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Bilan économique: «Les citoyens ont le droit de juger les réalisations gouvernementales»
Publié dans Finances news le 31 - 08 - 2021

En début de mandat, le gouvernement s'était fixé un ensemble d'objectifs ambitieux.
L'heure du bilan a sonné.
Eclairage du professeur et économiste Najib Akesbi.

Propos recueillis par M. Diao

Finances News Hebdo : En tant qu'analyste des questions économiques, que vous suggère le bilan du gouvernement actuel en fin de mandat ?
Najib Akesbi : Je réponds d'emblée en disant qu'au Maroc, ceux qui décident des choix stratégiques ne se présentent pas aux élections. En conséquence, faire le bilan de l'action gouvernementale sur le plan économique au cours des cinq dernières années revient quelque part à rendre exclusivement comptable le gouvernement des orientations économiques majeures. Or, les grandes décisions politiques, économiques et sociales sont prises lors du Conseil des ministres et non en Conseil de gouvernement. J'estime que participer à la critique du bilan du gouvernement en laissant croire qu'il en est le seul responsable équivaut à entretenir l'atmosphère de confusion et de dilution des responsabilités qui existe dans le pays. Faire l'évaluation d'une politique économique au Maroc ne revient pas à juger seulement les prestations d'un gouvernement. Ceci dit, il est vrai que des élections sont un moment d'interpellation, de reddition des comptes, de débat, et les citoyens ont le droit de juger les réalisations gouvernementales, ne serait-ce qu'au regard des objectifs que les responsables gouvernementaux s'étaient eux-mêmes fixés en début de mandat.

F.N.H. : Comme vous le savez, la Déclaration de politique générale exposée au Parlement en 2017 par l'actuel chef de gouvernement comporte un certain nombre d'objectifs chiffrés sur le plan économique. Quelle appréciation faitesvous des objectifs annoncés par le gouvernement et les réalisations sur le front économique.
N. A. : Sur le plan économique, le gouvernement avait promis un taux de croissance annuel moyen du PIB compris entre 4,5 et 5,5%. Or, le taux de croissance annuel moyen entre 2017-2021 est de 1,6% du PIB, sachant que le taux de croissance de 2021 est évidemment prévisionnel (plus exactement celui prévu par la Loi des Finances pour 2021). Au regard de ces données, il est clair qu'on est loin du compte. Et même en nuançant par l'omission de l'année 2020, marquée par la crise exceptionnelle liée au Coronavirus (avec une décroissance de -7%), le taux de croissance annuel moyen des quatre années restantes est de 3,6% du PIB. Donc, même en éliminant 2020, on voit clairement que l'objectif en la matière n'est pas atteint. Et ce ne sont pas là de simples chiffres abstraits. Il faut savoir que 1 point de croissance représente près de 11 Mds de dirhams.
Cela voudrait dire qu'un point de croissance perdu chaque année pendant 5 ans, équivaut à un «manque à gagner» de près de 55 Mds de DH par rapport à l'objectif fixé par le gouvernement. En matière de lutte contre le chômage, les résultats obtenus ne sont guère reluisants non plus. Rappelons que le gouvernement avait pour ambition de ramener le taux de chômage à 8,5% en fin de mandat (ce qui n'était déjà pas un objectif très ambitieux). Or, les chiffres officiels montrent que le taux de chômage annuel moyen au cours des années précitées est de 10,4%. Ce qui est nettement en deçà de l'objectif initial fixé. Là encore, pour être très concret, il faut savoir que 1 point de chômage en plus ou en moins, ce sont plus de 100.000 chômeurs en plus ou en moins… Le constat est le même pour les finances publiques, lesquelles n'ont pas été assainies avec le gouvernement actuel et dont l'une des promesses-phares, avait été de contenir le déficit budgétaire en dessous de 3% du PIB. Au regard des données disponibles, la moyenne des déficits budgétaires sur les cinq années en question affiche un taux de 4,9% du PIB. D'où l'existence d'un écart de près de 2 points de plus par rapport à l'objectif gouvernemental. Même en faisant l'impasse sur l'année 2020 pour les raisons déjà évoquées, le taux moyen du déficit budgétaire des quatre autres années tourne autour de 4,3% du PIB.

