Il avait disparu des radars du marché depuis quelques années. Le voilà qui refait brusquement surface. Et de quelle manière ! Ali Harraj, cet homme réputé discret mais très jovial, vient en effet d'être porté à la tête de Wafa Assurance. Un retour à la lumière aussi subit qu'inattendu, et forcément très bruyant. Bruyant parce qu'il est le Président Directeur général d'une prestigieuse institution, leader du marché de l'assurance au Maroc. Bruyant parce que son prédécesseur à ce poste, Driss Bencheikh, n'y aura pas fait long feu. Quelques mois seulement. Huit mois et neuf jours plus précisément (3 juin 2014 au 12 février 2015). Ce 12 février justement, le Conseil d'administration a accédé à la demande de Bencheikh de quitter ses fonctions «pour des raisons privées et personnelles». Il n'y a certes aucune raison de douter des raisons avancées par ce dernier pour justifier sa démission. Mais il faut convenir que, dans le milieu des affaires, l'expression «pour des raisons privées et personnelles» est de plus en plus galvaudée. Bien souvent, c'est un langage diplomatique utilisé pour sortir par la grande porte et taire toute supputation, mais qui cache souvent des malaises bien plus profonds. Bref, revenons-en à Ali Harraj... le revenant ! Ce centralien qui a soufflé ses 56 bougies le 13 décembre dernier n'a plus fait parler de lui depuis qu'il a quitté la Caisse de Dépôt et de Gestion en 2010 pour fonder un cabinet de conseil en stratégie et transformation des entreprises. Au sein du bras financier de l'Etat, il a assumé plusieurs postes de responsabilité : membre du comité de direction du groupe CDG, Président de Sofac, Secrétaire général de la CDG, PDG de Maroc Leasing ou encore Directeur général de la défunte BNDE... Ce proche et homme de confiance de l'ex-DG de la CDG, Mustapha Bakkoury, aura même été, d'avril à octobre 2009, président du Directoire par intérim du CIH. «Intronisé» par les actionnaires, Harraj fut, de mémoire d'homme, le seul à avoir occupé cette haute fonction au sein du CIH sans avoir été directement nommé par le Souverain. D'ailleurs, jouissant d'un préjugé favorable auprès de la communauté des affaires, il était pressenti pour être confirmé à ce poste qui est finalement revenu à l'actuel président de CIH Bank, Ahmed Rahhou. Si ses responsabilités au sein du Groupe CDG ont essentiellement relevé du domaine de la finance, il n'en demeure pas moins vrai que Harraj a bien d'autres cordes à son arc. En automobile, il y connaît un rayon, d'autant qu'il a été DG du Groupe Univers Motors pendant 12 ans (1989 à 2001). Dans le domaine du pétrole, il doit également être incollable, puisqu'en fouillant dans son escarcelle, on tombe inéluctablement sur son diplôme de l'Ecole nationale supérieure du pétrole et des moteurs (ENSPM) – Institut français du pétrole. D'ailleurs, pendant 6 ans (1981 à 1987), il a été ingénieur de production, puis chef du département Production à l'Office national de recherches et d'exploitations pétrolières (Onarep), qui a par la suite fusionné avec le Bureau de recherche et des participations minières (BRPM) pour donner naissance à l'Office national marocain des hydrocarbures (Onhym). Novice dans les assurances ? Et les assurances dans tout ça ? Du riche CV de Harraj, on ne décèle en effet qu'un passage, de juin 2014 à février 2015, au sein du Groupe Ténor (courtage d'assurance, distribution, NTIC, ...), en qualité de Directeur général. Suffisant pour diriger la première compagnie d'assurances du Royaume ? En réalité, Ali Harraj a été davantage sollicité pour ses compétences managériales acquises tout au long de son parcours professionnel. Il semble utile de rappeler, à ce titre, que lorsqu'il a pris les commandes de Maroc Leasing en janvier 2004, la société était au plus mal. L'une de ses premières initiatives a été de réchauffer le vent frais qui circulait au sein de l'établissement en instaurant un climat de travail sain, tout en redonnant confiance au personnel. S'en est suivi un plan d'action visant à tout mettre à plat et instaurer une vision stratégique claire. A côté des mesures managériales, il a mis en place une cellule risque et procédé au réingeneering des process et, surtout, à la refonte du système d'information. Cette mise à niveau interne, accompagnée d'une redynamisation des relations avec la clientèle, avait permis à Maroc Leasing de renouer avec les bénéfices à fin 2004 (24 MDH), contre une perte de 59 MDH en 2003. «Il ne s'agit pas d'être leader à n'importe quel prix : nous voulons être surtout un acteur de référence animé de la volonté d'offrir la meilleure qualité de service à nos clients, avec des fondamentaux sains et une rentabilité qui nous permettent de créer de la valeur pour nos actionnaires, nos ressources humaines et l'ensemble de nos partenaires», disait-il à l'époque. A Wafa Assurance, il se retrouve à la tête d'une compagnie qui ne connaît pas de difficultés, mais qui trace déjà sa route. Sur le territoire marocain, convenons que le leader du secteur n'a plus rien à prouver, sinon consolider les acquis. Une chance pour Harraj ? Non. Plutôt une contrainte supplémentaire, car le plus difficile n'est pas de grimper au sommet, mais de s'y maintenir. Surtout que ce fauteuil de leader reste très convoité. Aujourd'hui, le challenge pour Wafa Assurance est de garder un oeil sur le marché national, tout en se projetant sur l'Afrique où elle doit consolider sa vocation de compagnie d'assurances panafricaine. En clair, c'est sur ce terrain qu'on attend davantage Harraj. Et là, les priorités avaient été d'ores et déjà clairement définies : couvrir dans un premier temps les principaux marchés de la zone CIMA (Conférence interafricaine des marchés d'assurance) où l'on compte le Sénégal, la Côte d'Ivoire, le Cameroun et le Gabon. Au Sénégal, c'est fait. Wafa Assurance y a déjà déposé ses baluchons à travers deux filiales : Wafa Assurance Vie S.A. et Wafa Assurance S.A. qui ont reçu leur agrément le 12 septembre 2014. Mais si l'ambition est de suivre au pas les implantations africaines de sa maison-mère, Attijariwafa bank, la compagnie d'assurances a encore du chemin à faire, vu qu'elle ne compte que trois filiales dans le continent (une en Tunisie et deux au Sénégal). Harraj en est d'ailleurs conscient. Lundi dernier, lors de la présentation des résultats annuels de Wafa Assurance au titre de l'exercice 2014 (voir page 12), il a clairement laissé entendre que l'international fait partie de ses priorités et qu'il essayera de rattraper le retard pris à ce niveau. On verra comment ce diplômé de l'Insead (Institut européen d'administration des affaires) va... administrer les affaires de Wafa Assurance afin de mieux la positionner sur l'échiquier continental.