Le ministère de l'Urbanisme et de l'Aménagement du territoire a réuni à Skhirat l'ensemble des professionnels de l'urbanisme, architectes, experts nationaux et internationaux, élus, et autres responsables administratifs, pour un colloque célébrant le centenaire de la première loi de l'urbanisme au Maroc. Tous plaident pour une approche nouvelle de l'urbanisme favorisant la cohésion sociale, la mobilité, la viabilité des villes et leur durabilité. L'état de l'urbanisme au Maroc méritait bien une grand-messe. Le temps était en effet plus que venu de se pencher objectivement, dans un esprit de concertations et d'échanges, sur les nombreux maux et dysfonctionnements qui gangrènent le développement des villes du Royaume depuis maintenant plusieurs décennies. «Pourquoi célébrons-nous ces 100 ans ? C'est l'occasion de jeter un oeil objectif sur l'urbanisme et tirer les leçons pour l'avenir», dira Mohand Laensar lors de son allocution d'ouverture. Selon le ministre de l'Urbanisme, l'heure n'est plus «aux simples corrections» et aux rafistolages, mais à la rupture. Il est temps, affirme-t-il, de réfléchir à une approche renouvelée à travers la «mise en place d'un urbanisme qui réponde aux nouveaux défis de l'urbanisation galopante, à travers une politique globale, des règles solides et des mécanismes bien déterminés». Pour le ministre, ce sont là les conditions pour «assurer le développement durable, garantir la cohésion sociale ainsi que la compétitivité et l'attractivité des villes marocaines». A travers cet événement, il espère poser les jalons d'une «vision plus audacieuse» et insuffler une nouvelle dynamique en matière d'urbanisme pour que celui-ci soit «un élément important dans l'équation du développement économique et social». Une approche nouvelle Un voeu pieu ? En tout cas l'ensemble des participants au colloque ont tiré dans la même direction et semblent plébisciter cette nouvelle approche. C'est le cas notamment de Mohammed Ameur, géographe et ancien ministre, qui plaide pour la mise en place d'une «approche nouvelle fondée sur les principes d'efficacité, d'équité et de durabilité». A ses yeux, le système actuel de réglementation et de planification urbaine a atteint ses limites : il est source d'inégalité, de dérogations, de manque de concertation, etc... Il est par ailleurs incapable de répondre aux trois défis auxquels sont confrontées les villes marocaines : un défi économique et de compétitivité en premier lieu, car estime-t-il, «la sous-croissance que connaît le Royaume résulte en partie des carences des villes», la qualité industrielle des villes étant décisive pour l'emploi. Un défi social aigu dans un deuxième temps qui se caractérise par des déficits multiples notamment en matière d'équipements de base et de services sociaux pour les zones périurbaines. Enfin, Ameur évoque le défi de l'écologie dont la dégradation a dépassé le niveau du tolérable. «La pression environnementale sera encore plus forte avec le doublement de la population urbaine au Maroc au cours des 20 prochaines années», prévient-il. Aussi, préconise-t-il de «réfléchir ensemble pour faire de l'urbanisme un véritable outil de développement des villes et des territoires». Mobilité et cohésion sociale La cohésion sociale est au coeur des préoccupations des urbanistes. Pour Noureddine Boutayeb, secrétaire général du ministère de l'Intérieur, celle-ci est fortement tributaire de la mobilité. Selon lui, le transport collectif est vecteur de cohésion sociale s'il est performant. Dans le cas contraire, «seuls les pauvres l'utilisent», n'assurant ni la mixité sociale ni le désenclavement et l'accessibilité de certains quartiers. Il en veut pour preuve la ville de Tamesna qui faute de transports performants reste peu attractive. «Même les bidonvillois n'en veulent pas», déplore-t-il. Les sociétés délégataires ont un business model qui est efficient dans les villes moyennes. En revanche à Rabat et Casablanca, elles sont engluées dans les déficits. Pour y remédier, Boutayeb préconise de mettre fin au dogme qui veut que la recette paie le service. Les délégataires ne peuvent pas se financer et investir uniquement à partir des recettes tarifaires. C'est insuffisant, et cela accentue la dégradation du transport public. Il est nécessaire que l'Etat mette la main à la poche, comme c'est le cas à Paris où le ticket de métro est au 2/3 subventionné. Aujourd'hui, les besoins pour les TCSP (transports collectifs en site propre) sont estimés à 30 milliards de dirhams pour les dix prochaines années. C'est pourquoi Boutayeb appelle à un nouveau modèle de gouvernance du transport urbain. Il s'interroge également sur la pertinence d'un deuxième dogme : le R+4 qui étale la forme urbaine et crée des villes en morceaux avec des zones d'activités et des zones dortoirs avec une faible cohésion territoriale. Pour avoir des villes vivables, il faut urbaniser le long des voies principales, ce qui créera des villes plus compactes et engendrera une baisse des coûts. Urbanisme et résilience Mais ce n'est pas tout. Encore faut-il que ce nouvel urbanisme que le ministre appelle de ses voeux soit durable. Et en matière de résilience, les Suédois ont quelques longueurs d'avance et des leçons à donner. Avec le concept de «Symbiocity», la Suède a conçu un cadre pour une approche intégrée, holistique et globale de la ville, qui consiste à réaliser plus avec moins grâce aux outils offerts par l'essor des technologies de l'information (TIC). Pour le représentant de Symbiocity, les TIC peuvent aider à régler les défis et aller vers la durabilité. Ils améliorent en même temps l'économie, l'environnement et le social. L'information en temps réel grâce aux systèmes connectés permet de prendre les bonnes décisions notamment dans le domaine des transports et de l'énergie. Mais pour cela, il faut un cadre politique et législatif pour faciliter le développement des TIC dans les villes. Tout comme cela nécessite des infrastructures réseaux adéquates. Comme le dira un intervenant allemand, la durabilité n'est pas un état, c'est un effort permanent pour développer de nouvelles opportunités, avec la participation de tous : élus, Etat, et citadins. A Mayence (Allemagne) par exemple, le plan du Tram a été tracé en concertation avec les citoyens lors d'ateliers et de groupes de travail. Le citadin n'est pas «un objet administrable» c'est une ressource.