Au moment où nous mettions sous presse, les résultats du référendum sur le Brexit n'étaient pas encore connus. Incontestablement, ce référendum du 23 juin peut constituer un tournant majeur dans l'histoire du Royaume-Uni et de l'Europe. Pour la première fois, un Etat membre est susceptible de se retirer de l'UE et faire ainsi machine arrière dans le processus d'intégration. Tant sur le plan politique qu'économique, un tel événement ne serait évidemment pas sans conséquences, tandis que le projet européen, déjà fortement ébranlé, pourrait être à nouveau secoué. On a vu ces dernières semaines de nombreux acteurs politiques européens, voire mondiaux, se mobiliser, généralement en faveur d'un maintien de la Grande-Bretagne dans l'UE. Parmi les chefs d'Etat ayant clairement pris position, figure François Hollande, qui a plusieurs fois appelé les Britanniques à «se souvenir de leurs liens avec l'Europe», notamment en se rendant à Londres début mars. Barack Obama s'est lui aussi rendu sur place en avril pour alerter sur l'isolement que subirait la Grande-Bretagne si elle sortait de l'UE. En France, Marine Le Pen a déjà pris position. British exit, dit Brexit, est une idée présente depuis longtemps dans une large partie de l'opinion britannique, eurosceptique, voire clairement europhobe. Le pays, qui ne fait pas partie de l'espace Schengen et n'a pas adopté l'Euro, a d'ailleurs gardé ses distances avec certains traités de l'UE, et ce depuis sa création. Margaret Tatcher a longtemps incarné cette méfiance vis-à-vis des instances européennes utilisant même une phrase restée célèbre en 1979 : «I want my money back» («je veux récupérer mon argent»), pour dénoncer le fait que la Grande-Bretagne payait plus qu'elle ne recevait de l'UE à l'époque. En 2007, David Cameron, alors leader de l'opposition conservatrice, promettait qu'un référendum serait organisé sur le traité de Lisbonne signé par son pays si la droite arrivait au pouvoir. En 2010, David Cameron remportera finalement les législatives, et sera réélu, à la surprise générale, lors des élections de 2015, avec la même promesse de campagne. Derniers sondages Plusieurs sondages publiés le dimanche 19 juin 2016 donnaient le Brexit perdant, alors que ces derniers jours, la sortie du Royaume-Uni de l'UE semblait au contraire avoir pris l'avantage. L'assassinat de l'europhile Jo Cox a sans doute joué dans un apaisement du ton de la campagne, extrêmement virulent jusque-là, mais aussi peut-être dans une remobilisation des pro-UE. Une première enquête de Survation, l'un des principaux instituts, pour le Mail on Sunday, offre des intentions de vote à 45% pour le camp du «non» (autrement dit du maintien au sein de l'UE). Les «out» sont relégués à 42%. Un autre sondage mené par Yougov pour le Sunday Times livre un écart plus serré : le camp du «in» 44 % contre 43% pour le camp du «oui» au Brexit. Samedi 18 juin, un sondage publié dans le journal The Observer donnait les deux camps à égalité, avec 44 % de voix. Conséquences du Brexit Qu'en serait-il réellement des conséquences d'un Brexit ? L'hypothèse d'une rupture fait l'objet d'un réel flou, à la fois pour le Royaume-Uni et pour l'Union européenne. En l'absence de précédent, il est difficile de mesurer l'impact de ce potentiel choc politique, en particulier sur l'économie. Mais plusieurs organismes donnent des prévisions alarmistes. Pour l'UE : Le Brexit présente un risque «réel», selon Donald Tusk. Mais ses conséquences sont totalement inconnues. Si l'option d'une sortie de la Grèce («Grexit»), à l'initiative de l'UE, a été évoquée à plusieurs reprises ces dernières années, aucun pays n'a jamais quitté l'Union européenne (si ce n'est le Groenland en 1985, avec des conséquences limitées). Pour plusieurs dirigeants, cette sortie du Royaume-Uni serait un véritable tremblement de terre pour une Union européenne déjà en crise. Un «choc» même, selon Manuel Valls. Les conséquences d'un Brexit pourraient donc être négatives pour l'UE. Selon l'économiste Philippe Dessertine, membre du haut-conseil des finances publiques, perdre le Royaume-Uni dans l'UE reviendrait à en retirer le poids économique de la «seconde puissance européenne» et la «cinquième puissance mondiale». Selon Catherine Matthieu, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), cette fois, les conséquences d'un Brexit seraient au contraire peu importantes pour l'Europe. Elle pourrait même n'avoir «aucun effet économique négatif à terme», compte tenu que les échanges entre l'UE et l'île seraient préservés. Pour le Royaume-Uni : Selon la présidente de la Banque centrale américaine, Janet Yellen, une sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne pourrait avoir «d'importantes répercussions» économiques. En Grande-Bretagne, plusieurs députés opposés à toute sortie de l'UE invoquent depuis des semaines le fait que de nombreux investisseurs et entreprises mondiales choisissent de s'implanter dans le pays pour entrer dans le vaste marché européen. Idem pour les exportations. Dans la foulée de l'annonce du référendum et de la prise de position pour le «non» de Boris Johnson, la Livre a chuté à 1,4058 dollar le 22 février, son niveau le plus faible depuis mi-mars 2009. Elle a de nouveau chuté début juin, quand plusieurs sondages ont donné la sortie de l'UE en tête (1,4353 dollar). En mars 2016, une analyse de PricewaterhouseCoopers pour le patronat britannique chiffrait à 100 milliards de livres la perte de revenus d'ici 2020, en cas de sortie du Royaume-Uni de l'UE, soit 5,5% du PIB, en 2020. Lors de l'ouverture de la campagne officielle, le 15 avril 2016, le gouvernement de David Cameron a alerté la population du risque économique d'un Brexit. Le Trésor a publié un long rapport de 200 pages sur le sujet, prévoyant un manque à gagner de 6% du PIB à l'horizon 2030 en cas de sortie de l'UE. Dans une tribune au Times, le chancelier de l'Echiquier, George Osborne, a fait ouvertement campagne en surfant sur les conséquences du Brexit. Il indique qu'en cas de rupture avec l'Union, le Royaume-Uni serait «appauvri pour toujours».