Finances News Hebdo : Le budget accordé à la Santé et la Protection sociale dépasse les 23 milliards de DH. 3 milliards supplémentaires par rapport à 2021. Est-ce suffisant pour reformer le système de santé ? Abdelmajid Belaiche : Tout d'abord, il faut rappeler que depuis 2011, le droit à la santé a été consacré un «droit constitutionnel», et ce dans plusieurs articles. Le droit à la vie (article 20), qui comprend également la lutte contre les mortalités évitables, le droit à la sécurité et à la protection de la santé (article 21), le droit aux soins, à un environnement sain, à la couverture médicale (article 31), le droit à la santé des personnes et catégories à besoins spécifiques (article 34), le droit d'accès à des soins de qualité et à la continuité des prestations (article 154). Cette constitutionnalisation du droit à la santé a donc engagé la responsabilité de l'Etat, des établissements publics et des collectivités territoriales dans la protection de la santé de l'ensemble des citoyens. Malheureusement, 10 ans après la mise en place de cette Constitution, notre système de santé reste toujours confronté à plusieurs défis, dont la faiblesse de l'offre de soins, la pénurie en ressources humaines, l'insuffisance en qualité des soins, l'absence d'une généralisation de couverture médicale de base, les disparités entre régions, l'insuffisance de son financement et l'importante participation des ménages aux dépenses de santé qui a atteint les 50%. Notre système de santé souffre indiscutablement d'un grand problème de financement, mais aussi de problèmes de gouvernance et d'un manque criant en ressources humaines. Même avec une augmentation de 3 milliards de dirhams, soit 19% de plus qu'en 2021, ce budget de 23,5 milliards de dirhams alloué au ministère de la Santé et de la Protection sociale, dans le PLF 2022, reste largement insuffisant. En effet, il ne représente que 8,7% du budget général de l'Etat (Voir tableau sur l'évolution annuelle des budgets généraux, des budgets du ministère de la Santé et de leurs rapports.) Quand on examine l'évolution du budget du ministère de la Santé depuis le PLF 2016 jusqu'au PLF 2022, on constate d'abord la part négligeable du budget de la santé (Entre 3,5 et 8,7%, avec une moyenne de 7,2%). Cela classe notre pays parmi les plus mauvais élèves du monde (103ème rang sur 171 pays). Et malheureusement, nous sommes aussi mal classés dans notre continent (13ème rang en Afrique). Ce taux de 8,7% est largement en dessous du taux recommandé par l'Organisation mondiale de la santé (12%), et surtout de celui de la déclaration d'Abuja de l'Union africaine (15%), pour faire face aux défis sanitaires, et notamment les plus urgents et améliorer notre système de santé qui a souffert de nombreuses accumulations et d'un important retard de l'offre des soins par rapport aux besoins du pays. Ceci est d'autant plus vrai que le Maroc s'est engagé dans la réalisation d'un chantier historique et ambitieux qui est l'extension de la couverture sanitaire à 22 autres millions de citoyens. Chantier sur lequel le Roi Mohammed VI a insisté, lors de son discours de l'ouverture de la 1ère session de la 1ère année législative de la 11ème législature, le 8 octobre dernier. Or, il s'agira de financer de manière soutenable l'inclusion de 22 millions de personnes dans la couverture sanitaire universelle, mais aussi les besoins croissants de financement en raison du vieillissement de la population marocaine et de l'augmentation des infections de longue durée (Diabète, hypertension etc.) et des infections lourdes et coûteuses (Cancers...), ainsi que pour faire face à d'éventuelles épidémies, notamment la Covid-19, et toutes autres urgences de santé publique auxquels notre pays pourra être confronté. Dans ce cadre, le plus grand enjeu auquel est confronté notre système de santé est à la fois d'augmenter son budget tout en assurant une gestion efficiente des ressources disponibles et leur optimisation. Concernant le financement de la santé, logiquement, le budget du ministère de la Santé doit être situé entre 41 et 50 milliards de dirhams et non pas à 23,5 milliards, sachant qu'il restera encore à chiffrer avec plus de précision les besoins en diagnostics et en soins des 22 millions de citoyens qui restent à inclure dans la couverture sanitaire universelle (CSU).
F.N.H. : L'élargissement de la couverture médicale à 22 millions de nouveaux bénéficiaires est un défi immense. Comment l'Etat va pouvoir honorer cet engagement ? A. B. : Intégrer 22 millions de personnes dans la couverture sanitaire universelle, dans un esprit d'égalité des chances à l'accès aux diagnostics et aux soins pour éviter à tout prix un système de santé à deux vitesses. On doit tirer les enseignements du Ramed où les «ramédistes» n'avaient pas la liberté de se soigner hors des hôpitaux, mal équipés et manquant cruellement de personnel, contrairement aux bénéficiaires de l'AMO. Ils étaient acculés à se soigner uniquement dans ces structures, même en cas d'absence de spécialistes ou de pannes du matériel. Ils avaient bel et bien bénéficié d'un service médical gratuit, mais souvent inexistant. Ils ont dû faire face à des rendez-vous médicaux espacés, pouvant parfois dépasser les 6 mois, voire plus. Il faut rappeler que notre système de santé souffre d'abord d'un problème de gouvernance, auquel s'ajoutent le problème de budget et celui de l'insuffisance des ressources humaines. On ne peut réformer notre système de santé sans s'attaquer en premier aux problèmes de gouvernance qui impactent la qualité et la quantité des services rendus à la population. Cette réforme constitue indiscutablement le chantier le plus important auquel doit s'attaquer le ministère de la Santé, en plus du problème budgétaire.
