La préservation du système de compensation constitue un obstacle à une gestion normale et rationnelle des activités concernant les produits subventionnés. Le système actuel qui encadre le secteur a atteint ses limites. Il devient contreproductif et doit être révisé en profondeur afin d'évoluer vers un esprit concurrentiel et de transparence. La subvention du secteur coûte 2,3 Mds de DH à l'Etat. Le gouvernement a affiché ouvertement sa volonté de réformer le système de compensation. Il a commencé par les hydrocarbures, mais osera-t-il franchir le pas vers le sucre et la farine ? Même si Mohamed El Ouafa, ministre délégué chargé des Affaires générales, a affirmé haut et fort que les prix du pain ne seront pas touchés, vu le poids social de la denrée, tout laisse à croire que tôt ou tard le système de subvention de la farine nationale sera lui aussi révisé. Et pour cause, le système de compensation connaît des insuffisances qui en affectent l'efficacité même, dont notamment la spéculation sur les prix de vente à la consommation concernant la farine nationale et le sucre, à telle enseigne que les augmentations appliquées par les spéculateurs dépassent parfois le montant de la subvention, en cas de pénurie de ces produits sur le marché. Il y a aussi la qualité du produit proposé à la vente qui laisse à désirer, notamment pour la farine nationale produite à partir du blé tendre. Ce système de compensation est une entrave au processus de libéralisation économique, et sa préservation constitue donc un obstacle à une gestion normale et rationnelle des activités concernant les produits subventionnés. «C'est un système coûteux qui ne profite pas nécessairement aux populations démunies. Il est temps de le réviser. Une bonne partie des boulangeries ne respecte pas le poids minimum du pain qui est fixé à 200 g. L'Etat ferme les yeux car il n'a pas d'alternatives», indique Mohamed El Amrani, professeur universitaire. Pour Lhoucine Zaz, président de la Fédération nationale des boulangeries pâtisseries du Maroc (FNBPM), «notre secteur traverse des périodes difficiles, ce n'est pas le pain qui est subventionné, mais c'est la farine nationale qui l'est et cela se fait au niveau des minotiers. La qualité et les disponibilités de cette farine ne sont pas toujours au rendez-vous. Nos coûts de production ont nettement augmenté ces dernières années, alors que les prix du pain sont resté figés. Les boulangeries compensent leur perte par les autres produits, notamment au niveau de la pâtisserie et de la viennoiserie». Pour sa part, Chakib Laâlaj, président de la Fédération nationale de la minoterie (FNM), estime qu'«il faut trouver des éléments de réponse pour arriver à un compromis entre le souci des pouvoirs publics et les préoccupations des professionnels». Il souligne que «le système actuel qui encadre le secteur a atteint ses limites. Il devient contreproductif et doit être révisé en profondeur afin d'évoluer vers un esprit concurrentiel et de transparence. Ce système a créé un esprit de rente et attiré des investissements dépassant de loin les capacités et la demande du marché. Cette surcapacité s'est traduite par une guerre des prix qui menace le fonctionnement normal du secteur». Outre la surcapacité, le secteur souffre également des disparités de l'offre entre les régions. La farine nationale ou subventionnée est parfois inexistante dans les zones jugées pauvres, surtout les enclaves éloignées et montagneuses. Elle est détournée via des réseaux qui la commercialisent dans d'autres lieux. Et même si elle existe, elle est le plus souvent vendue à un prix dépassant celui fixé par l'Etat. Le volume de stockage est l'autre point noir relevé dans la filière céréalière. Certains opérateurs (minoteries, coopératives,...) déclarent des quantités dépassant l'existant réel. L'Etat paye des frais de stockage supplémentaires. Il est fixé par mois à 5 DH le quintal. Cette situation fausse également les disponibilités du marché. Car le Maroc compense une partie de ses besoins par les importations. Le pays a assisté parfois à des situations qui frôlaient la pénurie. Les importateurs étaient contraints de négocier au prix fort sur le marché international. «Il y a des lobbies et des conflits d'intérêts qui bloquent la réforme de la filière céréalière. A l'image des hydrocarbures, les subventions de la farine nationale profitent peu aux populations ciblées, permettant à certains de bénéficier amplement du système. Il est temps de mettre un terme à ces défaillances et instaurer un système plus juste et plus équitable à même de préserver les deniers publics tout en soutenant les couches à faible revenu», relève El Amrani. Pour rappel, la subvention de la farine nationale coûte à l'Etat 2,3 Mds de DH par an. L'opération de distribution de ce produit est réglementée par une circulaire ministérielle fixant les modalités d'application et les modes de contrôle. La multitude des intervenants et des acteurs dans le secteur, l'étendue du territoire à contrôler, le faible nombre des agents-contrôleurs rend l'opération difficile dans son ensemble. Peut-être que le salut viendra de la libéralisation du secteur.