Alors que les banques marocaines implémentent les unes après les autres leurs réseaux de distribution digitaux avec plus ou moins de réussite, beaucoup de questions se posent quant à la pertinence de ce modèle économique. Selon les experts, cette migration partielle des métiers bancaires vers le digital doit être accompagnée d'une vision globale qui répond à plusieurs problématiques. Il ne s'agit pas d'automatiser ou de dématérialiser des process pour réussir. Dans cette optique, les banques marocaines gagneraient beaucoup à privilégier le multicanal plutôt que le modèle pure-player arrimé à la banque traditionnelle. Explications. De passage récemment au Maroc, Philippe Auther, expert européen dans la transformation digitale dans le secteur bancaire, et auteur de «Bankruption», une véritable référence en la matière, a passé en revue les 4 questions que doivent se poser les banques lors de leur transformation digitale. En répondant à ces questions, les dirigeants de banques peuvent se permettre de négocier le virage digital de leurs établissements sans embûches. Autrement, la banque digitale ne sera qu'un coût supplémentaire dans les comptes de la banque, notamment à cause des ressources humaines et des moyens matériels mobilisés. L'idée est de créer de véritables synergies avec les canaux traditionnels, tout en optimisant l'expérience client. La plus importante de ces questions reste le rôle de l'agence bancaire classique. En offrant plusieurs produits par l'intermédiaire des canaux digitaux, quel rôle doit continuer à jouer l'agence classique? En effet, les banquiers doivent être capables de déterminer le modèle de réseau à adopter : avec ou sans agences ? Selon Philippe Auther, si la banque de demain veut continuer à opérer à travers un réseau physique, elle doit s'assurer que l'agence bancaire offre plus au consommateur que ce qu'il pourra faire de chez lui sur son divan. Qualité de l'accueil, expérience de l'employé de la banque, son expertise et son engagement (c'est-à-dire sa capacité à offrir un service rapide et immédiat) sont autant d'éléments que l'agence bancaire de demain devra offrir. Inutile dans ce cas-là de s'appuyer sur un réseau dense, étant donné que toutes les opérations courantes se font par voie digitale. L'idée est de monter en gamme dans les services traditionnels : cela va du petit café offert au client à son arrivée, au cadre dans lequel des explications sont fournies et le temps accordé pour lui rendre un service de conseil à grande valeur ajoutée. Dans cette optique, «la banque devra dépasser le stade du relationnel pour emprunter une démarche commerciale plus émotionnelle», explique l'expert. «Aujourd'hui, vous pouvez vous émerveiller sur les photos d'un hôtel sur Internet ou sur un smartphone. Mais vous ne ressentez aucune émotion en ouvrant un compte bancaire. Vous ne vous dites jamais : ce que ce compte bancaire est merveilleux !», lance l'auteur de Bankruption. Pour créer cette valeur émotionnelle que la génération des natifs Internet chérissent tant, il faudra que l'offre bancaire soit étoffée de partenariats (voyages, téléphonie). L'objectif est de rattacher la consommation au service bancaire qui va avec. La troisième question que les banquiers doivent se poser est relative à ce que l'on appelle les GAFA (Google, Apple, Amazon et Facebook). Ces géants du web qui disposent de forts trafics, permettent une forte diffusion de l'information et disposent d'informations privilégiées sur les clients des banques. Faut-il partager des revenus avec ces GAFA ou partir en guerre contre eux ? L'expert estime qu'il ne faut pas sous-estimer le rôle du web dans la construction de la relation client. «Ces boîtes ont la possibilité de façonner la manière de penser du consommateur et de l'orienter vers la concurrence. Il faut être capable de tendre la main à ces opérateurs Internet». Mais sur ce point, il faut l'avouer, nos banques se contentent pour l'instant d'adopter une relation traditionnelle avec ces opérateurs, en les utilisant comme de simples moyens de communication comme le font d'autres industries et services. Cette léthargie s'explique par un cadre réglementaire assez protecteur au Maroc... pour l'instant. Que se passera-t-il si Google commence à orienter les internautes vers une assurance plutôt qu'une autre suite à un partenariat ? Ou quand Facebook décidera d'outiller une banque plus que l'autre après un partenariat stratégique? Ces problématiques se posent aux Etats-Unis où les acteurs traditionnels ont dû montrer patte blanche à ces GAFA. Un jour, le débat finira par s'installer au Maroc. Enfin, la réponse à la quatrième et dernière question n'est pas des plus aisées : Comment rester agile ? Car l'agilité est l'arme dont disposent les Fintech contre l'industrie bancaire. De plus, avoue l'auteur, personne ne peut prédire clairement à quoi ressemblera la banque de demain. Autant rester agile pour conduire le changement à chaque fois que cela est nécessaire. Cette agilité est paradoxalement le talon d'Achille de cette industrie lourde en procédures. Une banque peut investir énormément dans un modèle digital pour se rendre compte qu'il est inadapté ou, pire, se retrouver avec un modèle obsolète quelques mois seulement après son lancement, car une nouvelle technologie ou une nouvelle perception des utilisateurs ringardise ce modèle. L'équation du millénaire à résoudre pour le secteur : Comment devenir agile tout en maîtrisant les risques et procédures. Le constat actuel est que nos banques tentent des choses, dans des expériences à l'apparence éphémères, mais elles n'arrivent pas encore à maîtriser les facteurs de rupture. L'une des explications peut provenir d'en face, du client, dont les habitudes de consommation restent basiques. Réussir la transformation digitale des banques alors que la bancarisation est encore un sujet de débat n'est pas si évident que cela.