F.N.H. : Le PLF 2022 prévoit une reforme du système de santé basé sur 4 axes, notamment la valorisation des ressources humaines et la poursuite du programme de réhabilitation des hôpitaux. Est-ce une équation difficile à résoudre ? A. B. : Pour ce qui est de la réhabilitation des hôpitaux, c'est un chantier relativement simple car il suffit de mettre des moyens financiers suffisants pour construire de nouvelles infrastructures hospitalières ou pour améliorer et équiper celles qui existent déjà. Condition nécessaire mais non suffisante, car sans personnel soignant pour prendre place dans ces infrastructures, on risque de se retrouver avec des murs vides et donc inutiles. Le volet de la valorisation des ressources humaines reste le véritable défi qui se pose. Notre pays souffre d'une grande carence en ressources humaines, et notamment au niveau du secteur public. Déjà, en 2017, le ministre de la Santé de l'époque, Houcine El Ouardi, avait souligné que 28% des médecins et 43% des infirmiers seront retraités et partiront à l'horizon 2030. Il avait également révélé que plus de 900 démissions par voie judiciaire avaient été enregistrées par des médecins résidents contractuels et les départs définitifs vers l'étranger. Comment remplacer alors tous ces départs et augmenter globalement les effectifs des professionnels de la santé ? Les solutions à court terme passent, d'une part, par le recrutement des médecins et des infirmiers, et d'autre part, par les partenariats public-privé. La première solution consiste à recruter le personnel soignant dont il a besoin. En effet, chaque année, le ministère de la Santé lance des appels à candidatures pour 4.000 à 5.000 médecins. Malheureusement, ces appels à candidatures restent infructueux pour certaines régions éloignées ou enclavées, et où les conditions de vie et d'exercice sont effectivement très difficiles. La revalorisation des salaires des professionnels de la santé dans le public, avec en plus des incitations financières (primes etc.) en fonction de l'éloignement et la difficulté de l'exercice sont donc nécessaires. L'amélioration des conditions d'exercice et de vie dans ces régions va encourager davantage les professionnels à exercer là-bas. Cela passe par des logements décents, le raccordement aux réseaux d'eau courante et d'électricité, aux connexions téléphoniques et à l'Internet. Pour les personnes mariées, la proximité des écoles de qualité pour les enfants et des lieux de détente et de loisirs sera nécessaire. Quant aux partenariats public-privé (PPP), ils consisteront à ouvrir les hôpitaux publics aux médecins du secteur privé ou à acheter certains services de soins ou de diagnostic (radiologie, examens biologiques etc.) dans le secteur privé, ou tout simplement à permettre à l'ensemble des citoyens de se soigner librement aussi bien dans le privé que dans le public. Pour cela, il sera nécessaire de bâtir un secteur hospitalier fort en ressources humaines et en équipements et des CHU qui soient de véritables centres d'excellence, pour que le secteur public puisse concurrencer le secteur privé et qu'il ne soit plus qu'un secteur «pauvre» en faveur des pauvres.
F.N.H. : Comment renforcer la gouvernance du système de santé et créer un système d'information intégré ? A. B. : De nombreux problèmes de gouvernance et de dysfonctionnements se sont accumulés au fil des ans. Pour s'attaquer à ces problèmes, il va falloir faire participer toutes les composantes actives dans le domaine de la santé, mais aussi faire appel à de nombreux experts en matière de santé publique. Notre système de santé a besoin plus d'un électrochoc que d'une acupuncture. La refonte totale et profonde de ce système est un véritable défi pour le ministère de tutelle. Cette réforme se fera certainement sur plusieurs années et non pas en un seul mandat ministériel. L'inclusion de 22 millions supplémentaires de citoyens à la couverture sanitaire universelle, avec des soins de qualité, suppose une bonne gouvernance pour optimiser au maximum toutes les ressources aussi bien financières qu'humaines, pour éviter tout gaspillage inutile et coûteux. A ce titre, il faut l'instauration d'un parcours de soins avec le passage obligatoire d'abord par un médecin généraliste ou médecin de famille. Ce dernier évitera le passage automatique et en première intention au médecin spécialiste. Le généraliste aura pour rôle, entre autres, l'orientation éventuelle du patient vers le médecin spécialiste le mieux adapté à son cas. De la même manière, la mise en place de recommandations thérapeutiques pour toutes les pathologies évitera les gaspillages inutiles et coûteux de certaines thérapies, d'opérations chirurgicales, ou d'examens biologiques ou radiologiques. La création d'une carte électronique pour chaque patient permettra d'éviter les redondances et les gaspillages de soins, tout en facilitant l'accès pour ces patients aux traitements nécessaires. Cela suppose aussi la mise en place d'un système d'information intégré au niveau national.
F.N.H. : En plus des mesures prévues dans le projet de loi n°33.21 modifiant et complétant la loi 131.13 relative à l'exercice de la médecine, comment selon vous, motiver le retour de médecins marocains exerçant à l'étranger ? A. B. : Autoriser des médecins étrangers à exercer au Maroc pourrait dans le meilleur des cas attirer ces derniers vers un secteur privé plus attractif, mais probablement beaucoup moins vers le secteur public. Or, c'est au niveau du secteur public où la carence est la plus forte. Quant à faire revenir des médecins qui sont partis exercer à l'étranger, c'est une chimère. Comment peut-on faire revenir un médecin marocain de l'étranger alors que son niveau salarial et sa qualité de vie et d'exercice sont bien meilleurs dans le pays d'accueil que dans son pays d'origine. Pays où, par ailleurs, il a construit une nouvelle vie familiale. La valorisation des ressources humaines est certainement le plus grand défi auquel seront confrontés l'actuel ministre de la Santé et ceux qui lui succéderont.