Le taux des créances en souffrance des banques marocaines atteint, à fin septembre 2014, près de 52 mil-liards de dirhams, en hausse de près de 28% sur un an. Le taux de sinistralité est de 6,9%. Cette hausse est constante depuis 2011. Pourtant, il n'y aurait pas péril en la demeure étant donné que cette année la progression de la sinistralité est plus le fait de l'allongement des délais de paiement que de la défaillance des entreprises. Les créances en souf-france n'en finissent pas de grimper et d'empoisonner les bilans des banques maro-caines. C'est un fait, une tendance structurelle, un «phénomène de place» qui caractérise l'économie maro-caine, pour reprendre une formule utilisée par Brahim Benjelloun Touimi, adminis-trateur Directeur général délé-gué du Groupe BMCE Bank. Les derniers chiffres publiés par Bank Al-Maghrib dans les statistiques monétaires pour le mois de septembre 2014 étayent cette tendance. Le montant global des créances en souffrance, à fin septembre 2014, atteint 52,1 milliards de dirhams contre 40,8 milliards de dirhams à fin septembre 2013, soit une hausse sur la période de 27,7%. Depuis le début de l'année, ce sont près de 8,4 milliards de dirhams de créances en souffrance en plus, soit une hausse de 19,2%. Enfin, rien que sur le mois de septembre, les créances en souffrance ont enregistré une augmentation de 3,1%, soit 1,6 milliard de dirhams de plus. Taux de sinistralité de 6,9% Si l'on rapporte les 52,1 mil-liards de DH de créances en souffrance aux 757,1 milliards de dirhams correspondant au montant global des crédits bancaires distribués à l'écono-mie, on obtient à fin septembre 2014 un taux de sinistralité de 6,9%. Un taux que le sec-teur n'avait plus connu depuis l'année 2007 (7,6%). Nous sommes certes loin du taux de 19% de l'année 2002, mais on constate tout de même que la hausse de ce taux suit une tendance régulière depuis 2010 (voir graphique). Ce qui est inquiétant, c'est que le rythme de cette progression est sans commune mesure avec celui de l'octroi des cré-dits bancaires qui ont cru seu-lement de 4,3% par rapport à fin septembre 2013. On constate également que cette progression des créances en souffrance touche l'en-semble des catégories éco-nomiques. Ainsi, les créances en souffrance sur les ménages atteignent, à fin septembre 2014, un montant de 23,1 milliards de DH, en hausse de 28,6% sur une année glis-sante. Sur un total de 274 milliards de dirhams de cré-dits distribués aux ménages, on obtient ainsi un taux de sinistralité pour cette catégo-rie de 8,5%. Dans le détail, ce taux est de 7,7% pour les particuliers et les MRE et de 10,2% pour les entrepreneurs individuels. Pour les sociétés non finan-cières privées, la hausse est sur la même période de 26,6% à près de 28,3 mil-liards de DH. Sur un total de crédit distribués de 347,5 milliards de DH, le taux de sinistralité de cette catégo-rie ressort à près de 8,14%. Quant aux créances en souf-france sur les autres sociétés financières, elles s'établissent à 673 millions de dirhams, en progression de 40,5%. Impayés ou défail-lances ? Comment dès lors interpré-ter cette tendance haussière des créances en souffrance ? Et comment évaluer sa gra-vité sur le système bancaire ? Hicham Alaoui Bensaïd, directeur des Engagements chez Euler Hermes ACMAR, spécialiste de l'assurance crédit, donne des éléments de réponse. Selon lui, pour répondre à ces interrogations, il faut prendre en considération «deux types de créances en souffrance : celles qui pré-sentent un grand risque final (c'est-à-dire la probabilité que la créance soit définitivement perdue, ndlr) et qui sont liées à des défaillances d'entreprises faisant face à des problèmes de solvabilité ou de business model; et celles avec un risque final moins important, qu'on appelle communément les impayés, et qui vont mettre plusieurs mois à être récupé-rés ». Toujours selon Bensaïd, cette hausse des créances en souffrance «est beaucoup plus liée à l'allongement des délais de recouvrement qu'à la défaillance des entreprises». Ce qui veut donc dire que le risque final est moins impor-tant. Mieux encore, il n'aug-menterait pas. Il en veut pour preuve la stagnation du rythme d'augmentation des défail-lances d'entreprises à 10%, couplé à l'allongement struc-turel des délais de paiement. Cela «devrait aboutir à une stabilisation des impayés qui comportent un risque final», rassure-t-il. BTP et transports en difficulté Parmi les secteurs les plus touchés, on retrouve sans sur-prise le BTP qui regroupe les entreprises de matériaux de construction, les cimentiers, les sidérurgistes, les socié-tés de travaux publics et les promoteurs immobiliers. Les entreprises de ce secteur font encore face à l'augmentation des délais de paiement de la part des donneurs d'ordre et au rétrécissement de leurs carnets de commande, ce qui leur occasionne des problèmes de trésorerie parfois insurmon-tables. Autre secteur touché, celui des transports qui, selon Bensaïd, pâtit de plus en plus de difficultés de trésorerie «à cause des nouvelles mesures prises au niveau de la décom-pensation des prix du carbu-rant ». Par ailleurs, «certaines rumeurs portant notamment sur la TVA des transporteurs n'ont pas encouragé les inves-tisseurs à faire des efforts. Cet attentisme pénalise les délais de paiement, les opérateurs du secteur préférant garder leur argent en attendant de voir comment va évoluer la situation». Face à cette situation, les banques ne se montrent pas inquiètes pour autant. «Tous les retours que nous avons montrent que les banques ne s'inquiètent pas outre mesure», affirme notre inter-locuteur. «D'une part, parce qu'elles ont des garanties et qu'elles ne distribuent pas des crédits à tort et à travers. D'autre part, parce que cela fait partie du métier de ban-quier de prendre des risques calculés, surtout dans un mar-ché resserré comme le nôtre. Il y a des périodes de vaches maigres, de vaches grasses mais, globalement, les ban-quiers ne sont pas inquiets». Pas plus que les sociétés de recouvrement d'ailleurs qui ont là un sacré gisement.