◆ Les défaillances d'entreprises englobent les procédures de sauvegarde et les demandes de redressement ou de liquidation judiciaire. ◆ La violence de la vague des défaillances ne sera perceptible qu'en 2021. ◆ Amine Diouri, directeur Etudes et Communication d'Inforisk, alerte sur l'ampleur des dégâts que risque de causer la crise liée à la Covid-19 en 2021.
Propos recueillis par M. Diao
Finances News Hebdo : Aujourd'hui, quelle est la réalité du nombre des entreprises défaillantes suite à la crise liée au coronavirus dont les stigmates perdurent ? Amine Diouri : Il est important de préciser que les défaillances d'entreprises englobent les procédures de sauvegarde et les demandes de redressement ou de liquidation judiciaire. Au Maroc, Inforisk est une référence en matière de données inhérentes aux défaillances d'entreprises, puisqu'elle s'emploie à collecter l'information en la matière. Pour rappel, à fin 2019, l'on a recensé près de 8.500 entreprises défaillantes. En ce qui concerne l'année 2020, elle a été ponctuée par 3 périodes. Le premier temps concerne la période d'avant-crise (janvier-février) : le nombre d'entreprises défaillantes a cru par rapport à la même période de 2019. La deuxième phase (mars-août) est singulière, puisque l'on a enregistré un chiffre inférieur de 50% à celui de la même période de 2019. Ce qui est paradoxal, eu égard à la crise propice à la multiplication des difficultés d'entreprises. Ce recul du nombre des défaillances lors de la deuxième phase s'explique, entre autres, par la fermeture des tribunaux de commerce à cause de la covid-19, les reports d'échéances des crédits bancaires et ceux inhérents aux impôts. A cela s'ajoutent les aides financières de l'Etat et les crédits garantis par la CCG, dénommés «Damane». En d'autres termes, ces mesures, qui ont mis certaines entreprises sous perfusion, sont des facteurs explicatifs de la contraction de 50% du nombre des entreprises défaillantes entre mars et août 2020. A partir de septembre 2020, l'activité de défaillance des entreprises est repartie à la hausse, tout en étant sur les mêmes chiffres de 2019. Ainsi, de janvier à novembre 2020, le nombre d'entreprises défaillantes a baissé de 34% en comparaison avec 2019.
F.N.H. : Tout le monde s'attendait à des niveaux record de défaillances d'entreprises pour 2020 à cause de la crise. Or, visiblement, cela ne sera pas le cas. Cette situation paradoxale est-elle propre au Maroc ? A. D. : Il est vrai qu'il y a un décalage entre les chiffres des défaillances et les déclarations alarmistes des patrons de fédérations sectorielles au Maroc. Du reste, ce paradoxe n'est pas propre au Royaume, puisqu'en France aussi, les professionnels s'attendent à une baisse de 30% du nombre d'entreprises défaillantes en 2020 en dépit du contexte pandémique. Néanmoins, la violence de la vague des défaillances en France sera perceptible au premier semestre 2021. Je pense clairement qu'on risque de vivre la même situation au Maroc pour moult raisons. L'effet de rattrapage va s'opérer durant le premier semestre 2021. Les tribunaux de commerce marocains, qui ont accusé du retard dans le traitement du stock des dossiers de défaillances d'entreprises, feront remonter l'information au fur et à mesure. L'augmentation du taux de défaut de remboursement des crédits bancaires de la part des entreprises en octobre 2020 (12% contre 9% pour les particuliers) est un signe avant-coureur de la hausse des défaillances d'entreprises en 2021. Les TPME ont des problèmes pour rembourser les anciens crédits bancaires. Or, à partir du début de l'année 2021, les sociétés doivent commencer à payer les crédits bancaires garantis par l'Etat via la CCG (Damane). Au regard de ce qui précède, le premier semestre 2021 risque d'être une période à haut risque pour les entreprises marocaines. Et ce, dans un contexte de baisse d'activité et de chiffre d'affaires par rapport au début de l'année 2020. L'état d'urgence sanitaire qui perdure impacte le business des entreprises à cause, quelque part, de l'instauration du couvrefeu, des restrictions de déplacements et des limitations d'activités (fermeture des restaurants). Les pays européens, dont certains sont des émetteurs de touristes pour le Maroc, sont en train de reconfiner nonobstant le lancement des campagnes de vaccination. Cette situation présage d'un début d'année difficile pour les entreprises marocaines évoluant, entre autres, dans le tourisme et la restauration. L'allongement continu des délais de paiement risque de corser davantage les choses en 2021.
F.N.H. : Gouverner, c'est aussi prévoir. L'Etat a-t-il les moyens de prévenir le tsunami qui se rapprocherait dangereusement ? A. D. : La situation est complexe pour notre gouvernement. Contrairement à d'autres pays, pour ne citer que la France, un pays très endetté mais qui continue de soutenir les entreprises, le Maroc n'a pas des moyens illimités et des capacités d'endettement aussi larges que celles de l'Hexagone. Un Etat comme la France peut s'appuyer sur l'UE, composée de pays qui ont la possibilité de mutualiser leurs dettes. Ce qui n'est pas le cas pour le Maroc dont le déficit public augmente. Les ressources du fonds Covid-19 s'amenuisent également. La mise en place du Fonds Mohammed VI pour l'investissement est une bonne initiative. Il permettra d'aider les entreprises sous la forme de fonds propres. Mais l'investissement sous forme de fonds propres dans une entreprise prend du temps et obéit à plusieurs critères. Ce Fonds ne pourra pas aider toutes les TPME. En somme, l'Etat n'a pas de fonds extensibles pour aider les entreprises.