* Le SISTEP 2006, dans sa 7ème édition, s'inscrit dans une conjoncture favorable marquée par l'ampleur des phénomènes d'externalisation et de délocalisation. * La recherche des stratégies alliant compétitivité et rentabilité est une condition sine qua non pour la réussite dans un contexte de plus en plus libéral. * Noureddine Bouyakoub, Directeur général de la BNSTP, explique. Finances News Hebdo : Le SISTEP tient aujourd'hui sa 7ème édition. Pouvez-vous nous parler de la particularité de cette édition par rapport aux précédentes et quelles sont vos principales attentes ? Noureddine Bouyakoub : Le SISTEP 2006, qui consacre les 12 années d'existence du Salon, rehaussé une nouvelle fois par le Haut Patronage de SM Mohammed VI, confirme son caractère de carrefour incontournable dans le paysage industriel marocain, pour favoriser l'investissement et offrir des opportunités accrues aux entreprises, donneurs d'ordre et PME-PMI, qui noueront à cette occasion des contacts d'affaires et négocieront des accords de sous-traitance et de partenariat. Car le défi que veut relever le SISTEP 2006 est de stimuler et valoriser davantage la sous-traitance marocaine et le partenariat industriel, notamment après le lancement du Programme Emergence, qui vient à point nommé pour mettre à profit les opportunités issues de la délocalisation de la sous-traitance, impulser le développement de nouveaux métiers et secteurs, repositionner les secteurs structurants et accélérer la modernisation de nos entreprises. Comparée à celle de 2004, l'édition 2006 est en effet marquée par plusieurs nouveautés. Le SISTEP accueille cette année plus de 350 exposants en provenance de 16 pays répartis sur les cinq continents. En plus de ses traditionnels participants venant d'Europe occidentale (France, Espagne, Portugal, Belgique, Allemagne et Italie) qui passent à 35 exposants, les pays de l'Est sont massivement représentés à travers la Tchéquie qui totalise à elle seule plus de 166m2 et plus d'une vingtaine d'exposants, ainsi que la Pologne. Aux côtés du Maroc, l'Algérie, la Tunisie, la Libye et le Sénégal représentent l'Afrique. F. N. H. : Durant le SISTEP, des rencontres d'affaires sont programmées. Les PME sont-elles concernées dans la mesure où la sous-traitance au Maroc reste encore l'apanage de grandes entreprises ? N. B. : En effet, à l'instar des précédentes éditions, le SISTEP 2006 est accompagné par les traditionnelles opérations devenues dimensions intrinsèques du SISTEP. Il s'agit notamment des rencontres d'affaires: Partenariat Maroc 2006 où les PME sous-traitantes, opérant dans les divers secteurs de sous-traitance industrielle, rencontreront selon un planning de rendez-vous établis à l'avance, leurs homologues étrangères pour concrétiser des accords de coopération industrielle, joint-ventures et autres formules de partenariat dans l'intérêt mutuel ; Carrefour Donneurs d'Ordre qui permet aux donneurs d'ordre, marocains et étrangers, à la recherche de solutions de sourcing au Maroc, d'accueillir sur rendez-vous les sous-traitants identifiés par les ingénieurs de la BNSTP, et qui ont la capacité et les qualifications requises pour répondre aux attentes des demandeurs. F. N. H. : Comment la sous-traitance marocaine s'est-elle développée ces dernières années ? N. B. : A la fin du Protectorat, le Maroc dépendait essentiellement de l'étranger pour son approvisionnement en biens d'équipement et pour la technologie de sa production. Ainsi, la politique industrielle adoptée au lendemain de l'indépendance était basée sur la substitution aux importations. C'est pourquoi un certain nombre de programmes de développement sous contrôle étatique ont pu être menés dans ce sens et ont conduit à la mise en place de raffineries, complexes chimiques, complexes miniers, sucreries, cimenteries, centrales électriques, etc. La faiblesse du secteur privé de l'époque et les zones éloignées où se trouvaient ces industries ont abouti à de grands complexes d'Etat qui avaient tendance à intégrer en leur sein l'ensemble des fonctions de l'entreprise, ce qui n'a pas aidé à l'émergence d'un tissu de PMI sous-traitantes alimentées par les travaux de sous-traitance émanant de ces donneurs d'ordre. Et c'est au milieu des années 90 que les pouvoirs publics ont mené des actions spécifiques envers certains secteurs de sous-traitance tels que l'automobile et l'électronique qui ont permis à terme des évolutions notables dans ces secteurs. Parallèlement à cela, de grands donneurs d'ordre nationaux ont eu des politiques audacieuses et volontaristes en matière de recours à des sous-traitants locaux. C'est le cas de l'OCP qui avait mené des actions de grande envergure dans ce sens avec la BNSTP, notamment dans le cadre de ce qu'on appelait «les journées sous-traitance » et a ouvert tous ses sites industriels aux sous-traitants nationaux ayant les qualifications requises. C'est le cas aussi de l'ONCF, qui avait créé une cellule d'étude de faisabilité de pièces de rechange ferroviaires au Maroc pour se substituer aux importations. C'est aussi le cas de la SAMIR, l'ONE, l'ONEP qui ont développé des politiques de sous-traitance. Ces politiques ont permis de générer autour de ces donneurs d'ordre un tissu de