◆ La loi 19.12 portant sur les travailleurs et travailleuses domestiques a parcouru un long cheminement législatif, avant d'être adoptée en 2016. ◆ Le Maroc ne pouvait laisser les questions en lien avec le travail et les travailleurs domestiques sans réponse. ◆ Me Zakaria Lachkham, avocat au Barreau de Rabat, nous éclaire sur cette loi.
Propos recueillis par S. Kassir (Stagiaire)
Finances News Hebdo : Quelle lecture faites-vous de la loi 19.12 fixant les conditions d'emploi des travailleurs et travailleuses domestiques ? Zakaria Lachkham : La loi n°19.12 fixant les conditions de travail et d'emploi des travailleuses et des travailleurs domestiques représente l'aboutissement d'un long processus. Et ce, depuis l'article 4 de la loi 65.99 formant Code du travail qui stipule une loi particulière régissant les conditions d'emploi et de travail des employés de maison, en passant par un premier projet du ministère du Travail qui n'a pas abouti au dernier projet présenté en 2012, et qui, après plusieurs amendements des deux Chambres, fut adopté en séance plénière en 2016 et publié en Bulletin Officiel le 22/08/2016. Ce cheminement assez long du texte démontre l'intérêt que porte le sujet de cette loi et toutes ses implications sociales, économiques, politiques et même culturelles. En effet, le travail domestique, qui fut longtemps sous-estimé pour ne pas dire méprisé, se retrouve aujourd'hui valorisé grâce à cet effort législatif reconnu et organisé. Les enjeux qui entouraient la question étaient de taille : protection des personnes vulnérables tels les enfants et les femmes qui font l'essentiel de cette branche professionnelle, scolarité de la jeune fille marocaine, adaptation de la législation nationale aux standards des conventions internationales et directives de l'Organisation mondiale du travail en la matière, préservation de la dignité des travailleurs domestiques, lutte contre le trafic d'êtres humains, insertion du travail domestique dans le tissu économique et extension de la couverture sociale à ce champ d'activité. Le Maroc, qui a adopté une Constitution qui défend les droits et liberté, ne pouvait laisser toutes ces questions sans réponse. Dans ce sens, la loi 19.12 définit les notions de travailleurs domestiques, délimite son champ d'application, instaure un âge minimum d'employabilité et exige la rédaction d'un contrat de travail écrit. La loi reconnait un rôle prépondérant à l'inspection du travail pour veiller au respect de ces dispositions par les personnes concernées et édicte des mesures coercitives en cas de violation de ces dispositions. Elle instaure également un salaire minimum et une limitation d'heures de travail, des périodes de repos et des mesures particulières pour la mère travailleuse domestique.
F.N.H. : Concrètement, quelles sont les démarches administratives à entreprendre en cas d'embauche d'un travailleur domestique ? Z. L. : En cas d'embauche d'une travailleuse ou d'un travailleur domestique, il faut veiller à signer un contrat de travail rédigé en trois exemplaires et légalisé auprès des autorités administratives compétentes. Ce contrat peut être fait selon le modèle de contrat élaboré par l'arrêté N° 355/17/2. Une copie doit être déposée chez l'inspecteur du travail dont dépend l'habitat de l'employeur. Le travailleur domestique doit également faire l'objet d'une déclaration à la CNSS selon les conditions prévues par l'arrêté 686.18.2 du 30/05/2019. Il faut également faire attention à ne pas recourir aux services d'une personne physique dans l'intermédiation pour l'embauche du travailleur, la loi l'interdit sous peine d'amendes. Il reste toujours possible de recourir aux services des agences privées d'intermédiation dans l'emploi.
F.N.H. : Y a-t-il une formule standard du contrat établi entre l'employeur et le travailleur pour éviter que les clauses de ce document soient à l'encontre des deux parties ? Z. L. : Comme mentionné plus haut, la loi 19.12 a prévu dans son article 3 qu'un modèle de contrat de travail sera élaboré par un texte réglementaire. En application de cet article, un arrêté du ministère du Travail et de l'Insertion professionnelle daté du 31/08/2017 sous le n° 355.17.2 a instauré un modèle du contrat de travail des travailleuses et travailleurs domestiques.
F.N.H. : Globalement, au regard de ce texte, en cas de litige entre le travailleur et l'employeur à qui profite la loi 19.12 ? Z. L. : Pour répondre à cette question, j'emprunte cet adage «entre le fort et le faible, c'est la loi qui libère et c'est la liberté qui opprime». La loi 19.12 a été instituée pour protéger une tranche de travailleuses et de travailleurs marocains à qui la loi ne reconnaissait aucun statut ni aucun droit auparavant. Le travail domestique était propice à tous les abus (aucune limitation d'heures de travail, aucun âge minimum pour l'embauche, emploi de jeunes filles qui quittent l'école, atteinte à la dignité…). Ce travail a été sous-estimé socialement et culturellement. Aujourd'hui, avec cette loi, ces travailleurs ont un statut et un minimum de protection. Reste le rôle décisif de l'inspection du travail pour veiller à l'effectivité de cette protection.
F.N.H. : Selon le 1er article du 1er chapitre de la loi 19.12, pourquoi, à votre avis, les travailleurs qui effectuent des travaux domestiques temporaires au profit des employeurs ne sont pas régis par cette même loi ? Z. L. : La loi 19.12 régit les relations de travail entre les employeurs et les travailleurs domestiques qui sont liés par un contrat de travail à durée indéterminée ou à durée déterminée. Le travail temporaire n'entre pas dans cette classification parce qu'il est éphémère et occasionnel.
F.N.H. : Est-ce le code du travail actuel qui régit les relations employeurs – travailleurs domestiques ? Z. L. : Non, c'est la loi 19.12 ainsi que les textes réglementaires pris pour son application qui régissent cette relation.
F.N.H. : Y a-t-il une procédure spécifique en cas de licenciement ou de démission ? Z. L. : La loi 19.12 ne prévoit pas de formalité particulière pour la rupture du contrat de travail, mais elle instaure le droit à une indemnité au profit du travailleur dont le contrat a été résilié après une année de travail, ainsi que le droit d'exiger une attestation de travail.