Avec l'épreuve du temps, la loi 32-09 de 2012 portant sur l'organisation de la profession de notaire au Maroc a révélé quelques failles. Le Conseil national de l'Ordre des notaires du Maroc et le ministère de la Justice et des Libertés travaillent pour l'amender. Le dispositif légal en vigueur s'avère contraignant avec une lourde responsabilité, y compris pénale du notaire. L'effet du nombre et la crise économique précarisent financièrement certains notaires, qui ne passent qu'un seul acte ou deux par mois. Ahmed Amine Touhami El Ouazzani, président du Conseil national de l'Ordre des notaires du Maroc (CNONM), en appelle au gouvernement et à la tutelle pour l'élargissement du champ de compétence des notaires, à l'instar de l'Amérique latine et des pays européens. Finances News Hebdo : Votre mandat se terminera en juin 2016; quel bilan pouvez-vous dresser en tant que président de l'Ordre des notaires au cours de ces dernières années ? Ahmed Amine Touhami El Ouazzani : Je tiens d'abord à signaler qu'il nous reste encore six mois à la tête de la présidence de l'Ordre des notaires. Beaucoup de chantiers ouverts devront être achevés d'ici là. Au cours de notre mandat, nous avons bâti un plan d'action composé de deux volets, notamment national et international. Le premier concerne la profession en l'occurrence le notariat et le notaire. La partie internationale a trait à l'organisation de plusieurs congrès au Maroc et au benchmark pour s'inspirer des bonnes pratiques à l'international. Notre institution a, par ailleurs, accompagné l'entrée en vigueur de la loi 32-09 de 2012 portant sur l'organisation de la profession, de notaire au Maroc. A l'époque, tout était à faire, car la structuration du Conseil de l'Ordre en association ne permettait pas une bonne organisation de la profession, encore moins le renforcement de la sécurité juridique et l'amélioration du climat des affaires de notre pays. Après l'entrée en vigueur de la loi précitée, il était question d'encadrer la mise en place des structures physiques de l'institution, tout en faisant appliquer les nouvelles dispositions (affections des notaires, discipline, examens professionnels, contrôles des études notariales, etc.). L'autre défi de taille était d'avoir une vision prospective de l'organisation du notariat. Par ailleurs, le Conseil de l'Ordre s'évertue à participer au développement économique du pays. En cela, nous allons apporter deux amendements à la loi de Finances 2016. Le premier concerne la déclaration de l'enregistrement, qui va dans la droite ligne de la signature d'une convention entre le Conseil de l'Ordre et la Direction générale des impôts (DGI). En clair, il s'agit de la dématérialisation des actes et des contrats. Cette nouveauté permettra de gagner du temps quant à la liquidation des dossiers inhérents à l'enregistrement. Le second amendement concerne le quitus fiscal. Auparavant, l'article 129 du Code général des impôts (CGI) interdisait à tout notaire de dresser un acte de vente en l'absence de l'attestation de l'article 95 du Code de recouvrement. Il sera désormais possible pour le notaire de passer l'acte de vente en attendant l'obtention du quitus fiscal. Cela réduira substantiellement les délais des procédures d'enregistrement et d'inscription à la Conservation foncière. Ceux-ci devront prochainement tourner autour de 48 heures contre plusieurs mois actuellement. F.N.H. : La profession de notaire est régie par la loi n° 32-09 de 2012. Cette disposition juridique comporte-t-elle des écueils pénalisants pour la profession ? A.A.T.E.O. : Il est généralement admis que l'entrée en vigueur d'une loi révèle ses failles. Nous travaillons actuellement avec le ministère de tutelle pour amender la loi 32-09 portant sur l'organisation de la profession de notaire au Maroc. A l'évidence, ce dispositif juridique a une forte connotation pénale, ce qui n'est pas à l'avantage du notaire, qui a une très lourde responsabilité. A ce titre, le Conseil de l'Ordre et le ministère de la Justice et des Libertés oeuvrent pour équilibrer la responsabilité du notaire, qui s'expose par