Un café près de Bab Berred. Nous y rentrons pour acheter des cigarettes. Au fond de la salle, une table où sont assises 4 personnes, capuche de jellaba sur la tête. Dans la pénombre, on distingue mal leur visage, tout juste devine-t-on des traits austères et des barbes. Ils ont la trentaine. Des volutes de fumées s'échappent de leur sebsi. Ces jeunes écoutent une chanson dont les paroles en darija m'interpellent : «7ama9ti ga3 jbala, lbasnassa o ljomala, wa ya khardala », qu'on pourrait traduire par «tu as rendu fous tous les jbalas, les dealers et les grossistes, oh khardala». Après renseignement, j'apprends que cette chanson est l'oeuvre d'un certain cheb Ayoub Chaouni, un chanteur local très apprécié des jeunes jbalas. Qu'est-ce donc cette khardala qui est entrée si vite dans la culture populaire ? Sur ces origines, il y a plusieurs versions. Certains disent que la graine vient d'Afghanistan. D'autres prétendent qu'elle vient de Hollande. Toujours est-il que son arrivée au Maroc est relativement récente, c'est-à-dire il y a peine 5 ou 6 ans. Elle a connu un franc succès de par sa qualité (teneur en THC) et l'argent qu'elle rapporte. «Un gramme de haschich beldia, c'est-à-dire issu d'une graine traditionnelle, ne dépasse pas 5 dirhams dans cette région. La khardala ne s'échange pas en dessous de 7 DH le gramme. 100 kilos de tiges de khardala vous rapporte 15.000 DH», nous dit-on. En revanche, c'est une plante exigeante : elle est assoiffée, et réclame énormément d'eau. Même après la floraison en septembre, elle en redemande encore. Tout le monde ne peut la cultiver. Seuls ceux qui ont un vrai savoir-faire et qui sont prêts à lui accorder beaucoup de temps peuvent s'y adonner. D'ailleurs, les paysans en parlent comme s'il s'agissait d'un nourrisson, qu'il faut surveiller de près, protéger, et même choyer. Le grand avantage de la khardala pour un paysan est sa productivité plus importante. Un quintal de tiges de khardala peut donner plus de 2 Kg, voire 3, de résine de qualité, alors que pour la beldia on ne peut espérer dépasser le kilo. Sauf qu'elle ne peut pas pousser et être productive partout. On la retrouve surtout à proximité des oueds. Mais elle absorbe énormément d'eau et appauvrit la nappe phréatique. Sans eau à proximité, impossible de cultiver la khardala. Ce qui n'est pas sans créer des tensions entre paysans sur le contrôle des sources hydriques. «Elle rend fou !» «Elle est très prisée, notamment par les jeunes de la ville de Chaouen qui en raffolent», nous dit Mohamed. «Son effet est très puissant. On dit qu'elle rend fou, comme son nom l'indique. Depuis que la khardala est apparue, il y a une recrudescence des crimes et délits dans la région», déplore-t-il. En guise de résumé sur les conséquences de la Khardala, voici ce qu'en dit une anecdote locale : Un vieux sage du village à l'habitude de dire à propos de khardala, «2 li de99o 100 li 7ma9o», c'est-à-dire «deux qui la tamisent, 100 qui en deviennent fous». C'est que cette variété de haschich peut être très nocive : «Il faut à tout prix éviter la khardala, prévient Mohamed. Le kif normal, à la rigueur, n'est pas très nocif s'il est de bonne qualité et consommé à petite dose. La beldia (cannabis traditionnel) est adaptée depuis des années à l'environnement naturel du pays, sa terre, son climat. La khardala vient d'ailleurs, on ne connaît pas encore son adaptation au Maroc. La terre et l'eau du pays l'ont rendue inadaptée et complètement hybride et «folle». Elle est faite pour le sol pakistanais ou afghan, pas pour le sol marocain qui est différent». Son succès foudroyant est en partie dû aux fumeurs des grandes villes du Nord qui l'ont plébiscité. La khardala est par ailleurs souvent contrôlée par les gros barons (Abatera, empereurs, barons, ndlr) qui contrôlent les gros marchés européens. Le bouche-à-oreille fait le reste. Tout le monde en a entendu parler et veut s'en procurer. Et les chanteurs de chaabi continuent d'en faire l'éloge.