* Un bon système de gouvernance est un système qui adopte une démarche de gestion privilégiant les axes prioritaires du développement humain durable. * Certains secteurs connaissent un recul en matière de gouvernance ; c'est le cas du développement social et humain de proximité. * L'Etat devrait se dessaisir du développement humain au profit des acteurs de proximité, plus à même de répondre aux besoins spécifiques à chaque Région. Finances News Hebdo. : Après quelques années d'activités, quel bilan dressez-vous du travail du CMG ? Driss Abbadi : Le CMG a démarré en décembre 2003 avec comme approche de mener des activités qualitatives plutôt que de verser dans le quantitatif, l'événementiel et le sensationnel. Nous avons mené des actions de partenariat avec des acteurs publics, des acteurs de la société civile et des ONG internationales. L'équipe a ainsi défini un programme pour l'année 2004 qui a comporté un certain nombre d'activités axées essentiellement sur la «démystification» de la notion de gouvernance dans ses diverses acceptions. Aujourd'hui, le CMG essaye d'accompagner l'INDH et les différents acteurs politiques et de la société civile dans le but de redorer le blason de la politique par le biais de l'éducation à la démocratie. Bien entendu, le bilan de ces deux années d'activités ne peut prétendre avoir atteint tous les objectifs escomptés, car c'est un travail qui s'inscrit dans la durée. F. N. H. : Actuellement, quelle appréciation faites-vous de l'état d'avancement de la gouvernance au Maroc ? D. A. : Actuellement, le Maroc a mis en place un système de gouvernance tant au niveau national que local. La question est de savoir si ce système est performant. Avant cela, il faut s'entendre sur la signification de bonne gouvernance avant de l'apprécier au Maroc. Un bon système de gouvernance est un système qui adopte une démarche de gestion privilégiant les axes prioritaires du développement humain durable. Dans ce sens, on peut dire que le système de gouvernance au Maroc connaît des avancées dans certains axes de développement, notamment à l'échelon central de l'Etat au niveau duquel se développent des programmes de bonne gouvernance tels que le programme «villes sans bidonvilles», «l'INDH», l'initiative nationale pour l'emploi «INPE» qui sont des programmes menés dans un cadre de conception et d'action privilégiant la bonne gouvernance. C'est dire que la gouvernance est assez avancée au niveau central de l'Etat. Par contre, au niveau local, la gouvernance n'a pas encore atteint sa vitesse de croisière et connaît une stagnation. C'est dire que notre système de gouvernance locale reste prisonnier de la décentralisation administrative, n'arrivant pas à la dépasser et franchir le pas vers la démocratie locale et la bonne gouvernance. Enfin, d'autres secteurs connaissent un recul en matière de gouvernance, c'est le cas du développement social et humain de proximité qui connaît un recul malgré les efforts importants menés par l'Etat dans ce sens. A cet égard justement, l'Etat devrait non pas monopoliser le développement social humain uniforme pour toute la société, mais s'en dessaisir au profit des acteurs de proximité plus à même de répondre aux besoins spécifiques à chaque région. F. N. H. : La gouvernance a-t-elle été assez bien assimilée par les différents intervenants dans la société marocaine ? D. A. : La bonne gouvernance n'est pas un système propre aux sociétés industrialisées avancées ni une affaire d'élites intellectuelles ou autres, ni une question liées aux moyens matériels et financiers. La bonne gouvernance est l'art du mieux possible avec les moyens dont on dispose. A cet égard, la bonne gouvernance était autrefois bien incrustée dans les murs et bien assimilée par la société marocaine. La société marocaine connaissait un système de bonne gouvernance bien avant 1912, la gouvernance marocaine d'autrefois était basée sur une organisation sociale et administrative. L'organisation sociale était structurée par les familles, les douars et les fractions de tribus. La gouvernance locale comprenait un organe délibératif, la Jemaâ, composée des chefs de familles à la tête desquels était désigné un organe exécutif : Amghar, élu pour une année pour exécuter les décisions de la Jemaâ. Ce système de gouvernance à l'ancienne était d'une part démocratique, autonome et équilibré entre le social et le politique. Et, d'autre part, ce système gérait de manière performante le développement de la communauté locale puisque les différentes communautés locales géraient de manière efficace leurs propres affaires économique, sociales, de répartition des droits à l'eau, de statut familial... Aujourd'hui, la gouvernance est assez bien assimilée par les différents acteurs du développement publics, politiques, privés, sociaux grâce notamment aux efforts de vulgarisation menés par l'Etat, l'Université