Le recours à la revente des créances en souffrance est aujourd'hui indispensable. Toutefois, plusieurs facteurs juridiques, fiscaux et institutionnels bloquent l'avancée du projet de création d'un marché secondaire.
Par Y. Seddik
Le constat est sans appel. Le secteur bancaire marocain ploie sous un stock de créances en souffrance qui ne cesse de grossir, alimenté par les effets de la crise sanitaire. La mise en place d'un marché secondaire est donc aujourd'hui un besoin on ne peut plus pressant. Il devrait protéger les banques d'une deuxième lame dans la crise économique provoquée par la pandémie, l'envolée attendue du chômage risquant de mettre de nombreux ménages en difficulté et de les rendre incapables de rembourser leurs prêts. Mais le projet tarde toujours à voir le jour à cause de sa complexité, tant sur les aspects légaux, fiscaux et institutionnels y afférents, comme l'avait d'ailleurs déjà souligné le wali de Bank Al-Maghrib lors d'une conférence de presse. C'est le même constat établi par le cabinet Abdelatif Laamrani, dans une étude sur la cession des prêts non performants (PNP) au Maroc. Ce dernier explique que «dans le contexte juridique, prudentiel et institutionnel marocain actuel, plusieurs facteurs constituent autant d'obstacles à la cession des PNP». Parmi les obstacles juridiques relevés par Abdelatif Laamrani, avocat aux Barreaux de Casablanca, Paris et Montréal et docteur en droit, celui du monopole bancaire : «ce principe s'opposerait à ce que des fonds d'investissement étrangers fassent l'acquisition de créances de crédit au Maroc». Ces derniers doivent, s'ils le souhaitent, être soit adossés à des établissements de crédits agréés, soit solliciter l'agrément de Bank Al-Maghrib. L'autre obstacle juridique a trait à l'article 192 du DOC qui «exige l'assentiment du débiteur en cas de créance litigieuse. L'alinéa 2 du même article définit la créance litigieuse comme celle faisant l'objet d'un litige sur le fond même du droit ou de la créance au moment de la vente ou de la cession, ou bien lorsqu'il existe des circonstances de nature à faire prévaloir des contestations judiciaires sérieuses sur le fond même du droit. Dans la réalité, cet accord a peu de chances d'être obtenu». Du côté des contraintes fiscales, il faut noter, entre autres, que la règlementation ne se prononce pas sur la question des ventes de prêts non performants en décote, c'est-à-dire en dessous de leur valeur comptable. «Il faut préciser à cet égard que si des PNP sont cédées au cours des 5 premières années de leur identification comme tel, l'administration fiscale pourrait exiger des établissements de crédit l'annulation des déductions fiscales qu'ils ont appliquées lors de la constitution des provisions sur ces PNP», lit-on dans l'étude. Enfin, Laamrani relève que l'une des contraintes majeures au Maroc à la création d'un marché secondaire des PNP réside dans l'inexistence d'un cadre juridique du recouvrement et les difficultés des voies d'exécution. Les solutions possibles ? Actuellement, la seule façon d'investir dans un portefeuille de PNP au Maroc est de recourir à une structure de titrisation, «mais le mécanisme apparaît relativement dispendieux». La structure de titrisation marocaine présente toutefois des inconvénients par rapport aux réglementations régissant l'achat de portefeuilles PNP dans d'autres juridictions. «Il peut s'agir notamment de la vente directe de portefeuilles de PNP à des structures ad hoc (SPV) qui émettent des titres aux investisseurs dans le cadre d'un régime de placement privé, dans des juridictions fiscalement avantageuses et fréquemment utilisées pour les investissements dans des PNP», explique Me Laamrani. Ces structures ne sont toutefois pas possibles en vertu de la loi marocaine, qui impose des obligations d'informations complètes, y compris le dépôt d'un mémorandum d'information et/ou d'un prospectus. L'autre alternative possible est la création d'une structure de défaisance. Rappelons qu'à ce sujet le wali de la Banque centrale avait déclaré que «nous sommes sur la bonne voie et nous avons associé à des réunions, le ministère de l'Economie, des Finances et de la Réforme de l'Administration et le ministère de la Justice». Le wali de BAM a également fait savoir qu'il a saisi le Secrétariat général du gouvernement pour piloter l'ensemble de ces aspects avec les Départements ministériels concernés, et ce en vue de résoudre les problématiques dans les meilleures conditions possibles et dans les plus brefs délais. «Afin de créer un marché secondaire des prêts non performants, il faudrait résoudre les contraintes fondamentales juridiques, fiscales et institutionnelles du régime de transfert de ces créances. ll serait avisé alors d'envisager la réforme des dispositions du DOC et du code de commerce pour permettre le transfert de créances de manière commode, rentable et attractive. Il faut en l'occurrence supprimer l'accord de l'emprunteur quand la créance est litigieuse et n'exiger plutôt que la notification ou la signification du débiteur», résume Laamrani à ce sujet.