plus en plus large de prestataires et de fournisseurs de pièces, de composants, d'outillages et d'équipements. On considère aujourd'hui qu'une politique visant directement le développement de la sous-traitance, et prenant pour objectifs des marchés accessibles (internationaux ou nationaux), est la mieux adaptée aux besoins et aux rythmes de croissance des secteurs industriels, la plus susceptible d'entraîner l'adhésion des entreprises existantes ou nouvelles. C'est cette approche qui est privilégiée d'ailleurs dans le Plan Emergence. F. N. H. : La sous-traitance n'est cependant pas exempte de risques ; quelles sont les actions mises en place par la BNSTP pour que ce secteur puisse contribuer au développement industriel national ? N. B. : La BNSTP se positionne comme le promoteur principal du développement de l'offre de sous-traitance qui émane de ses adhérents qui exercent leurs activités dans les secteurs de la métallurgie, la mécanique et travail des métaux, l'électricité, l'électronique et la plasturgie, ainsi que les services de conseil et d'ingénierie liés à ces secteurs. Elle joue ainsi le rôle d'interface de rapprochement qualifié entre l'offre et la demande en matière de sous-traitance mais aussi de partenariat industriel, tant au niveau maroco-marocain qu'au niveau international. Il importe de souligner que grâce à cette dynamique de confrontation avec les demandes et les exigences des donneurs d'ordre nationaux et étrangers, l'offre marocaine de sous-traitance industrielle a enregistré ces dernières années des avancées remarquables, notamment au niveau de la modernisation des équipements et de l'intégration de nouveaux savoir-faire et de technologies dans des secteurs considérés comme leviers essentiels de développement industriel, tels que l'électronique, la mécanique de précision, la fonderie, la plasturgie, etc. Et dans le prolongement de l'action dynamique menée sur le terrain, la BNSTP a initié la réalisation biennale du guide de la sous-traitance industrielle au Maroc, qui était très attendu par les donneurs d'ordre marocains et étrangers et qui permet une meilleure appréciation de l'importance de la sous-traitance industrielle au Maroc et contribue à sa promotion et son développement. La BNSTP a aussi réalisé la première étude sur le poids économique de la sous-traitance dans l'industrie marocaine, travail unique à l'échelle maghrébine, africaine et arabe. F. N. H. : Comment la sous-traitance marocaine réagit-elle face à la concurrence chinoise et celle de l'Europe de l'Est ? N. B. : On considère que l'industrie marocaine est dans une position intermédiaire par rapport aux autres pays. Si les rémunérations du travail sont encore faibles comparées aux niveaux atteints dans les pays développés, elles sont incomparablement plus élevées que celles de nombreux pays émergents, principalement asiatiques. Il s'ensuit que les entreprises marocaines se trouvent intrinsèquement en difficulté pour résister à des concurrents situés dans des pays à très bas coûts de main-d'uvre. La concurrence des pays à très bas coût de production commence, en fait, à se faire sentir dans toutes les activités de sous-traitance. Les donneurs d'ordre subissent eux aussi les effets de la mondialisation et recherchent d'une façon systématique les approvisionnements les plus avantageux en se montrant de plus en plus infidèles envers leurs fournisseurs ! De là, nous déduisons qu'il serait préjudiciable aux sous-traitants marocains de se laisser enfermer dans une logique de « low cost » pure et simple. Car la course aux coûts de production les plus bas, et donc des salaires et revenus les plus maigres tend à assécher les marchés locaux et, par conséquent, à entraîner l'économie vers le sous-développement ; les entreprises parvenant, au mieux, à se maintenir en situation de sous-rentabilité chronique et de sous-investissement... Il faut au contraire rechercher des stratégies alliant compétitivité et rentabilité fondées sur la technologie et le savoir-faire ; et il devient alors possible de fournir des produits complexes et de bonne qualité à des conditions de prix attractives, tout en conservant des marges rémunératrices. F. N. H. : Pouvez-vous nous fournir des statistiques sur l'apport de la sous-traitance au Maroc, le nombre d'entreprises opérant dans cette branche, les emplois créés ? N. B. : Les chiffrages réalisés par le RIOST pour le compte de la BNSTP conduisent à évaluer le total du chiffre d'affaires réalisé en 2003 par les entreprises de sous-traitance à plus de 24,6 milliards de Dirhams. Cette valeur correspond à l'activité de 2.221 entreprises employant plus de 176.000 personnes, sans tenir compte des activités des entreprises informelles ou non recensées par le système statistique officiel. Par rapport à 2002, ces chiffres correspondent à une croissance de 5,9 % en chiffre d'affaires. A noter quil existe une très forte représentation relative des activités de sous-traitance dans les secteurs électriques et électroniques, ce qui s'explique notamment par l'importance des débouchés offerts par l'automobile (faisceaux électriques et sous-ensembles électroniques) et par de nombreux autres secteurs demandeurs d'électronique à l'export, et à