Le Conseil de la concurrence a vu ses attributions considérablement renforcées grâce aux nouvelles dispositions des lois 104-12 et 20-13 adoptées cet été au Parlement. L'institution présidée par Abdelali Benamour est désormais une autorité indépendante, décisionnelle et bénéficiant du droit d'autosaisine et d'enquête. Dans l'attente de l'entrée en vigueur des décrets d'application, le Conseil est dans les starting-blocks pour assurer pleinement une concurrence saine et loyale sur le marché national et veiller au libre jeu des acteurs. Le Maroc aura-t-il enfin une autorité de la concurrence digne de ce nom ? Oui, répond Abdelali Benamour, président du Conseil de la concurrence, qui présentait récemment à la presse les grands axes de la réforme du cadre juridique et institutionnel de la régulation concurrentielle au Maroc. «Ce n'est qu'aujourd'hui qu'on peut dire que le Maroc a réellement un Conseil de la concurrence», affirme-t-il. La réforme en question se décline en deux textes de lois : la loi 104-12 relative à la liberté des prix et la loi 20-13 afférente au Conseil de la concurrence, adoptées cet été au Parlement. Mais que le chemin fut long et laborieux ! Six ans ont passé entre l'activation du rôle du Conseil de la concurrence et l'adoption par le Parlement de cette réforme. Petit retour en arrière : en janvier 2009, au moment de l'installation des membres du Conseil de la concurrence nouvellement créé, l'instance s'est retrouvée devant un texte, la loi 06-99 en l'occurrence, qui datait de 2001. Cette loi abordait certes la question de la concurrence, mais elle ne procurait aucun outil, ni aucune autorité au Conseil pour accomplir sa tâche. Une coquille vide en somme. «Avant, en matière de droit de la concurrence, face aux Tunisiens et aux Algériens, on rasait les murs», plaisante à peine A. Benamour. «Mi-2009, nous avons présenté un nouveau texte de réforme qui s'est heurté à nombre d'obstacles et de lobbys». La Constitution de 2011, et notamment son article 166, a accéléré le processus, et les deux lois ont été adoptées par le Parlement. Contrôle des concentrations Sur le papier, le rôle du Conseil de la concurrence s'est considérablement renforcé, et ne se limite plus à un rôle consultatif. Il a désormais pour mission de lutter contre les pratiques anticoncurrentielles, comme les ententes entre concurrents et les abus de position dominante. Le Conseil s'est, en outre, vu attribuer un rôle de contrôle des concentrations. Ainsi, toute opération de concentration qui dépasse un certain seuil de chiffre d'affaires ou de parts de marché, doit être obligatoirement soumise à l'autorisation du Conseil. Par ailleurs, le Conseil s'est vu confier pour mission de faire le plaidoyer pour la libre concurrence auprès des entreprises et des institutions publiques. Enfin, il lutte contre les pratiques commerciales déloyales comme le stipule l'article 166 de la Constitution ! La loi prévoit tout de même des exemptions. Celles-ci doivent être motivées et restreintes dans le temps. Elles peuvent être accordées pour des considérations liées au développement économique ou en relation avec l'exercice des prérogatives de puissance publique. Reste à savoir comment ces exemptions seront pratiquées, si elles se feront au compte-goutte ou si, au contraire, elles seront dévoyées. Ce qui hélas, viderait la mission du Conseil de sa substance. Pour mener à bien sa mission, le Conseil s'est vu attribuer une série de pouvoirs, avec en premier lieu le pouvoir décisionnaire qui lui permet d'imposer des sanctions à l'égard des organismes qui ont transgressé les règles de la concurrence. Le montant maximum de la sanction pécuniaire est de 10% du chiffre d'affaires mondial ou national pour les entreprises. Des recours pour contester les décisions sont évidemment possibles. Autosaisine Autre grande nouveauté : le pouvoir d'autosaisine du Conseil. Ainsi, en plus de la possibilité d'être saisi par des institutions nationales ou des entreprises, le Conseil peut se saisir lui-même de toute question qui concerne la concurrence. Adossé à ces deux pouvoirs (décisionnaire et d'autosaisine), on retrouve le pouvoir d'enquête. Le Conseil dispose désormais d'un corps de rapporteurs et d'enquêteurs habilités à procéder à toutes les investigations nécessaires afin d'instruire les affaires dont il est saisi. Notons par ailleurs que la loi prévoit un mécanisme de clémence qui permet à des entreprises «repenties» participant à un cartel, de dénoncer cette infraction au Conseil en contrepartie d'une immunité ou d'une réduction d'amende. Une prime à la délation en quelque sorte. Evidemment, des observateurs avertis n'auront pas manqué de soulever certaines ambiguïtés qui se sont glissées dans le texte. Une vive polémique porte notamment sur l'article 13 de la loi 20-13 qui stipule que le gouvernement est représenté auprès du Conseil de la concurrence par un commissaire du gouvernement. A l'évidence, cela constitue une menace à l'indépendance du Conseil. Bien que personnellement défavorable à la présence de ce cheval de Troie qui siègera au Conseil lors des délibérations, Benamor s'en accommode et cherche à positiver : d'une part, le commissaire du gouvernement n'aura pas de voix délibérative et d'autre part, il ne peut pas remettre en cause une décision du Conseil. Autre sujet d'interrogation : comment le Conseil interviendra-t-il dans les secteurs qui disposent déjà d'une agence de régulation (ANRT, HACA, BAM, etc ...) ? Pourra-t-il marcher sur leurs plates-bandes ? Là encore, A. Benamour tente de minimiser le problème et avance que selon la loi, lorsqu'un secteur dispose d'un régulateur, le Conseil se doit de le consulter avant le début de l'enquête sur le marché. Il compte s'inscrire dans une logique de coopération plutôt que de conflit. Bref, la loi est ce qu'elle est, imparfaite par nature car issue du consensus. Mais au-delà de la loi elle-même, c'est sa pratique qui donnera le «la» de la régulation concurrentielle au Maroc. Et comme dans beaucoup d'institutions, la personnalité et l'envergure de celui qui la préside jouent un rôle prépondérant dans son ancrage dans le paysage institutionnel d'un pays. Aujourd'hui, les premiers dossiers à instruire sont déjà sur la table du Conseil, et ses premières décisions seront scrutées de près. Mais il faudra pour cela attendre l'adoption du décret d'application des deux lois qui interviendra avant la fin de l'année, selon A. Benamour.