◆ La crise sanitaire a montré la nécessité du déploiement de la Justice à distance. ◆ Tout un arsenal juridique statuant sur le sujet doit être élaboré
Par C. Jaidani
Avec la crise sanitaire, le ministère de la Justice a été contraint de fermer tous les tribunaux et de ne laisser courir que les affaires pénales. Pour certains services comme celui du casier judiciaire, il a été recommandé aux citoyens d'utiliser les plateformes digitales mises à leurs dispositions. Plus que jamais, le digital a montré sa pertinence. Il est question d'encourager son déploiement pour atténuer les encombrements dans les différentes juridictions. La justice digitale, ou à distance, est l'un des chantiers majeurs sur lesquels le gouvernement doit se pencher. Une expérience pilote à Tinghir Dans ce cadre, une opération pilote a été lancée au niveau du tribunal de Tinghir (Ouarzazate). Elle a permis le jugement de plusieurs inculpés qui n'ont pas fait le déplacement des prisons où ils sont incarcérés, évitant en cela le risque de leur contamination par le Covid 19 ainsi que les fonctionnaires qui les surveillent. Leurs avocats ont pu suivre les séances normalement, sans noter quelques objections. Ce système, déjà adopté par plusieurs pays, donne des résultats remarquables mais il pose des défis de taille au niveau de sa gestion et de son fonctionnement. Certains juristes et militants des droits de l'homme ont manifesté quelques inquiétudes à ce sujet. Le Barreau de Rabat, par la voix de son bâtonnier Mohamed Barkou, n'a pas hésité à émettre quelques réserves surtout au niveau pénal, estimant que «certaines affaires nécessitent la présence de plusieurs personnes comme les témoins ou la partie civile et il est délicat de gérer une séance regroupant différents intervenants par voie digitale». Il a aussi relevé des imbroglios juridiques du fait que le système online ne figure nullement dans la procédure pénale ni dans la procédure civile. Il faut à cet égard établir des textes de loi dédiés. «Un travail législatif doit être fourni en s'inspirant des expériences étrangères réussies tout en pre-nant en considération les spécificités marocaines», prône notre interlocuteur.Pour Nabil Haddaji, avocat au Barreau de Casablanca et également militant des droits de l'homme, «la technique de la vidéoconférence a été testée efficacement dans plusieurs pays. C'est une procédure prévue par le Code pénal français ou américain par exemple mais à de cas limités et dans des conditions précises. Elle peut être tolérée par exemple dans l'état d'urgence actuel où il est important de préserver la santé de toutes les parties». Il a insisté sur le principe que «les juges doivent impérativement s'assurer du respect concret des droits de la défense et du principe du contradictoire».Techniquement, l'entrée en application de la justice dématérialisée nécessite de relever d'autres challenges, comme de disposer de plateformes technologiques performantes et fiables permettant des jugements équitables et préservant les droits des justiciables. La formation de l'élément humain est tout aussi importante pour réussir tout le processus. «Si des dysfonctionnements sont relevés à ce niveau, tout le système est voué à l'échec»,souligne Haddaji.Il faut dire que le secteur de la justice est un écosystème qui implique un grand nombre d'intervenants. Certains travaillent directement au sein des tribunaux et de leurs annexes et d'autres à la périphérie des juridictions. L'initiation à l'environnement technologique sera donc à plusieurs vitesses. C'est un défi à relever et il sera confronté à plusieurs poches de résistance. Des avantages certains L'orientation du secteur de la justice vers la voie digitale permettra de réduire la lenteur en matière de traitement des dos-siers et devrait compléter le manque à gagner lié à l'insuf-fisance de l'effectif dédié au secteur. Le numérique peut réduire les coûts et rendre la Justice plus efficace du fait que la couverture territoriale nécessite une importante mobilisation de fonds pour couvrir les charges et mettre en place les infrastructures nécessaires.«La révolution numérique peut être d'une grande utilité pour développer la Justice. Parfois les avocats ou leurs auxiliaires peuvent faire des centaines de kilomètres pour déposer une requête, avoir un document ou assister à une séance dont la présence est facultative», souligne Haddaji. Le numérique peut en outre apporter plusieurs solutions aux justiciables, surtout dans les régions éloignées ou encla-vées, mais cela nécessite également la maîtrise de l'outil technologique et la présence de connexion Internet de bonne qualité.Enfin, le niveau d'analphabétisme, et le faible accès des outils numériques de la population sont aussi des contraintes auxquelles il faudra trouver des solutions pour relever le défi de la digitalisation de la Justice.