une faiblesse relative du travail des métaux et de la plasturgie, Les secteurs insuffisamment développés sont a priori les secteurs des moules, modèles et outillages, forge, estampage, matriçage, tôlerie fine, transformation des caoutchoucs, etc. F. N. H. : Comment se comportent les exportations de la sous-traitance marocaine sur le marché international ? N. B. : Globalement, les entreprises de sous-traitance marocaines exportent près de 48% de leurs productions. Ce taux très élevé est essentiellement dû aux performances de quelques secteurs dont les activités sont particulièrement tournées vers le marché mondial: la sous-traitance en constructions électriques et électroniques (62,3%), la fonderie de métaux non ferreux (53,9 %), la sous-traitance pour l'automobile (40,6%), les traitements thermiques et de surfaces (33,8%), les demi-produits sur plans (20,1 %). Les autres secteurs affichent au contraire des taux d'exportation généralement faibles. F. N. H. : Ça, c'est pour les chiffres, mais comment les donneurs d'ordre étrangers jugent-t-ils les sous-traitants marocains ? N. B. : Il faut reconnaître qu'au début, bon nombre de donneurs d'ordre ne passaient jamais sur le stand marocain, ils n'avaient pas confiance peut-être ou n'étaient pas sûrs de trouver de bons partenaires. Grâce à des avancées réalisées ces dernières années par la sous-traitance marocaine, nous arrivons à attirer de prestigieux donneurs d'ordre et à concrétiser de grands projets de sous-traitance. Malgré tout ça et si on se tient uniquement aux généralités, certains donneurs d'ordre reconnaissent le bon niveau de compétence technique des entreprises de sous-traitance marocaines, mais ils regrettent le trop peu de modernisme de leurs équipements, surtout dans les métiers du travail des métaux, avec cependant de notables exceptions. La plupart des donneurs d'ordre considèrent les niveaux de prix pratiqués par les sous-traitants marocains comme compétitifs, comparés à ceux des fournisseurs d'Amérique Latine, d'Europe de l'Est ou même du Maghreb. Les acheteurs européens déplorent surtout que les capacités installées soient généralement insuffisantes pour produire des composants en série. C'est ce qui explique les difficultés que rencontrent parfois les entreprises pour s'aligner sur les prix du marché mondial. Mais beaucoup soulignent que les gisements de productivité et de compétitivité leur paraissent importants, moyennant des efforts d'investissement et d'organisation. F. N. H. : Pourquoi la sous-traitance a-t-elle connu un tel essor dans le monde au cours de ces dernières années ? N. B. : Au cours des dernières décennies, on a pu assister dans l'ensemble de l'économie mondiale à une transformation progressive des modèles d'organisation des entreprises et des filières industrielles. Le système reposant sur le concept de l'entreprise intégrée a fait place peu à peu à une logique nouvelle basée sur l'organisation de réseaux d'entreprises spécialisées. Une nouvelle répartition du travail s'est instaurée, principalement fondée sur des critères de savoir-faire techniques et d'exploitation optimale des capacités disponibles. Pour s'adapter à cette nouvelle donne, les entreprises se sont progressivement recentrées sur leurs métiers de base et sur leurs spécialités. Et elles ont confié un nombre de plus en plus important de tâches à des partenaires choisis en fonction de leurs compétences et de leur compétitivité. F. N. H. : Quelle place la sous-traitance peut-elle tenir dans le développement économique d'un pays ? Et quelles sont les perspectives pour le Maroc ? N. B. : Selon les estimations du RIOST, la sous-traitance totalise quelque 620 milliards d'euros d'activités dans l'ensemble de l'ex-Europe des 15 ; ce qui représente près de 15 % de la production industrielle des pays concernés, En fait, plus aucune production, dans aucun secteur industriel, ne peut plus s'envisager aujourd'hui sans faire appel à la sous-traitance. L'exemple de l'automobile est le plus souvent cité. Chez les constructeurs européens, le total des achats compte pour plus de 85 %, en moyenne, dans le prix de revient des véhicules. A eux seuls, les composants sous-traités en représentent 25 %... Dans l'industrie électronique, ce chiffre atteint même 26 %, et 28 % dans l'aéronautique... Cela signifie que la sous-traitance est devenue une donnée structurelle et incontournable de l'industrie et qu'il n'est plus possible d'élaborer une politique de développement industriel sans tenir compte du rôle déterminant que doit y jouer la sous-traitance. Ces constatations nous conduisent à penser que le développement de la sous-traitance en général et, tout particulièrement, de tous les savoir-faire qui doivent la composer, est un levier puissant pour développer l'industrie. Pour l'avenir de la sous-traitance au Maroc, tous les espoirs sont permis, avec le Programme Emergence, qui vient à point nommé pour mettre à profit les opportunités issues de la délocalisation de la sous-traitance, impulser le développement de nouveaux métiers et secteurs, repositionner les secteurs structurants, la création de zones de sous-traitance industrielle, la relance des activités existantes et l'accélération de la modernisation.