Le Maroc est un bon élève en matière de libéralisation douanière. Pourtant, les autres pays, malgré louverture, pratiquent encore le protectionnisme de leur production nationale. Pour Hassan Chami, président de la CGEM, les opérateurs économiques marocains doivent se mobiliser et mieux se défendre afin que le Royaume ne soit pas le dindon de la farce. Finances News Hebdo : Est-ce quon peut considérer cette rencontre comme un préalable à la réunion interministérielle de lOMC qui se tiendra entre le 13 et le 18 décembre à Hong Kong ? Hassan Chami : Je ne crois pas quon puisse parler détape préalable. Je crois que cest une rencontre importante pour quon ait une réflexion au Maroc sur comment substituer un pilotage de léconomie par les droits de Douane. Cest ce que nous avons fait depuis lindépendance, un pilotage de léconomie par la loi et la norme. Qui dit loi et norme, dit complicité entre les opérateurs économiques privés et les décideurs publics pour ne pas céder à une tentation douverture sauvage qui va mettre en péril le tissu économique marocain, puisquon sait que de lautre côté des frontières, ce nest pas du libéralisme pur. Chaque pays a des moyens détournés pour défendre sa production nationale. Il y en a qui le font par la lenteur administrative, il y en a qui le font par la norme. Dautres le font par le biais des conditions écologiques. Et nous au Maroc, on ne sait pas faire ce genre de chose, et donc, maintenant, il faut apprendre à le faire. F. N. H. : Justement, quest-ce qui empêche le gouvernement de mettre en place des mesures concrètes pour protéger sa production ? H. C. : Je crois que maintenant, on y est. Si vous voulez, louverture est venue très vite sans quon ait au préalable préparé toutes les mesures susceptibles de piloter léconomie marocaine autrement. Et actuellement, on est en train dassister à des normalisations de plus en plus importantes des produits avant quon puisse les mettre en consommation sur le marché marocain. Malheureusement, louverture est plus rapide que la mise en place des normes. Et vous le voyez bien, quand vous allez dans des magasins, vous trouvez des produits qui ne sont pas étiquetés et qui ne correspondent à aucune norme; vous trouvez des jouets dangereux qui ne correspondent à aucune norme importés de certains pays; idem pour les briquets et beaucoup dautres produits Compte tenu de labsence de cette normalisation, le Maroc est devenu le dépotoir de tout ce qui ne se vend pas dans les autres pays. F. N. H. : Est-ce quon ne peut pas dire que la mondialisation inquiète finalement tout le monde et que toutes ces mesures sont une sorte de protectionnisme déguisé H. C. : Vous êtes sur un terrain de football, vous allez jouer selon les règles quadopte tout le monde. Des règles qui ne sont pas des règles dange, mais des règles mi-ange, mi-démon. Alors, si vous êtes ange parmi les mi-anges mi-démons, vous perdez à tous les coups. Donc, il faut se mettre au diapason de ce que font les autres. Si vous voulez vendre un produit marocain sur le marché européen, on vous demande quil réponde à un certain nombre de normes. Et pourquoi linverse nest-il pas vrai ? Il faut donc quon ait au Maroc une normalisation, pas une normalisation pénalisante, mais une normalisation qui correspond à la norme internationale. On ne demande pas plus. Il faut que les normes marocaines correspondent aux normes internationales en matière dacceptation sur son sol dun certain nombre de produits. Nous avons des problèmes supplémentaires. Nous avons une frontière à lEst, au Nord et au Sud extrêmement perméable. Et donc, le tissu marocain est non seulement confronté à une concurrence normale déloyale, mais aussi à des pratiques mafieuses. On ne peut pas demander à lentrepreneur marocain de vivre sereinement quand il est agressé de manière illégale par tout ce qui est fraude et contrebande, et agressé de manière légale par des gens qui protègent leur marché par des normes. Il faut absolument quon ait au Maroc une politique réaliste. F. N. H. : Est-ce que vous ne pensez pas que le Maroc aurait dû commencer par développer son marché intérieur, à linstar de certains pays dAsie avant de souvrir ? H. C. : Vous savez, léconomie et le développement social sont liés. Si le Maroc avait un taux de croissance économique supérieure à 6%, il aurait pu régler ses problèmes sociaux et aurait réalisé un développement du marché intérieur. Ce sont des choses liées. Comment développer le marché intérieur ? En injectant des salaires. Comment injecter des salaires ? Il faut quil y ait de la croissance Tout cela est lié, et cest pour cela que nous nous battons pour quil y ait au Maroc les éléments de compétitivité afin davoir une croissance forte. Le jour où cela se fera, on aura un emploi important et une distribution de revenus importante. Il ne faut pas distribuer de la richesse qui nexiste pas, parce que les pays qui lont fait ont un niveau de développement économique bas et la plupart de ces régimes économiques ont disparu. F. N. H. : Est-ce que le Maroc na pas signé trop daccords de libre-échange sans avoir la possibilité de les assumer ? H. C. : Il y a des accords à portée économique. Laccord avec lUnion européenne, les USA et la Turquie ont une portée économique. Laccord dAgadir a une portée économique dans la mesure où nos concurrents appliquent les règles du jeu. Par contre, on signe des accords avec des pays qui nous exportent des produits queux-mêmes importent : cest le cas des Emirats Arabes Unis. Il faut donc veiller à lapplication de ces accords, mais on na pas mis en place les instruments pour. Ce quil faut faire maintenant, cest vulgariser ces accords auprès des opérateurs économiques et mettre en place les instruments de mesure. Dans le cadre du libre-échange, on ne peut pas importer des marchandises dAsie qui transitent par les Emirats avant darriver au Maroc. Cest un détournement dorigine. F. N. H. : Aujourdhui, quel est le recours qui reste aux opérateurs nationaux pour se prémunir ? Vous avez proposé de mettre en place une veille économique H. C. : Je crois que tous les opérateurs économiques sont conscients quil y a des moyens de défense mis en place par lOMC. En cas de dumping ou denvahissement du marché par un produit étranger, il y a des mesures de défense. Mais, elles sont trop longues à mettre en marche puisquelles supposent des enquêtes, des dossiers à constituer Alors, il faut que les opérateurs se mobilisent; une mobilisation qui ne peut se faire quà travers des associations professionnelles. F. N. H. : Est-ce que vous pensez que la conférence de Hong Kong va aboutir ? H. C. : Je vais être extrémiste : le Premier ministre a dit que, finalement, la politique économique internationale a été imposée pratiquement par les grands blocs. Ces grands blocs, quand ils réagissent vis-à-vis de pays comme le nôtre, ont une tactique : «Ce que vous savez faire et par lequel vous pouvez-être concurrents, on va y mettre des barrières». Exemple, pour lagriculture, ils donnent des subventions à leurs producteurs. «Ce que vous ne savez pas faire, on le libéralise (parce que cela leur profite), mais quand vous commencerez à nous concurrencer, on le protégera». Cest leur théorie. Alors, il faut savoir bien se défendre !