Bahaa Trabelsi, qui écrit depuis, « Une femme tout simplement » (éditions Eddif), 1995, a un charme incomparable : mélancolique, teigneux, imprévisible. « La chaise du concierge » (éditions Le Fennec, 2017), est un roman choc qui joue à faire semblant d'être policier, pour le plaisir de mettre en scène Casablanca -ville tiraillée entre modernité et conservatisme-, de mettre en pièces les Casablancais -ballotés (es) entre idées progressistes, qui portent haut les libertés individuelles, et idées obscurantistes, rongées par les traditions et la religion. L'écrivaine manigance avec désinvolture les intrigues sur lesquelles elle ne s'attarde pas, pour mieux se balader avec ses figures, complexes, tout à fait différentes les unes des autres. Celle qui parle…ou plutôt ceux qui parlent dans ce live admirable sont Rita, Abid et le fou de Dieu. Celui-ci, Lahcen, concierge animé par une obsession diabolique, dévoré par la haine des « impies », prend également part au récit en empruntant la première personne du singulier. Si Baha lui donne droit à la parole, c'est uniquement pour mieux cerner ses tourments et son monde nourri de haine et de violence. Ce psychopathe, venu du Sud -du Maroc profond -, d'un village où rien n'est moderne, se sent investi de la mission de purifier la ville de ses « mécréants », c'est-à-dire, littéralement éradiquer tous ceux qui ne suivent pas la voie tracée par Dieu. Il ne s'attaque, au fait, qu'aux juifs, chrétiens, prostituées, homosexuels...qu'il repère depuis sa chaise de concierge, devenue son observatoire, dans une résidence cossue du quartier Racine. Il signe ses crimes par des versets du Coran, car il est plus que convaincu d'être désigné par Dieu pour épurer la ville. L'héroïne, Rita, est une mère célibataire issue d'une double culture, occidentale et marocaine. Représentant l'élite moderniste, Rita se révèle, féministe, émancipée, militante pour les libertés individuelles. En menant une enquête pour son journal, suite au premier meurtre commis par Lahcen, elle rencontre le commissaire Abid. Le flic est décrit comme : athée, alcoolique, dépressif, un personnage cultivant un net penchant pour les atmosphères glauques. Il vit seul après avoir été abandonné par Aïcha, une prostituée qu'il voulait sauver des griffes policières, des forces de « l'ordre » qui maltraitent les prostituées raflées la nuit. Vous savez quoi ?! Le flic et la journaliste, chacun de leur côté, se croisent à plusieurs reprises, tissent des liens et finissent par se sentir irrésistiblement attirés l'un par l'autre. Mais, Rita, n'est-t-elle pas une cible idéale pour le fou de Dieu ?... Bahaa Trabelsi, c'est avant tout un feeling, une atmosphère, un peu grise, un peu pluvieuse, traversée de soudains éclats juvéniles de soleil. Certes, pour des instants fugitifs. C'est aussi un ton, un cri, plein de compassion et totalement désespéré. Bahaa prend le temps de dire ce qui ne tourne pas rond. Un petit trésor. Non, un grand trésor !