépense publique est lancé. Il vient compléter les autres actions de réformes des finances publiques à savoir : la gestion axée sur les résultats, le cadre de dépenses à moyen terme. Ce chantier vient aussi accompagner la nouvelle réglementation des marchés pour sinscrire dans la logique de la consolidation de la rigueur financière et de lefficacité économique. Comme vous le savez, les dépenses publiques sont soumises à un contrôle administratif préalable à lengagement et au paiement. Ce système privilégie plus le contrôle de la régularité formelle des actes de gestion que lefficacité des opérations financières publiques et la performance des services gestionnaires. Conscients de la nécessité daméliorer le système de contrôle, des actions ont été déjà entreprises. Nous pouvons citer le rapprochement du CGED et de la TGR, créant ainsi un seul pôle de contrôle de la dépense, qui doit constituer linterlocuteur unique pour les services ordonnateurs. Lobjectif de ce projet est de réorienter le contrôle a priori, vers une logique de résultat et dévaluation des performances, avec une responsabilisation progressive des gestionnaires et aussi de renforcer la coordination entre les services et réduire les coûts du système de gestion et de contrôle de la dépense publique. Cette réforme saccompagne bien évidemment dune conduite de changement et aussi dun changement de conduite par la mise en place progressive dun système dinformation performant reposant sur le projet «Gestion Intégrée de la Dépense» (GID); F.N.H. : Est-ce que vous ne pensez pas que la réglementation relative à la dépense publique puisse contribuer au renchérissement de la prestation ? D. R. : La réglementation actuelle des marchés de lEtat, reprise par les collectivités locales et la majorité des établissements publics, nest pas totalement déconnectée du souci defficience et defficacité, comme le laisserait entendre la prédominance de la sécurité juridique dans les opérations dachat public. Elle offre, au contraire, une marge de manuvre non négligeable à lacheteur. A titre dexemple, la définition des besoins ou encore le choix de la procédure de passation au dessous dun certain seuil (appel doffres ou bon de commande) font partie du champ dautonomie de lacheteur public. Laquelle autonomie est appelée à croître avec la modulation des contrôles prévue pour ces achats. De même, lintroduction du principe de dématérialisation dans la nouvelle réglementation des achats de lEtat est lexpression forte dune volonté defficience, à plus grande échelle, du processus dachat. En fait, lapplication saine de cette réglementation permet indéniablement dassurer un certain niveau de performance. Il ne peut en être autrement, puisquelle repose sur des principes forts de concurrence et de transparence qui ne sauraient induire une non-performance. Néanmoins, on peut affirmer que cette dernière peut être «dopée» et atteindre des niveaux élevés par un meilleur management de la fonction achat sans changer le cadre réglementaire. Cela dépend avant tout de limportance accordée par les gestionnaires à cette fonction dans leurs administrations. Pour sen convaincre, il suffit de prendre connaissance des expériences de certains établissements publics marocains pionniers en la matière qui, tout en se conformant à la réglementation applicable aux achats de lEtat et en se soumettant à des contrôles similaires, donc à risque juridique égal, ont réussi à créer des modèles originaux de management de leur fonction achat. A titre dexemple, sur le plan organisationnel, on peut citer la création de structures dédiées à lachat qui reposent sur les principes de séparation des fonctions prescripteur et acheteur et la spécialisation de ces derniers, ou encore lutilisation de fonctionnalités modernes telles que la veille fournisseur, la veille réglementaire et la normalisation des procédures, la contractualisation des moyens et des objectifs, la déconcentration des achats, etc. Sur le plan du processus, on peut citer le développement de mécanismes de contrôle interne, lusage dindicateurs de performance et doutils de maîtrise des besoins, linstauration de délais intermédiaires et de procédures spécifiques en cas durgence, etc. Ces modèles de management de la fonction achat constituent une source dinspiration pour ladministration de lEtat qui, insufflée de lesprit de performance, cherche à se réorganiser et à se doter des meilleures pratiques en la matière. Cest un complément précieux à la dynamique de concertation et déchange lancée, fin 2007, dans le cadre du Forum de la Performance, structure interministérielle qui se veut promotrice de la culture de performance dans les administrations de lEtat. F.N.H. : Vous avez parlé de la dématérialisation de la commande publique. Pouvez-vous nous expliquer de quoi il sagit et comment pourra-t-elle améliorer la performance ? D. R. : Le développement de la dématérialisation de la commande publique est la clé de voûte de la modernisation. Il a pour ambition daméliorer lefficience du service public. Il permet de promouvoir la mutualisation des moyens et ressources nécessaires à la réalisation des travaux de ladministration électronique, de piloter leur suivi et leur planification et de favoriser lanimation de réseau. Elément indispensable au bon développement de la performance, la dématérialisation permet, notamment de cadrer les projets dadministration électronique, lélaboration des référentiels généraux dinteropérabilité et daccessibilité pour les Administrations ainsi que les interactions interministérielles relatives à ladministration électronique. Cest un levier des Technologies de lInformation et de la Communication (TIC) pour conduire et mettre en uvre les politiques publiques. Ce nest pas un processus purement informatique qui se restreint à mettre à la disposition de lusager des informations et des documents. Mais il consiste à repenser les processus de dématérialisation et de changement des organisations et linstauration dune culture de métiers, visant ainsi à mettre lusager au centre du processus pour mieux répondre à ses attentes. F.N.H. : Le texte relatif à la nouvelle réglementation des marchés publics vient dêtre adopté et on parle déjà dune réforme de cette nouvelle réglementation. Quelle explication pouvez-vous donner à cette situation ? D. R. : La nouvelle réglementation des marchés publics vient dêtre adoptée. Il faut donner du temps aux gestionnaires pour lassimiler. Il faut aussi du temps pour pouvoir lévaluer et lexpérimenter pour pouvoir en tirer des enseignements. Il est évident de se poser des questions sur cette réforme. Mais limportant est de savoir gérer cette transition et que les gestionnaires disposent de mécanismes adéquats pour la mise en uvre de ce nouveau texte.