exemple à des peines d'emprisonnement en cas de publicité. F.N.H. : Certains notaires, notamment au niveau de Casablanca, étaient mêlés à des affaires de détournement et de malversations. Quelle est votre appréciation sur ces indélicatesses ? A.A.T.E.O. : Ces affaires sont des cas isolés. Il faut tout de même rappeler qu'auparavant, il y avait un vide juridique généré par la loi de 1925, qui a régi la profession de notaire jusqu'en 2012, année marquant l'avènement de la loi 32-09. Cette dernière a permis d'apurer la situation antérieure. Avant 2012, le problème de consignation des fonds se posait car les notaires avaient la possibilité d'ouvrir plusieurs comptes dans des banques privées. A cela, s'ajoutent certaines lacunes d'organisation (absence de tenue de comptabilité, manque de vigilance et de rigueur, etc.). Aujourd'hui, l'implication de la Caisse de dépôt de gestion (CDG) a renforcé la transparence des mouvements de compte du notaire. Désormais, ce dernier dispose d'un compte général et de plusieurs sous-comptes dédiés à ses opérations. Cette nouvelle configuration garantit une meilleure sécurité des fonds des tiers, tout en permettant au notaire d'avoir de façon simple la situation financière d'un dossier (gestion individuelle des comptes). Toutefois, lorsqu'un confrère change indûment le nom du bénéficiaire, la CDG alerte systématiquement le Conseil national de l'Ordre des notaires, le parquet, ainsi que le ministère de l'Economie et des Finances. Ce nouveau dispositif renforce incontestablement le contrôle des fonds des tiers détenus par les notaires. F.N.H. : Il subsisterait des disparités concernant les revenus au niveau de la profession. Globalement, quelle est la situation financière des notaires au Maroc ? A.A.T.E.O. : Au risque de choquer, il est clair qu'il y a 5 ou 6 ans, les notaires avaient une meilleure situation financière qu'actuellement. Déjà, à mi-2008, une chute libre des transactions dans les études des notaires a été constatée. Autre élément édifiant, depuis 2012, trois examens professionnels ont été organisés à l'issue desquels ont été admis 600 nouveaux notaires. Avant l'entrée en vigueur de la loi 32-09, près de 900 personnes exerçaient la profession de notaire au Maroc contre 1.650 actuellement. L'effet du nombre et la crise contribuent indubitablement à la situation difficile que traverse la profession. Il faut savoir que certains confrères ne passent qu'un ou deux actes par mois, ce qui constitue un véritable signal d'alarme pour le gouvernement. Ce dernier doit d'élargir le champ de compétence des notaires. La profession souffre de la concurrence induite par l'ouverture du marché. La mauvaise répartition des richesses constitue aussi un écueil de taille. Pour schématiser, certains notaires passent des milliers d'actes tandis que d'autres peinent à en réaliser un. Ce déséquilibre provient en partie du fait que certains promoteurs immobiliers se dirigent systématiquement vers un seul notaire pour réaliser leurs transactions. F.N.H. : Quelles sont les mesures à prendre afin d'améliorer l'exercice de la profession de notaire au Maroc ? A.A.T.E.O. : Il est important de renforcer la formation continue, tout en favorisant la moralisation de la profession et l'allègement des procédures. L'amélioration du climat de travail est aussi importante, car le dispositif légal contraignant exerce beaucoup de pressions sur le notaire. A ce titre, nous travaillons pour la mise en place d'une assurance civile professionnelle. Comme je l'ai mentionné plus haut, l'élargissement du champ de compétence du notaire est crucial pour pérenniser la profession, qui a perdu certaines activités inhérentes aux sociétés. Par exemple, au Brésil, les certifications de signature se font chez le notaire contrairement au Maroc où les communes prennent en charge cette tâche. En Amérique latine et en Europe, plusieurs actes passent chez le notaire, ce qui génère de l'activité pour la profession. Au Maroc, nous partageons notre champ d'activité avec les avocats et les adouls, ce qui nuit à l'authenticité et à la sécurité contractuelles.