Payer 10% de la valeur d'acquisition de ses actifs détenus à l'extérieur ou 5% de la valeur des avoirs en liquide, telle était la condition pour bénéficier d'une amnistie fiscale et pouvoir rapatrier son patrimoine tranquillement au pays. La mesure choc de Boussaid, pleine de bon sens, vient d'être rejetée par la Chambre des conseillers. Qu'elle concerne les crimes politiques, l'immigration clandestine ou d'autres crimes, à chaque nouvelle amnistie, la controverse surgit. De par leurs importants enjeux économiques et financiers, les amnisties fiscales n'échappent pas à cette règle. C'est même cette dernière catégorie qui provoque le plus de réactions, surtout en ce moment, car paradoxalement aux crises budgétaires de par le monde, l'amnistie semble devenir une tendance mondiale. L'Italie, la Grèce, la France et bien d'autres pays sont devenus champions en la matière et les gouvernements de ces pays ont toujours justifié ces mesures par leur caractère efficace. Au Maroc, le ministre de l'Economie et des Finances, Mohamed Boussaid, a décidé de s'attaquer à un grand tabou de la société, qui est l'évasion fiscale hors frontières, en introduisant dans le projet de Loi de Finances 2014, un article intitulé «Contribution libératoire au titre des avoirs détenus à l'étranger». Une amnésie qui n'en porte pas le nom. Car, cet article, qui vient d'être avorté par la chambre des conseillers, aurait permis aux détenteurs d'avoirs à l'étranger de manière illégale de «blanchir» leur patrimoine en payant 10% de sa valeur d'acquisition au fisc marocain. Ce patrimoine peut être immobilier ou financier. Aussi, un taux libératoire de 5% permettrait-il de remettre le compteur à zéro pour les avoirs liquides en devises rapatriés. Ensuite, 50% de ces avoirs liquides doivent être cédés, à titre définitif, sur le marché des changes au Maroc contre des dirhams et le reliquat déposé dans des comptes en devises ou en dirhams convertibles dans les banques marocaines. Cette simplicité et cette clarté font de cette mesure l'une des plus pragmatiques de cette Loi de Finances. Mais attention, en parallèle, les contribuables qui auront tenté de régulariser leur situation auraient été fichés, selon cette même loi. Car ils auront dû ouvrir des comptes bancaires au Maroc, remplir des déclarations de l'Office des changes, justifier des montants d'acquisitions à l'étranger et ce sont ces mêmes banques qui se chargeront du prélèvement des sommes dues au fisc. Une fois ces prélèvements effectués, les contribuables serraient devenus libres de tout reproche. Complètement blanchis! Mais sur ce fichage, le ministre a souhaité relativiser et même réconforter les contribuables potentiels: «Les personnes concernées ayant souscrit à la contribution libératoire disposent de la garantie de l'anonymat couvrant l'ensemble des opérations effectuées au titre de cette contribution. A cet effet, les opérations de déclaration bénéficient des dispositions relatives au secret professionnel prévues par l'article 79 de la loi no 34-03 précitée relative aux Etablissements de crédit et organismes assimilés. De même, après paiement du montant de la contribution libératoire, il ne peut y avoir aucune poursuite administrative ou judiciaire, au titre des avoirs objet de la déclaration, à l'encontre des personnes concernées que ce soit en matière de réglementation des changes ou en matière de législation fiscale», lit-on dans le texte de loi. Entre idéologie et pragmatisme Les détracteurs de cette amnistie fiscale mettent en avant le fait qu'elle est inéquitable. Ses défenseurs estiment, au contraire, que l'efficacité de ces mesures en matière de lutte contre l'évasion fiscale dont souffrent les Etats les justifie. Il semblerait que les détracteurs ont en eu raison cette fois-ci. Pour le Maroc, selon l'agence Ecofin, ce sont 45 à 70 Mds de dollars qui font l'objet d'évasion fiscale à l'extérieur du territoire. Soit presque l'équivalent de la dette du Trésor. Remettre une partie de cet argent dans l'économie nationale, tout en récupérant des recettes fiscales inattendues, n'aurait pas été de refus. Mais il semble que l'idéologie politicienne a pris le déçu sur le pragmatisme du ministre. En effet, longtemps, les hommes politiques tournaient le dos à cette question en adoptant la politique de l'autruche. Mais aujourd'hui, alors que la situation des finances publiques ne laisse plus trop le choix aux décideurs, le ministre de l'Economie et des Finances, fraîchement nommé, fait clairement preuve de pragmatisme en concoctant une solution concrète au lieu de s'attarder sur la lecture d'une telle mesure que pourront faire les conservateurs. Les fiscalistes apportent néanmoins un bémol à cette démarche: une amnistie de cette ampleur, pour être crédible, doit faire partie d'un ensemble homogène. Autrement, le signal envoyé aux contribuables serait que le gouvernement est dans l'incapacité de remplir son rôle. Souvent, l'Irlande et la Belgique sont données en exemple en la matière. La première avait décidé d'une amnistie générale durant les années 80 pour une durée de 10 mois. Parallèlement, le gouvernement de l'époque avait tout fait pour rendre la vie difficile aux fraudeurs en augmentant les contrôles et en les durcissant pendant cette période. Cette méthode a permis de récolter 750 millions de dollars contre 50 millions prévus au début de l'amnistie. La Belgique est un contre-exemple, car une loi bien plus élaborée que l'irlandaise a été mise en place pendant la même période. Elle comprenait également une obligation d'investir en bons de Trésor pour profiter de l'amnistie. Echec ! L'amnistie a été tout simplement annulée au bout de quelques mois à cause des pressions électorales sur le gouvernement de l'époque. La mesure était singulière. Quoi qu'il en soit, statistiquement et historiquement, Mohamed Boussaid a eu raison d'opérer de la sorte. Premièrement, parce que le coût d'une amnistie est faible aussi bien financièrement que politiquement, surtout lorsqu'elle est aussi simple que celle-ci. Les détracteurs ont eu en face l'argument du déficit budgétaire et de la croissance. Deuxièmement, parce que toutes les amnisties, même celles ratées, profitent aux recettes extraordinaires de l'exercice d'application. Malheureusement, il semblerait que nos politiciens ne soient pas encore prêts à une telle mesure. Populisme ?