* Le secteur est menacé par l'inorganisation, l'exploitation illicite, le laisser-aller et l'absence d'un véritable suivi de nos activités. * L'accord avec l'UE va plonger l'activité dans un nouveau cycle de surexploitation. Finances News Hebdo : M. Benkirane, vous venez d'être élu Président de la Fédération des Industries de la Mer (FIM). Pouvez-vous nous dire pourquoi vous vous êtes présenté et ce que vous comptez apporter à cette Fédération ? Rachid Benkirane : Je me suis présenté d'abord parce que le poste était tout simplement vacant du fait que Mme Doukali a achevé son mandat. D'autre part, et c'est en même temps une réponse au second volet de votre question, le secteur de la pêche est à bout de souffle, pour ne pas dire en très mauvaise posture, et il doit faire face à l'entrée en application du nouvel accord de pêche signé avec l'UE. J'ai une assez longue expérience dans le secteur où j'ai, à l'instar de beaucoup de mes confrères, investi tant au niveau de la flotte qu'au niveau des industries à terre. Il était donc normal de faire le pas et de me présenter, encouragé dans ce sens par mes confrères, soucieux comme moi de la nécessité de sauver ce qui reste encore à sauvegarder de nos investissements. F. N. H. : Certains ont vu d'un mauvais il l'arrivée des nouveaux adhérents de la pêche artisanale. Qu'en pensez-vous ? R. B. : La question est à poser à ceux qui, comme vous dites, voient ces entrées d'un mauvais il. Pour ma part, je ne peux personnellement qu'apprécier ce renfort en PME. La modestie de la taille de l'entreprise ne saurait constituer un facteur de blocage à l'adhésion à la CGEM qui, du reste, a ouvert ses statuts à toutes les catégories d'entreprises. Sur le plan strict de la pêche, la pêche artisanale dont le représentant, faudrait-il le rappeler, figurait déjà au sein de l'ancien bureau de la Fédération, constitue un pan d'activité très important sur le plan socio-économique et représente pour la seule pêche aux poulpes 26% du tonnage. Je pense qu'il faut dépasser ces clivages dus à des considérations contingentes et s'atteler sérieusement aux actions à mener pour permettre au secteur de la pêche de continuer à jouer son rôle de vecteur de développement. F. N. H. : Est-ce que le fait que vous appartenez à la pêche hauturière ne va pas vous pousser à défendre surtout ce segment ? R. B. : Vous savez, chaque segment a des problèmes et ces problèmes, qu'ils soient de la pêche hauturière, côtière ou artisanale, seront âprement débattus. Mais au-delà, croyez-moi, il n'y a pas de compétition entre segments d'activités. La bataille que nous menons tous se concentre sur l'équilibre de nos comptes d'exploitation. Or, à ce niveau, nous souffrons tous des mêmes maux. Je vous donne un exemple concret : la production nationale de poulpe était de près de 120.000 tonnes en 2000 ; en trois ans elle a dégringolé pour se situer à moins de 20.000 tonnes en raison de l'anarchie qui s'est instaurée dans cette branche d'activités. On a évité une catastrophe écologique et économique de justesse. Tout le monde a perdu, tous segments confondus. Donc, nos ennemis ne sont pas nos collègues des autres segments de la pêche, mais plutôt l'inorganisation, l'exploitation illicite, le laisser-aller et l'absence d'un véritable suivi de nos activités. Une bonne gestion de la ressource implique un minimum d'organisation, laquelle doit s'effectuer sur des bases d'exploitation saines et durables et permettre à tous les segments d'évoluer dans un cadre sécurisé et rentable. F. N. H. : A ce propos, l'entrée en vigueur de l'accord de pêche avec l'UE est imminente. Que pensez-vous de cet accord ? R. B. : II est bien évident qu'en tant que pêcheur je ne saurais qu'être contre ; car cet accord nous fera du mal en nous replongeant dans un cycle infernal de déséquilibre d'exploitation. Nous avons lutté âprement par le passé pour que l'accord de pêche ne soit pas renouvelé, et les pouvoirs publics nous ont suivis compte tenu des conséquences graves que l'accord avait produites sur l'ensemble des composantes du secteur et des dommages énormes qu'il a causés au niveau des ressources. D'ailleurs, depuis le départ de la flotte européenne et jusqu'à présent, les ressources halieutiques n'ont pas encore pu retrouver leur équilibre, et les armements continuent à souffrir en raison des profondes perturbations induites par l'ancien accord sur les stocks de poissons. Aujourd'hui, un nouvel accord va entrer en jeu. F. N. H. : Qu'en est-il de la mise à niveau du secteur ? R. B. : L'amélioration des outils de production est un chantier éminemment important. Il faut viser une mise à niveau réelle, ce qui suppose non pas uniquement une modernisation, mais également une restructuration des flottes. Le Maroc a développé une flottille diversifiée mais calibrée en fonction des conditions d'exploitation qui prévalaient à une époque désormais révolue. Aujourd'hui, les données ont changé tant sur le plan des ressources que sur le plan des marchés et du coût des intrants. Par conséquent, des rééquilibrages seraient salutaires. F. N. H. : Quid des moyens ? R.B. : Les moyens existent et ont été domiciliés à l'Office des Pêches ; ils vont même augmenter suite à l'enveloppe qui a été consacrée à ce sujet au niveau de l'accord de pêche avec l'UE. Il s'agit maintenant de cesser les tergiversations du passé, de prendre attache avec les professionnels et de passer enfin à des actions concrètes, car le temps ne pardonne pas. F. N. H. : L'autre axe de préoccupation semble celui du gasoil... R. B. : Au niveau des coûts de production, l'Administration doit absolument se départir de son attitude attentiste et prendre les devants pour faire face à la flambée des prix du gasoil. Les armements, petits et grands, sont asphyxiés et cumulent les déficits en raison de la régression de la production et de la stagnation de leurs chiffres d'affaires (6 milliards de DH en 2002, 4,6 en 2003, 4,4 en 2004 et 6,6 en 2005). Il est clair que le principal poste de charges, en l'occurrence le gasoil, constitue un poids impossible à continuer à traîner et qui menace la survie de toutes les entreprises de pêche. Et il s'agit làd'un facteur exogène sur lequel nous avons peu d'emprise.