et les acteurs de la société civile. Seulement, «assimilé» ne veut pas dire «adopté». On a conscience de la nécessité d'adopter l'approche de bonne gouvernance mais beaucoup de réticences demeurent de la part des différents acteurs quant à son application effective, mais je demeure confiant, car c'est une affaire de temps, on ne peut qu'aller dans ce sens, ceux qui ont pris le train de la bonne gouvernance ont compris, ceux qui l'ont raté ont encore le temps. F. N. H. : Quels sont vos indicateurs de quantification de l'impact du travail mené par le Centre ? D. A. : Nous avons d'abord défini deux grands indices comprenant chacun un certain nombre d'indicateurs . Les indices que nous avons fixés visent à mesurer l'amélioration du système de gouvernance ; ce sont notamment : l'indice de la responsabilité publique (IRP) et l'indice de la qualité de l'administration (IQA). La mesure de la gouvernance permet, grâce à ces indicateurs, d'évaluer la légitimité politique du système, l'efficacité des politiques économiques, le progrès social et la visibilité stratégique. L'impact de notre travail devrait à long terme, sur le plan politique, permettre au gouvernement de disposer d'informations précieuses relatives à tous les aspects de conduite des politiques publiques dont il assume la responsabilité. Sur le plan économique, il devrait permettre de vérifier la pertinence des choix économiques et d'opérer, le cas échéant, des rectificatifs judicieux et adaptés à la conjoncture économique actuelle et aux demandes réelles des investisseurs et de la société. Sur le plan social, il devrait permettre d'évaluer les efforts déployés par les pouvoirs publics pour lutter contre la pauvreté, réduire le chômage et mener des opérations concrètes de solidarité en faveur des couches sociales les plus déshéritées. Sur le plan stratégique, il permettrait de s'interroger sur l'efficacité à moyen et long termes du système de gouvernance, d'évaluer la capacité réelle des acteurs à relever les enjeux nouveaux que le pays a choisi délibérément de placer au-devant de l'exigence de son développement politique, économique et social : accords de libre-échange avec l'Europe et les USA... F. N. H. : Selon vous, quels sont les grands handicaps majeurs sur lesquels le Maroc doit davantage travailler pour avoir une meilleure harmonisation de l'action de tous les intervenants dans notre société ? D. A. : Les handicaps sont d'ordres humain, structurel et systémique. Pour les dépasser, il y a un certain nombre de mesures à adopter à moyen et court termes. Au préalable, les mesures à court terme doivent commencer par une redéfinition et une rationalisation des structures administratives ainsi que la généralisation de la couverture territoriale par les services publics en vue de permettre la prise des décisions par les services proches des citoyens concernés, le développement d'une politique de partenariat entre les différents services de l'Etat et les collectivités locales. L'action commune, la coordination rationnelle et l'orientation unifiée des activités des services publics locaux, représentant tous les départements institutionnels sur un même niveau, doivent permettre de mettre en uvre une politique de développement local comprenant des programmes intégrés de développement économique et social. F. N. H. : Et sur le plan financier ? D. A. : Sur le plan des ressources financières, la tendance actuelle va dans le sens d'une contractualisation à travers l'implantation d'un nouveau dispositif de gestion budgétaire axé sur les résultats par la conclusion d'un contrat objectifs-moyens glissant, l'introduction d'un nouvel outil de gestion reposant sur des engagements réciproques entre administrations de l'Etat, collectivités locales, entreprises privées, universités, société civile, la mise en place d'un système de contrôle de gestion permettant d'évaluer de manière plus efficace et efficiente la réalisation des objectifs fixés et la définition d'un nouveau cadre de partenariat conforme aux principes de bonne gouvernance entre l'ensemble des acteurs du développement pour optimiser les prestations et les actions rendues. A cet effet, on remarque que depuis quelques années, l'Etat tente de redéfinir et d'adapter son rôle à la nouvelle donne mondiale, et ce par l'encouragement du secteur privé et l'établissement de nouvelles relations avec les différents partenaires et acteurs de l'économie et de la société. Cette nouvelle orientation vise à élaborer une stratégie de changement fondée sur les besoins des usagers, au moyen d'une relecture de l'organisation des services publics afin que l'administration étatique de proximité soit ouverte et à l'écoute. Cette stratégie passe par l'encouragement des actions de partenariat offrant des possibilités aux services de l'Etat de recourir à des opérateurs et à des prestataires extérieurs.