F.N.H. : Qu'en est-il des indicateurs économiques non moins cruciaux pour lesquels des objectifs chiffrés n'ont pas été fixés par le gouvernement en début de mandat ?
N. A. : La situation du commerce extérieur par exemple. Elle est toujours aussi grave et aussi inquiétante. Le déficit commercial est resté compris dans une fourchette entre 16 et 19% du PIB, et le taux de couverture des importations par les exportations s'est maintenu autour d'une moyenne de 55%, c'est-à-dire qu'en gros, on a continué à importer presque le double de ce qu'on a exporté. Quant à la dette, à fin 2020, l'endettement public global a franchi le seuil symbolique voire fatidique des 1.000 Mds de DH (1.006 milliards exactement). C'est avec le gouvernement actuel que le Maroc a enregistré le record historique en matière d'endettement public, avec un taux désormais dangereusement proche des 100% du PIB. Certes, on peut encore invoquer la crise de la Covid-19, mais le choix des gouvernants a porté sur l'endettement extérieur massif, avec toutes les conséquences graves pour la souveraineté du pays et que tout le monde connait…
A fin 2020, la part de la dette extérieure dans la structure de la dette a progressé pour atteindre 37% (contre 20% avant la crise), tandis que la part de la dette intérieure a reculé à la même période à 63% (contre 80% avant la crise). Sur le front social, le Maroc ne s'est pas mieux porté lors des cinq dernières années. Pour preuve, le pays occupe toujours la 121ème place sur 189 dans l'IDH du PNUD (2020). La crise a mis en évidence de façon flagrante la vulnérabilité économique et sociale d'une très large frange de la population. D'après une étude inédite du HCP, les inégalités sociales se sont fortement détériorées : L'indice de Gini -qui mesure cette inégalité- a atteint 46,4%, alors que, selon le commentaire du même HCP, le seuil «socialement tolérable» serait de 42%. Ainsi, tous les chiffres passés en revue sont des éléments objectifs qui permettent de se faire une idée du bilan quantitatif des gouvernants en fin de mandat.

F.N.H. : Au-delà des chiffres, que vous suggère l'action gouvernementale en matière de mise en œuvre de réformes économiques majeures ?
N. A. : Pour les réformes relevant des politiques économiques et sociales, je considère que celle liée à l'abolition de la rente est l'une des plus importantes. Pour rappel, plusieurs évènements (Hirak du Rif, boycott de certains produits et certaines grandes entreprises) qui se sont déroulés durant le mandat du gouvernement actuel, ont conforté pour la énième fois la nécessité d'engager par des actes forts une lutte sans merci contre la rente. A mon avis, ladite libéralisation des prix des hydrocarbures et l'arrêt d'activité de la Samir resteront dans l'histoire économique contemporaine du Maroc comme des tâches noires à mettre au Passif des gouvernants de ce pays. En tout cas, ce qui est patent, c'est que ce gouvernement n'a rien fait pour sauver la Samir (alors que plusieurs solutions ont été proposées par différentes parties), et je dirais même que ce sont les ministres concernés qui se sont appliqués à décourager toute solution véritable, rappelant cruellement qu'en réalité, le puissant lobby des «pétroliers» est omniprésent au sein même de l'équipe gouvernementale… Pour les mêmes raisons, les Marocains ont subi et continuent de subir le «hold-up du siècle» ! J'entends par là le scandaleux maintien, à partir de 2015, des prix – à la pompe- de l'essence et du gasoil à des niveaux élevés, alors que les cours mondiaux s'étaient effondrés.
Je rappelle que c'est une commission parlementaire qui avait mis en évidence ce hold-up, et que ce dernier avait même été évalué à 17 milliards de dirhams. En fait, comme le gouvernement a continué de capituler devant les exigences du lobby des pétroliers, notamment en refusant de plafonner les prix, ce scandale des hydrocarbures persiste à ce jour, et des cadres de la Samir évaluent aujourd'hui ce hold-up à 40 milliards de DH… A travers le boycott de certains produits et certaines entreprises dominantes au cours du printemps 2018, le principal message que les Marocains ont voulu émettre n'est autre que la dénonciation de cette relation malsaine entre l'économie et la politique... Le gouvernement n'a pas été capable de parachever la réforme de la Caisse de compensation, avec la mise en place du système du revenu direct, destiné aux personnes qui en ont besoin. Le système des subventions à travers les prix (qui revient à gaver de subventions publiques de puissants lobbies de rentiers) persiste donc toujours, et ce au moins pour le sucre, le pain et le gaz butane…
En ce qui concerne la fiscalité, au lieu de procéder à temps aux réformes nécessaires, le gouvernement s'est contenté d'organiser des assises fiscales en 2019. Sachant que les principales recommandations issues des assises fiscales de 2014 n'avaient jamais été mises en œuvre. Il a attendu la fin de son mandat pour sortir le projet de loi-cadre portant sur la réforme fiscale. Ce qui dans le meilleur des cas revient à passer la «patate chaude» au prochain gouvernement… Le gouvernement El Otmani a également fait l'impasse sur la réforme des caisses de retraite. Les réformes systémiques dont le caractère crucial n'est plus à démontrer, n'ont pas été faites. Aujourd'hui, la question des caisses de retraite est une véritable bombe à retardement pour le Maroc…


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