Zakaria Fahim, président de la Commission éthique et bonne gouvernance de la CGEM, fait un bilan d'étape de l'amélioration de la gouvernance des entreprises du pays, notamment des PME. Dans la même foulée, il identifie les principaux axes de travail (structuration financière, question de la succession ou de la relève, formation des patrons, etc.), tout en livrant des clefs pour améliorer la performance des entreprises. Finances News Hebdo : En mars 2008, un code des bonnes pratiques de gouvernance d'entreprise a vu le jour. Compte tenu de cette mesure et bien d'autres sans doute initiées par la CGEM, pensez-vous que les entreprises marocaines améliorent leur gouvernance au fil des années ? Zakaria Fahim : Il faut savoir raison garder car aujourd'hui, il n'y a pas de statistiques ou d'outils élevés pouvant attester d'une amélioration ou d'un recul de la gouvernance au sein des entreprises. Par contre, ce qu'il y a lieu de souligner, c'est l'augmentation du nombre de société qui adhère au label de la responsabilité sociale de l'entreprise (RSE) de la CGEM. Les exercices de sensibilisation commencent à payer. Nous sommes passés d'entreprises qui venaient par simple curiosité à des entités réellement convaincues des bienfaits de ce label. Il y a un réel engouement des PME locales pour les outils comme les codes dont elles ont pris conscience de l'importance pour leur performance. Je pense aussi que la «carotte» de la labellisation est importante, car il est d'autant plus facile d'être labellisé pour une entreprise si elle pratique une bonne gouvernance. F.N.H. : Ledit code formule une batterie de recommandations à l'endroit des entreprises familiales existant dans le pays. Ne pensez-vous pas que cette catégorie d'entreprise, en raison de ses particularités, a plus de mal à assimiler les principes de bonne gouvernance par rapport aux autres PME ? Z. F. : Tout d'abord, il y a lieu de rappeler qu'il y a quatre codes de gouvernance au Maroc, à savoir le code général, celui dédié à la PME familiale, celui réservé aux institutions financières et enfin celui consacré aux entreprises publiques. C'est le pragmatisme qui a présidé à l'élaboration du code de gouvernance de la PME. Cela dit, beaucoup de personnes considèrent que les PME sont de grandes entreprises en miniature, ce qui est une erreur. Celles-ci ont leurs spécificités et leur ADN. D'où l'intérêt de leur consacrer un code spécifique, car elles représentent aussi 90% du tissu économique. Cela étant, les entreprises familiales ont leurs propres particularités et présentent des difficultés en raison de leur sous-capitalisation financière. Elles font aussi face à la problématique de se projeter au-delà de leur fondateur, ce qui soulève la question de la transmission ou de la relève. Certains dirigeants de PME familiales ont du mal à passer le relai. Une partie d'entre eux considère qu'elle détient la science infuse et que l'acte de transmettre serait un réel danger. L'autre problématique est aussi l'acceptation de ces dirigeants de s'entourer de compétences, de mettre en place un comité (conseil de famille) pour préparer la transmission. Et pourtant, ces mécanismes permettent au fondateur de rester patron, tout en préparant la relève. Le danger qui guette ces managers est une fois le pied levé au lieu que l'entreprise grandit, elle s'essouffle. A ce titre, le code de gouvernance apporte des clefs pour parer à ce genre de situation. F.N.H. : Selon vous à quel niveau les PME marocaines affichent plus de carences en matière de bonne gouvernance ? Z. F. : La question de la sous-capitalisation est une réelle problématique pour la plupart des entreprises. C'est le principal sujet à mon sens. Par contre, faire preuve de bonne gouvernance, c'est aussi comprendre qu'il y a un cycle dans la vie d'une entreprise, ponctué par les belles années et les périodes de vaches maigres. A ce titre, les réserves doivent servir à faire face aux périodes difficiles. Se projeter vers l'avenir est une chose que ne font pas beaucoup d'entrepreneurs. Ces derniers ont certes beaucoup de flair et sont très intuitifs mais dans un monde où les finances sont très importantes, ils trouvent encore du mal à se faire accompagner par des experts comptables et des conseillers financiers. Toutefois, ce handicap n'est pas une chose rédhibitoire car certains patrons ont compris que l'aspect financier est un métier à part entière, se faisant accompagner par des experts et leurs entreprises s'en portent bien. Bien gouverner son entreprise suppose aussi savoir partager et se dire qu'on peut gagner moins à court terme, mais bien protéger sa structure et cueillir les fruits sur le long terme. La délégation, la création de la valeur immatérielle et se rendre non indispensable pour pérenniser son entreprise au-delà de sa personne sont des choses essentielles pour ancrer sa boîte dans la durée. Or, pour certains dirigeants être un bon entrepreneur, c'est tout faire, ce qui est une erreur à notre sens. Il faut plutôt être un chef d'orchestre qu'un joueur polyvalent. F.N.H. : Enfin au-delà du code de 2008, comment concrètement généraliser les bonnes pratiques de gouvernance au sein du tissu entrepreneurial ? Z. F. : Le bon sens aujourd'hui est que la bonne gouvernance d'entreprise commence par éviter l'isolement. Un patron d'entreprise doit avoir l'humilité d'accepter de s'entourer de gens plus compétents que lui, ce qui est de l'intelligence. Les chefs d'entreprise doivent aussi se former davantage et encourager la formation de leurs collaborateurs. Améliorer ses compétences n'est pas du temps perdu, bien au contraire, c'est de l'investissement. Concrètement, dans l'optique de parfaire la gouvernance au sein des entreprises, la CGEM est en train de déployer un guide pour protéger le patrimoine immatériel des entreprises sur la contrefaçon. Nous sommes aussi sur le point de mettre en place un outil pour montrer aux entreprises en quoi la bonne gouvernance est un accélérateur de business et de performance. Il s'agit de démontrer par exemple que respecter le Code du travail et s'acquitter de ses obligations envers la CNSS sont des motivations pour les employés qui sont plus enclins à être performants. Car beaucoup de personnes estiment que ce sont les sociétés dans lesquelles les salariés coûtent plus chers qui perdent plus d'argent. Ce qui est erroné car dans ces entités, les collaborateurs étant plus motivés rapportent beaucoup plus qu'ils ne coûtent en réalité. D'où l'intérêt d'apprendre aux entrepreneurs de raisonner en termes de retour sur investissement et ne pas être porté uniquement sur le coût final de l'entreprise. Il faut avoir une vision compte d'exploitation/compte de résultat et ne pas se focaliser uniquement sur les charges. La bonne gouvernance d'entreprise est aussi le passage d'une culture du mieux-disant à celle de partage et d'écosystème. Les entrepreneurs qui réussissent à agrandir leurs PME créent un écosystème qui va attirer des projets plus grands leur permettant de devenir un hub pour le Maroc.