En décidant de mettre fin à la déductibilité totale des cotisations au titre de l'épargne retraite pour la plafonner à seulement 10% du salaire imposable, le gouvernement a créé un malaise au sein des compagnies d'assurances qui déplorent la radicalité de cette mesure. L'impact de cette décision sur leur activité et sur le financement de l'investissement, à travers la collecte de l'épargne, nourrit craintes et interrogations. A l'heure où nous mettions sous presse, un compromis aurait été trouvé ! Dans sa quête de niches fiscales à raboter, le gouvernement a fait un choix pour le moins surprenant. En effet, en décidant de mettre fin à la fiscalité avantageuse des cotisations d'assurances retraites, il suscite craintes et interrogations dans le milieu des assureurs. Alors que jusqu'à présent les cotisations versées par les salariés pour se constituer une retraite complémentaire étaient entièrement déductibles, la mesure contenue dans le PLF 2015 prévoit de limiter cette déductibilité à hauteur de 10% du salaire. Ainsi, pour une personne percevant un salaire de 200.000 dirhams annuel et qui cotise 50.000 DH dans un produit d'épargne retraite, la base imposable pour le paiement de l'IR passe de 150.000 DH à 180.000 DH avec ce nouveau dispositif. Ce qui fait qu'il ne pourra déduire que 20.000 DH, si le texte est maintenu en l'état. Cette modification de l'article 28 du Code général des impôts est pour le moins surprenante pour deux raisons. Tout d'abord, elle semble être en contradiction avec la volonté du gouvernement de stimuler l'épargne longue, comme le rappelait encore récemment le ministère des Finances dans sa revue «Al Maliya» d'avril 2014 entièrement consacrée à l'encouragement de l'épargne. On peut y lire notamment : «la hausse de la part des produits d'assurance dans l'épargne financière des ménages confère au secteur d'assurance un rôle croissant en matière de mobilisation de l'épargne de long terme, ce qui devrait avoir des effets d'entraînement favorables en matière de financement de l'investissement productif». On a du mal dès lors à comprendre ce subit pas en arrière. Deuxièmement, cette mesure s'inscrit à contre-courant de l'essor remarquable de la branche Vie en 2014. Après une année 2013 morose, l'activité Vie reprend son souffle et affiche une vitalité importante qui se traduit par une hausse des primes émises de 11,7 % à 4,6 milliards de DH (dont 70% constitués de produits d'épargne) au terme du premier semestre de l'exercice 2014. Pourquoi prendre le risque de mettre fin à cette dynamique ? On aurait voulu tirer vers le bas cette activité que l'on ne s'y serait pas pris autrement. La question qui se pose dès lors est : où est la logique dans tout cela ? Inquiétudes légitimes Il faut dire que le malaise est palpable chez les compagnies d'assurances qui ne cachent pas leurs craintes quant à l'impact de cette mesure sur leur activité : «nous craignons une forte baisse de l'activité liée à ce projet de loi», nous confie un assureur de la place. Des craintes légitimes quand on sait la part de la branche Vie dans le portefeuille des assureurs. Elle représente ainsi 95% du chiffre d'affaires de la Marocaine Vie, près de 50% de Wafa assurance, 70% de MCMA, et 45% de RMA. L'impact négatif sur le financement de l'économie marocaine est également mis en exergue. Les compagnies d'assurances sont un acteur essentiel de l'investissement et irriguent l'économie du pays de l'épargne collectée, avec un actif total sous gestion de l'ordre de 110 milliards de dirhams. «Nous pensons que cela ira à l'encontre de l'intérêt du pays en termes d'investissement. Il y aura moins d'investissements sur les titres ou les obligations de l'Etat par exemple, tout simplement parce que l'on recevra beaucoup moins d'argent», déplore notre source. Cette mesure est donc a priori néfaste pour les compagnies d'assurances, l'investissement, mais aussi pour les cotisants, même si le ministre des Finances s'en défend dans ses différentes déclarations à la presse cette semaine. Il invoque «l'équité fiscale» comme principal argument, et juge inacceptable que cette incitation fiscale soit détournée de sa finalité par des personnes qui cotisent 100% de leurs salaires pour échapper à l'impôt. En somme, cette incitation ne profiterait qu'aux contribuables nantis. Et cette mesure viendrait rationaliser cet avantage et éviter les situations de non contribution fiscale de certains salariés. Initiative certes louable, mais qui pèche par son caractère extrême. Notre interlocuteur ne nie pas l'existence de ces abus, mais déplore la radicalité de la méthode : «cela doit exister, c'est clair qu'il doit y avoir des cas extrêmes, mais c'est facile de se protéger contre ces cas avec des règles. Entre 100% et 10% de déductibilité, l'écart est énorme». Boussaïd fait des concessions Car, en fin de compte, en voulant mettre fin aux abus de certains, cette mesure pénalise ceux qui cotisent de bonne foi pour leurs vieux jours. Et ils sont nombreux. On aurait aimé avoir des réponses à ces interrogations de la part de la Direction des assurances et de la prévoyance sociale (DAPS), mais celle-ci a préféré éviter nos multiples demandes d'éclaircissement. Quant à la Fédération marocaine des sociétés d'assurances et de réassurances (FMSAR), elle a fait part de sa volonté de «ne pas réagir à ce sujet sensible». Ce silence radio des deux parties augure-t-il de négociations visant à assouplir cette mesure ? C'est ce que laisse entendre notre source : «nous avons demandé à la Fédération des assurances d'intervenir auprès du ministère des Finances pour au moins moduler cette mesure. Notre fédération plaide pour dire que c'est un projet qui est beaucoup trop extrême». Visiblement, les doléances des assureurs ont été entendues, puisque selon nos informations, un compromis, dont les détails n'ont pas encore été dévoilés, aurait été trouvé entre la tutelle et la Fédération. A suivre...