Dans un entretien qu'il nous a accordé, le président de la CGEM Hassan Chami livre sa vision de patron des patrons sur ce que doivent être les relations entre la communauté des affaires et le futur gouvernement. ALM : Qu'attendent les patrons des législatives de 2002 et surtout du prochain gouvernement qui en sera issu ? Hassan Chami : Vaste question. En tant que chefs d'entreprises, nous attendons que le prochain gouvernement soit un gouvernement de majorité et non de consensus. Un gouvernement qui décide. Nous attendons aussi de ce dernier qu'il aille vers plus de concertation avec les opérateurs économiques. Puisque tout le monde est d'accord y compris les pouvoirs publics que la création de la richesse est plus le fait du secteur privé que du public, il est logique que le gouvernement aménage pour les entreprises un cadre de travail des plus adéquats. C'est ce que vous appelez un «État coach» dans le dernier document de la CGEM ? En effet. Comme son nom l'indique, il s'agit d'un État qui dirige, capable de créer pour les partenaires concernés les conditions de travail idoines pour arriver à l'objectif souhaité par tous : la création de la richesse et des opportunités d'emploi. Comment jugez-vous le gouvernement d'alternance ? Dès sa naissance, ce gouvernement a porté en lui les germes d'une partie de son inaction. Comme chacun le sait, c'est un gouvernement de consensus. Et le consensus par définition ne permet que les décisions qui réunissent l'accord préalable de tout le monde. Le gouvernement a souffert à l'origine de cet handicap. Le gouvernement Youssoufi a-t-il répondu aux attentes du patronat? Ce gouvernement a apporté sans conteste une certaine visibilité par rapport à l'ouverture de l'économie marocaine sur l'environnement international. C'est un gouvernement qui a engagé aussi des réformes qui tendent vers plus de démocratie et de liberté. Ce que nous lui reprochons par contre c'est de ne pas avoir réagi rapidement en ce qui concerne certains secteurs importants tels que le textile. Lorsque ce secteur a commencé à souffrir de la crise, nous avons proposé au gouvernement une batterie de mesures pour que le marasme ne s'installe pas. Les solutions que nous avons préconisées dès 1998 ne furent prises en compte dans le cadre du contrat-programme qu'en août 2002. Que de temps perdu. Comment expliquez-vous ce retard ? Je crois que cette équipe gouvernementale s'est méfiée au début du secteur privé qu'il pense à tort ne fait que revendiquer sans jamais rien donner en retour… Les chefs d'entreprises nationaux renvoient justement cette image de gens qui ne se manifestent que pour réclamer des avantages fiscaux et autres exonérations en évitant de remplir leur part du contrat… Malgré la sécheresse, le Maroc a assuré son développement économique grâce au secteur industriel et tertiaire. Bon an mal an, quelque 120.000 emplois sont créés. À ce que je sache, cette offre ne tombe pas du ciel. Et puis, notre pays connaît depuis près de deux décennies un taux de croissance continu de 3,5% par an. Cela montre que le secteur privé au Maroc est dynamique. Certes, il ne le crie pas sur les toits. Mais il travaille. Cependant, le Maroc manque d'investissements productifs. Généralement, les entrepreneurs mettent leurs billes dans des créneaux où le gain est aussi rapide que garanti comme l'immobilier par exemple… Tous les investissements qui se font aujourd'hui au Maroc représentent une offre qui répond à une demande. C'est pour cela que nous appelons de nos vœux l'avènement d'un État “coach“. Cela veut dire un État capable d'anticiper sur l'avenir, qui mobilise et se mobilise pour développer tel secteur et pour donner la visibilité à tel autre en prenant les mesures d'accompagnement nécessaires. Prenons le secteur de la pêche qui est doté d'un potentiel de développement formidable. Aujourd'hui, ce secteur est géré contre les règles du bon sens. Visiblement, il a besoin de visibilité. Le Maroc a-t-il eu, à votre avis, un bon ministre des Pêches ? Je ne sais pas. Ce qui est sûr c'est que le pays dispose de la ressource et des compétences. Ce qui fait défaut c'est la visibilité pour ce secteur important. Ne pensez-vous pas que le problème de la pêche au Maroc vient du fait qu'il est soumis à une logique de rente et de licences ? Au départ, tous les secteurs d'activité économique au Maroc étaient des secteurs de rente. Car du moment que vous disposez d'une licence ou d'une autorisation, vous étiez protégé par les droits de douane. Aujourd'hui, le Maroc est en train de sortir de ce système protecteur avec le démantèlement douanier prévu en 2010. Nous sommes aujourd'hui au milieu du gué. C'est-à-dire que nous ne sommes pas encore une économie totalement libéralisée ni une économie entièrement protégée. Nous traversons donc une phase cruciale qui nécessite le maximum de complicité et de dialogue entre la communauté des affaires et le gouvernement. Il ne faut plus que l'administration et les entrepreneurs se regardent en chiens de faïence. Nous, opérateurs économiques, sommes conscients que n'avons pas le choix. Ou on s'adapte ou on crève. Cela vaut aussi pour l'administration qui s'elle ne s'adapte pas ne trouvera pas un jour l'argent pour payer les fonctionnaires. Faut-il rappeler que l'administration marocaine bouffe 13% du PIB. Ce n'est pas normal pour un pays engagé dans la compétition internationale. Tout comme ce n'est pas normal que des entreprises ne versent pas à la CNSS les cotisations sociales de leurs employés. C'est ce qui a été révélé par le rapport d'enquête de la deuxième Chambre… Avec tout le respect que l'on doit à la fonction de parlementaire, le rapport en question manque de professionnalisme. Le chiffre de 47 milliards de Dhs avancé comme manque à gagner pour la CNSS est fantaisiste. Et puis il fallait procéder autrement : faire des colonnes et mettre dans chacune ce qui relève éventuellement des détournements, de la mauvaise gestion, etc… Car chaque rubrique doit obéir à un traitement particulier. Vous reconnaissez quand même qu'il y a eu des dépassements ? Les données livrées par le rapport sur la CNSS ne sont pas très fiables. Ceci dit, le cas de ceux qui ne pas paient pas les droits de leurs travailleurs doit relever du pénal. Les poursuivre en justice ? Absolument. Ainsi que ceux qui ne paient pas leurs impôts ? Oui. Dans le cadre d'une justice juste. L'est-elle à votre avis ? Tout le monde connaît les insuffisances de la justice. Mais elle fait des efforts. L'un des reproches que les investisseurs font à notre appareil judiciaire c'est son manque de visibilité en matière de conflits commerciaux. Souhaiteriez-vous que l'actuelle formule gouvernementale revienne au pouvoir ? En mieux, oui. Comment voyez-vous la configuration du futur gouvernement ? Compte tenu du mode de scrutin de liste, ce sera certainement un gouvernement de coalition de 2 ou 3 partis leaders. Je l'espère, en tout cas. ça c'est l'idéal. C'est la Suisse. C'est plutôt l'Allemagne… Un mot sur la campagne électorale qui s'achève… Nous avons vécu une campagne assez sereine. Jusqu'ici, le Maroc a connu des campagnes chaudes et agitées. J'espère que cette situation est l'expression de la maturité politique du pays en général et non du désintérêt des citoyens à l'égard des élections.